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No.920 du 17 au 23 juillet 2013

House of Cards David Fincher entre en politique Mad Men 6 l’apothéose Breaking Bad cette fois c’est fini The Americans le KGB chez Reagan sur le tournage de Tunnel Platane revient Master of Sex Mad Men version X

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www.lesinrocks.com

spécial séries + édi régiontiaolne

N16 ICE pages Philippe Sollers

éditeur infiltré

AlunaGeorge love on the beat

Robin Wright dans House of Cards

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par Christophe Conte

cher Christian Estrosi

L

a trêve estivale, ce moment où les cadors du crachoir sont en repos, offre aux postillonneurs de second rang une occasion rêvée d’ouvrir leur clapet. Ainsitu bénéficias l’autre dimanche sur Europe1 et I-Télé d’une tribune inespérée –une heure d’antenne, çane t’était pas arrivé depuis le Bol d’or 1975 dans ton autre vie de champion moto–, exposition dont tu profitas allègrement. Tu les as pas ratés, mon cochon, les romanichels qui occupent un terrain de rugby dans ta ville de Nice, emboîtant dans un style totalement décomplexé le pas du brontosaure LePen, qui jugeait quelques jours

plus tôt leur présence “odorante” et “urticante”. Bon, comme lui, tu confonds un peu tout: les Tsiganes évangélistes (c’est la bonne réponse), les Roms, les gens du voyage, les marchands de barbeà papa, les Gipsy Kings… Peu importe, tout ceci n’est qu’une seule peuplade de profiteurs pouilleux quiroulent en Merco et envoient leurs enfants détrousser les vieilles sur la promenade des Anglais. Ilsuffit, as-tu menacé ! Avec une fermeté et un arsenal deréprimandes que l’on aimerait voir dégainé à l’encontre des milliardaires mafieux qui, il est vrai, ont pour leur part le bon goût defaire tourner l’économie locale.

Pareil pour les musulmans, dont tumettais en doute dans le même élan la compatibilité des pratiques religieuses avec la démocratie. Il va sans dire que là encore tu ne comptabilisais pas, parmi ces dangereux prosélytes enturbannés, les émirs qui gavent de pétrodollars les tiroirs-caisses de la Côte d’Azur. En t’écoutant appeler les maires de France “à la révolte”, il m’est pourtant venu une idée. Pourquoi ne viendrais-tu pas concourir à Paris, en laissant ta ville de vieux pour épouser la Ville lumière ? Viens donc déboîter de son perchoir la godiche NKM, y a un sacré boulot pour toi ici. Une bande de délinquants fait actuellement les poches des braves gens du côté de la rue de Vaugirard, dans le pourtant tranquille XVearrondissem*nt. On raconte même qu’à leur tête, un gros poisson d’origine hongroise organise ce racket après avoir arnaqué l’Etat, il faut vraiment faire quelque chose ! Tu n’imagines même pas, Christian, la perversité de ces gens, qui vont déduire desimpôts les sommes versées à ces bandits, détournant une seconde fois l’argent public en se comportant avec une arrogance insupportable comme des assistés. Je me suis même laissé dire que certains deleurs amis faisaient des prières dans la rue, au mépris de la laïcité et de la neutralité républicaine. C’est la raison pour laquelle, solennellement, je te demande devenir mettre de l’ordre dans cette béchamel, il en va de la survie de la France forte, mon garçon ! Etpuis merde, Estrosi, Paris c’estquand même la ville qui a inventé lamachine qui rassemble en un seul les deux pendants de ta carrière, celle du champion debécanes et celle du politicien ramasseur de déjections du FN. Unemotocrotte customisée te sera d’ailleurs offerte dès ton arrivée pour l’ensemble de ton œuvre. Allez,viens, fais pas ton Roumain ! Je t’embrasse pas, on n’a pas gardé les poules ensemble.

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No.920 du 17 au 23 juillet2013 couvertures Kevin Spacey et/ou Robin Wright dans House of Cards (Netflix/Sony Pictures/Canal+)

05 billet dur cher Christian Estrosi

10 édito vieux démons

12 quoi encore ? à bicyclette avec Bernard Ménez

14 enquête quand le tout-sécuritaire jette les populations roms à la rue qui sont les fans de Djokhar Tsarnaev, un des auteurs présumés de l’attentat de Boston ?

18 nouvelle tête Kumisolo, chanteuse mutine

20 la courbe du pré-buzz au retour de hype +tweetstat

30

Frank Ockenfels/AMC/Lionsgate Canal+

16 phénomène

21 à la loupe les tatoués, les vrais, bagnards ou “pégriots”, à l’honneur dans un beau livre

22 idées le discours politique reste contaminé par le rejet de l’autre. Entretien avec le philosophe Alain Brossat

44 Frédéric Stucin pour Les Inrockuptibles

26 où est le cool ? dans les lanières d’une spartiate, dans un dolmen à Stonehenge, dans un sac Ping/Pong

30 spécial séries House of Cards, produite par Netflix avec le cinéaste David Fincher aux commandes, démontre une fois de plus que le genre est en révolution permanente. Tour d’horizon des événements de la rentrée

44 profession éditeur 4/4

54

rencontre avec Philippe Sollers, écrivain mais aussi éditeur, l’un des rares à avoir réussi cette équation périlleuse au Festival d’Avignon avec JérômeBel et Philippe Quesne, deux metteurs en scène à la lisière de l’expérimentation

Fiona Garden

50 badinage artistique

54 beats de glace et r’n’b de feu avec le bien nommé Body Music, le duo anglais AlunaGeorge s’apprête à enflammer les corps

59 la Riviera sans retour visite sur le tournage de L’homme que l’on aimait trop, le nouveau film d’André Téchiné, avec Catherine Deneuve, Adèle Haenel et Guillaume Canet

62 trash baby star 3/7 River Phoenix fut le James Dean des années grunge, overdosé à 23 ans

pour l’édition régionale

Nice, plein soleil cahier 16pages

retrouvez aussi l’édition régionale sur iPad et kiosques numériques 17.07.2013 les inrockuptibles 7

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail: [emailprotected] ou [emailprotected] pour les abonnements, contactez la société Everial au 01 44 84 80 34

68 Meteora de Spiros Stathoulopoulos

70 sorties Pacific Rim, It Felt Like Love…

72 dvd

Colorado de Sergio Sollima

73 festivals

FIDMarseille

74 jeux vidéo

Hotline Miami, la mort en face…

76 Léo Ferré parcours d’un enragé

78 mur du son MGMT, Vincent Delerm, Of Montreal…

79 festivals City Sounds: la turbulente nouvelle scène de San Francisco est à Paris

80 chroniques compilations de rebétiko, David Lynch, Jay-Z, The Woodentops, The Baptist Generals, Benjamin Diamond…

88 concerts + aftershow Les Eurockéennes

90 spécial été: le choix des écrivains avec Jean-Jacques Schuhl, Joy Sorman, Eric Reinhardt, Régis Jauffret, Philippe Djian, Simon Liberati, Olivia Rosenthal, Marie Darrieussecq, Arnaud Cathrine…

97 bd deux pépites intimistes venues du Portugal et du Liban

98 Rizzo/Linyekula rencontre autour de la perception du réel + Montpellier Danse

102 spécial été: nos expos imaginaires 3/5: une expo dans une valise + Atelier Van Lieshout à Marseille

106 50 ans de France Culture la radio plonge dans ses archives pour célébrer son demi-siècle d’existence

108 médias les revues voient la vie en rose

109 programmes Cycle Jane Austen sur Arte…

110 net l’incroyable aventure de jeuxvideo.com profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p.101

112 best-of sélection des dernières semaines

114 print the legend

dans le salon des Straub-Huillet

rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JDBeauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JDBeauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, FrancisDordor, Anne Laffeter, Marion Mourgue actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet, GeoffreyLeGuilcher style Géraldine Sarratia idées Jean-Marie Durand cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-BaptisteMorain, Vincent Ostria, Erwan Higuinen (jeux vidéo) musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs E.Barnett, R.Blondeau, T.Blondeau, D.Boggeri, M.Brésis, Coco, S.Cuffia, C.Dalibon, M.deAbreu, J.Goldberg, C.Goldszal, O.Joyard, C.Larrède, N.Lecoq, R. Lejeune, H.LeTanneur, N.LoCalzo, V.Menichini, P.Noisette, A.Pfeiffer, E.Philippe, T.Pillault, S.Pinguet, A.Ropert, P.Sourd, F.Stucin lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomarès graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem projet web et mobile Sébastien Hochard lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistant Fabien Garel photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee, Agathe Hocquet photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Anne-Gaëlle Kamp, Delphine Chazelas, Laetitia Rolland, Laurence Morisset conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Luana Mayerau, Nathalie Coulon publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél.0142 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél.014244 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél0142441812 coordinateur François Moreau tél.01 42 44 19 91 fax0142441531 stagiaires Caroline Mira tél.01 42 44 44 26, Estelle Vandeweeghe (festivals) tél.01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél.01 42441994 directrices de clientèle Isabelle Albohair tél.01 42 44 16 69 Anne-CécileAucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web Chloé Aron tél.01 42 441998 Lizanne Danan tél.0142441990 coordinateur Stéphane Battu tél.01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07 Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél.01 42 44 16 08 assistant Antoine Brunet tél.0142441568 assistante promotion marketing Céline Labesque tél.0142441668 relations presse/rp Charlotte Brochard tél.01 42 44 1609 marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél.0142440017 assistant marketing direct Elliot Brindel tél. 01 42 44 16 62 contact agence A.M.E. Otto Borscha ([emailprotected]) et Terry Mattard ([emailprotected]) tél.01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement Les Inrockuptibles, service abonnement, libre réponse 63 096, 92 535 Levallois Perret Cedex infos 01 44 84 80 34 ou [emailprotected] abonnement France 1an: 115€ standard, accueil ([emailprotected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 1 407 956,66€ 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied, Frédérique Foucher administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, LouisDreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, SergeKaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOetrimestre 2013 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles2013 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2pages “Edition Nice” jeté dans l’édition vente au numéro des départements 04, 06 et 83 ; un cahier de 16pages “Nice” broché dans l’édition kiosque et abonnés des départements 04, 06 et 83 ; un supplément “Voyage à Nantes” jeté dans les éditions kiosque et abonnés Paris-Ile-de-France et départements 44, 49, 53, 72, 85, 22, 29, 35 et 56.

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C’est l’histoire de l’introuvable société postraciale américaine. Après Rodney King, elle s’incarne cette fois dans le destin tragique d’un jeune homme noir, un lycéen de 17ans sorti un soir de pluie acheter des bonbons pour ne jamais rentrer. Ce 26février2012, entraversant un lotissem*nt ultrasécurisé sujet auxcambriolages, Trayvon Martin croise la route deGeorge Zimmerman, 28ans, de père blanc etdemère péruvienne, vigile de quartier autoproclamé et armé. Zimmerman a souvent appelé la police après avoir vu des Noirs. Cesoir-là, les forces de l’ordre lui conseillent dene pas bouger. Il n’en fera rien. Zimmerman voit un jeune Noir à capuche qui se presse la main à la ceinture. S’ensuivent unealtercation et un coup de feu. Trayvon Martin meurtsur le coup d’une balle dans la poitrine. Une canette de thé glacé, voilà ce qu’il tenait à sa ceinture. Ce 13juillet, Zimmerman vient d’être acquitté. Le jury a rejeté le motif racial. Un acquittement jugé “désespérant” par la presse américaine mais “prévisible”. Cela se passe en Floride. Et ce n’est pas anodin. Avec ses 6millions de détenteurs d’armes pour 19millions d’habitants, c’est l’Etat qui a le plus banalisé le port d’arme. Surtout, la Floride offre aux adeptes de l’autodéfense armée une protection sans égale. C’est sur ceprincipe que Zimmerman a été acquitté. Lesopposants àcette loi dénoncent un véritable “permis detuer” digne du Far West. Cet acquittement fait ressurgir les vieux démons raciaux. Des milliers de personnes sont descendues dans la rue. Trente minutes après leverdict, la chanteuse Beyoncé a appelé à une minute de silence lors de son concert à Nashville. Les réactions choquées se sont multipliées surTwitter. “Nos impôts ont financé ce procès. Onajuste payé pour voir un meurtrier partir libre après avoir assassiné un jeune homme innocent”, s’est indigné Nicki Minaj. Will.I.Ams’étrangle: “Des personnes noires sont envoyées dix ou vingtans en prison pour des petit* délits de drogue… et Zimmerman est libre après avoir tué un jeune homme noir ???” Lena Dunham, de la série Girls: “Mon cœur est avec tous ceux qui aimaient Trayvon et à qui on a dit que sa vie ne comptait pas.” Le cinéaste militant Michael Moore s’interroge: “Si un Trayvon Martin armé avait suivi un George Zimmerman non armé et l’avait tué…

MarioTama/AFP

vieux démons

Trayvon Martin

Est-ce que j’ai vraiment besoin de terminer était armé cette phrase ?” de bonbons et Le président Obama a appelé au calme etau d’une canette de thé glacé respect de la décision de justice, lui quiavait quand il a été déclaré après sa mort: “Si j’avais unfils, ilressemblerait à Trayvon.” Avec cetacquittement, tué par George Zimmerman, ce sont toutes les failles et lescontradictions de acquitté l’Amérique qui remontent àlasurface: la justice le 13juillet à deux vitesses, les armes àfeu, la haine raciale. La volonté d’Obama deréguler le marché des armes s’estheurtée àlapuissance des lobbies. LesNoirs américains sont surreprésentés dans lesprisons. Marc Lamont Hill, célèbre jeune journaliste afro-américain, a résumé sur Twitter l’état d’esprit d’une partie de la population: “On vit dans un pays où il n’est pas seulement illégal, maismortel, d’être un jeune Noir qui traîne dehors. Trayvon est la métaphore de la nation.” Une allusion au discours sur la race prononcé par le candidat Obama en 2008 offrant sa vision d’une “union plus parfaite” du peuple américain pour une société postraciale. L’acquittement deZimmerman vient rappeler qu’il y a toujours bien deux Amériques.

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j’ai descendu les Champs en Vélib’ avec

Bernard Ménez

C

’est en sifflotant Jolie Poupée, mégatube deBernard Ménez en 1983 qu’on rejoint cedernier en haut des Champs-Elysées. Passionné de cyclisme depuis l’enfance, il a accepté de précéder avec nous les coureurs du Tour, attendus là le 21juillet. “Avant, tout le monde rêvait d’être Louison Bobet, Jacques Anquetil, Raymond Poulidor ou Bernard Hinault. Aujourd’hui, qui a envie d’être… comment déjà ? Christopher Froome ?”, se désole-t-il, sans se départir de son habituel air débonnaire qui le rend si attachant. Avec Hinault, justement, il partage l’affiche d’un remarquable (et remarqué) court métrage, LeQuepa sur la Vilni ! de Yann LeQuellec, prix Jean-Vigo2013, sélectionné à la dernière Quinzaine des réalisateurs, etattendu en salle en novembre. Dans cette comédie loufoque, sur les traces de Jacques Rozier (à qui Bernard Ménez doit ses deux plus grands rôles: Du côté d’Orouët et MaineOcéan), l’acteur interprète un facteur à la retraite. Le maire de son village (le chanteur Christophe) lui confie une mission de la plus haute importance: conduire une équipe de cyclistes amateurs sur lesroutes des Corbières pour promouvoir la salle decinéma flambant neuve du patelin. Et en chemin, ils croisent le fantôme de Bernard Hinault… Tordu ? Oui, et tout aussi tordant.

“en 1993, j’ai été sollicité pour être mascotte de l’équipe de France à Oslo”

Alors que nous nous mettons en quête d’une paire deVélib’, il sort de sa poche un petit étui métallique duquel, lorsqu’il tourne une molette, sort délicatement une carte de visite. Yest inscrit: “Bernard Ménez –Artiste à vocations multiples”. Sa “carrière à vocations multiples” est en effet passée par le cinéma, le théâtre, et la musique, plus un peu de politique au début des années2000, par laquelle il espérait, avec son mouvement La France d’en bas, attirer l’attention sur les plus démunis. Sitôt assis sur l’engin, nous entendant fredonner (“oh oh oh, jolie poupée, tu me fais rêver”), ilemmène direct du gros braquet: “Ah, il ne se passe pas une journée sans que je l’entende dans mon dos ! Tu sais que j’ai été numéro1 au hit-parade de l’époque, devant un certain Michael Jackson qui lui était numéro3 avec Thriller. Il en est mort le pauvre.” Boum. Après quelques tours de pédalier hasardeux, Bernard prend ses aises et slalome entre les badauds. Certainsl’arrêtent, demandent à être pris en photo aveclui. Devant le Fouquet’s, Robert Hossein lereconnaît et lesalue. Pendant ces quelques minutes, les Champs luiappartiennent. “Quand j’étais gosse, jefaisais mes 150kilomètres dans la journée, avec un petit vélo sans dérailleur. J’avais des dispositions, mais mon père, pour nepas ruiner mes études, n’a pas voulu que j’en fasse enclub. Plus tard, j’ai rencontré pas mal degens du milieu, notamment Hinault… En 1993, j’ai même été sollicité pour être mascotte de l’équipe deFrance aux championnats dumonde à Oslo !” Cetteannée-là, le vainqueur fut un jeune coureur prometteur. Son nom: Lance Armstrong. JackyGoldberg photoSophieCuffia pour LesInrockuptibles

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les Roms poussés à la rue Le démantèlement des camps a précipité les populations roms dans la plus grande précarité. Ou quand la surenchère sécuritaire prend le pas sur les dispositifs humanitaires à l’approche des municipales.

S

ur le terre-plein du boulevard Richard-Lenoir à Paris (XIe), une mariée en robe meringue, entourée d’enfants tirés à quatre épingles, avance au bras de son mari. A un mètre d’eux, un couple dort enlacé, sous des couvertures crasseuses, à même le sol. A peine plus loin, des enfants jouent avec les jets d’une fontaine. Trempé, le plus jeune retire ses vêtements et, cul nu, s’en va piocher un pantalon sec dans un sac poubelle. Une famille rom monte un campement de fortune sur un banc. Dans une cabine téléphonique, une très jeune femme change un nourrisson, tout en gardant un œil sur un autre bébé à peine plus âgé. Chez les Roms, on est adulte à 16ans. Ceux-là ne parlent pas français, ou à peine. Depuis plusieurs mois, des familles se succèdent sur ce boulevard, vivent dans une misère déroutante et survivent grâce à la mendicité.

Pour comprendre ce phénomène, il faut remonter au 30juillet2010. Ce jour-là, le président Nicolas Sarkozy prononce à Grenoble un discours sécuritaire qui lance la systématisation des démantèlements de campements illégaux et bidonvilles de Roms dressés à la périphérie des grandes villes. Sur le boulevard Richard-Lenoir, les commerçants excédés et les riverains incrédules oscillent entre ignorance et franche hostilité. Dans la brasserie d’en face, une serveuse soupire: “Au début, on était sympas, on donnait de l’eau, mais les gamins en profitaient pour voler les clients, maintenant on laisse rien traîner sur la terrasse…” Un couple d’une trentaine d’années s’étonne de la surreprésentation des enfants, jouant pieds nus, sales. “Ils sont probablement là parce qu’on a détruit leur camp… Mais ont-ils vraiment envie d’être pris en charge? Les Roms sont des nomades après tout…”, commente François. Il se trompe. Les Roms

ne sont ni nomades ni citoyens français, à l’inverse des gens du voyage. Ce sont des migrants économiques en provenance de pays faisant partie de l’Union européenne (Roumanie, Bulgarie) ou pas (Albanie, Serbie, Kosovo…). Un peu plus loin, Josette, 75ans, lit un livre de contes bretons. “Il faut fermer les frontières et sortir de Schengen, sinon, si on les ramène chez eux, ils reviendront…”, estime cette partisane de Marine LePen. Le père de sa candidate, Jean-Marie LePen, était à Nice le 4juillet aux côtés de Marie-Christine Arnautu, tête de liste FN aux municipales de mars2014. Le président d’honneur en a profité pour évoquer la “présence urticante” et “odorante” des Roms. Fâché de s’être fait souffler la politesse par un parti concurrent, Christian Estrosi, le députémaire de Nice, a rebondi le 7juillet, suite à une occupation illégale de terrain, promettant de “mater” les Roms et les gens du voyage (lire aussi “Billet dur”, p.5). Cette surenchère a pour toile de

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“on renforce leur misère en pensant qu’ils retourneront dans leur pays d’origine”

Sur les Champs-Elysées, le 8mai dernier. Pour Manuel Valls, les Roms “ont vocation à rester en Roumanie, à y retourner”

fond la féroce bataille que vont se livrer UMP et FN à Nice en mars prochain. Christian Estrosi a aussi critiqué le gouvernement et la circulaire interministérielle du 26août2012 qui rendrait, selon lui, plus difficiles les expulsions. A quoi M.Estrosi fait-il référence? Durant l’été2012, sur fond de démantèlement de camps de Roms, une âpre bataille oppose le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, tenant d’une ligne dure, et la ministre du Logement Cécile Duflot, tenante d’une ligne humanitaire. La circulaire, fruit d’un compromis, stipule que si le respect des décisions de justice n’est pas remis en cause, les pouvoirs publics doivent en amont, dans “une logique d’anticipation”, faire un “diagnostic” pour “proposer des solutions d’accompagnement”. Mais, un an après sa promulgation, un drôle de constat s’impose: la gauche démantèle plus que la droite, sans pour autant proposer de solution pérenne de

Sébastien Calvet/Divergence

Guillaume Lardanchet de l’association Hors la rue

relogement. Selon les chiffres récoltés par Philippe Goossens, de l’AEDH (Association européenne pour la défense des droits de l’homme), 5 482personnes ont été évacuées de force au deuxième trimestre2013, contre 2 883 au premier trimestre. Un record depuis2010. A titre de comparaison, au deuxième trimestre 2011, ces évacuations forcées avaient concerné 3 283personnes. Il y aurait environ 20 000Roms étrangers en France –12 000 en Ile-de-France. En tant que ministre de l’Intérieur, c’est Manuel Valls qui tient la main sur l’application de la circulaire. Le préfet Alain Régnier, nommé par Ayrault pour veiller à l’application équilibrée de la circulaire, n’a quasiment aucun pouvoir. Or pour Valls, les Roms ne “souhaitent pas s’intégrer” et “ont vocation à rester en Roumanie, à y retourner” (Le Parisien, 14mars). Un bon connaisseur du dossier ironise: “En fait, il suffit de faire un faux diagnostic de deux journées et hop on expulse avec ‘humanité…’” “Cela casse

le travail d’accompagnement et il faut tout recommencer, rescolariser...”, se désole Philippe Goossens. Alain Régnier parle de “schizophrénie” des pouvoirs publics (Mediapart, 8avril). “Une fois expulsés, ils n’ont souvent plus que la rue. Leur dénuement est de plus en plus visible et alimente les préjugés: les Roms ne voudraient pas aller à l’école, pas s’intégrer, pas travailler, voler…”, explique Guillaume Lardanchet de l’association Hors la rue, qui intervient auprès de mineurs originaires d’Europe de l’Est. Selon un rapport de la Protection judiciaire de la jeunesse, les actes de délinquance à Paris concernent “environ 200mineurs roumains au maximum”. En outre, les ressortissants bulgares et roumains n’auront librement accès au marché du travail qu’à l’entrée de ces pays dans l’espace Schengen envisagée au 1erjanvier2014. Les 11 et 12juillet, Jean-Marc Ayrault s’est rendu en Roumanie pour rencontrer son hom*ologue. Les deux Premiers ministres ont affirmé que la vocation des Roms de Roumanie était de pouvoir rester dans le pays. “On renforce leur misère en pensant qu’ils retourneront dans leur pays d’origine”, estime Guillaume Lardanchet. De plus, poursuit-il, pour payer leur voyage aux passeurs “ils ont parfois vendu leurs terres et leur maison. La solution pragmatique serait de stabiliser les terrains qui peuvent l’être mais pour les politiques cela veut dire: ‘s’il vous plaît chers administrés, accueillez ces pauvres gens et votez pour moi en 2014.’ Je n’y crois pas.” La ligne Valls, ministre préféré des Français, que la droite ne peut taxer d’angéliste, va prévaloir jusqu’aux municipales. Personne ne voudra desserrer l’étau autour d’une population mal aimée et isolée. Anne Laffeter 17.07.2013 les inrockuptibles 15

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“Djokhar Tsarnaev est TROP BEAU !!!” Alors que s’ouvre le procès du coauteur présumé des attentats de Boston, ses groupies et admirateurs se déchaînent sur les réseaux sociaux. Les théories du complot s’y mêlent à une étrange fascination.

L

’image a fait le tour des médias américains. On y voit une jeune fille, le visage encadré de longs cheveux noirs, arborant un T-shirt “Dzhokhar Tsarnaev is innocent” floqué d’un portrait du jeune homme comme passé au filtre Instagram. Elle s’appelle Jennifer Michio et criait son soutien à Djokhar Tsarnaev ce 10juillet, devant le tribunal de Boston. Le jeune homme, coupable présumé du double attentat ayant fait trois morts et plus de deux cents blessés au marathon du 15avril y comparaissait pour la première fois. Jennifer Michio n’était pas la seule fan à avoir fait le déplacement. Un petit groupe de supporters de Tsarnaev, armés de pancartes “Free Jahar” (son surnom) réclamaient la libération du jeune homme. Une action qui a fait sortir de ses gonds un passant, qui leur a lancé devant les caméras: “Vous êtes dégoûtants. Vous ne savez donc pas que des gens sont morts ?” Les groupes de soutien à Jahar se sont formés dès le 18avril, date à

laquelle le FBI a rendu publiques des captures d’écran de vidéos de surveillance sur lesquelles on découvrait les visages de Djokhar Tsarnaev et de son frère aîné Tamerlan. Mais c’est leur traque durant vingt-quatreheures –qui s’est soldée par l’arrestation du premier et la mort du second– qui a consolidé ces groupes, très actifs sur les réseaux sociaux. Depuis fin avril, le hashtag #FreeJahar est utilisé sur Twitter pour diffuser des théories conspirationnistes, photos à l’appui. Certains avancent que c’est le gouvernement américain qui a orchestré le double attentat de Boston et en a fait porter le chapeau aux frères Tsarnaev. Une pétition lancée fin avril sur le site Change.org demandant à ce que Barack Obama garantisse un procès juste à Tsarnaev a recueilli 15 329signatures. En trois mois et demi, le mouvement ne s’est pas essoufflé, les internautes redoublant d’activité depuis la comparution de Jahar devant le tribunal de Boston. Des illuminés ? Pas

seulement selon Bruno Fay, journaliste et auteur de Complocratie, enquête aux sources du nouveau complotisme (Editions du Moment, 2011), qui affirme que ces supporters sont surtout des “monsieur Tout-le-monde”. Pour lui, le profil type du complotiste a changé avec les attentats du 11Septembre: “Beaucoup de gens ont basculé à ce moment-là dans les théories du complot.” Première explication: l’accélération du temps de l’information. “Les journalistes prennent moins le temps d’enquêter, donc les gens cherchent des explications aux phénomènes complexes ailleurs que dans les médias traditionnels.” Deuxième explication: l’hyperinformation. “On n’a jamais eu autant connaissance des vrais complots. On sait maintenant par exemple que les Etats-Unis nous ont menti sur la présence d’armes de destruction massive en Irak ou qu’ils nous espionnent. Ces manipulations avérées nourrissent les théories du complot.” Sans oublier, bien sûr, le rôle joué par les réseaux sociaux. “Chacun devient son propre

média et peut toucher des milliers de personnes avec une information, si le buzz est réussi, analyse-t-il. Il y a aussi la probabilité de rencontrer des gens qui pensent comme nous qui est démultipliée grâce à internet.” Qui dit “monsieur Tout-le-monde” dit, dans le cas de Djokhar Tsarnaev, jeunes filles en fleur. Car si beaucoup le défendent sur la base de théories du complot, d’autres se muent en groupies pour lui vouer un culte façon rock-star. Qualifiées de “disgusting fan girls” par le Los Angeles Times le 10juillet, elles commentent à longueur de tweets, de blogs et de pages Facebook, le physique du criminel présumé et peuvent

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péter les plombs à la vue d’un dessin de l’Associated Press le représentant au tribunal, si elles le jugent peu flatteur. Sur Twitter, une certaine @dzokharstruth poste le 3juin la photo d’un de ses tatouages en forme d’idéogramme chinois signifiant “vérité” qu’elle s’est fait inscrire en l’honneur de Tsarnaev. Le 11juillet, @Cybeleko tweete en français: “J’osais pas le dire mais puisque certaines l’ont fait avant moi… Djokhar Tsarnaev est TROP BEAU !!!” Cerise sur le gâteau: le site américain Gawker rapportait en avril dernier avoir aperçu des photos de Djokhar Tsarnaev assorties de cœurs sur un Tumblr d’ados dédié à l’un des membres du

boys band One Direction. Contactée par Gawker, la jeune fille expliquait: “Je le trouve mignon, mais ce n’est pas la raison pour laquelle je me suis impliquée dans ce mouvement. J’y suis car je ne trouve pas cela juste de mettre une personne totalement innocente en prison pour le reste de sa vie.” Les supporters de Tsarnaev rappellent les “Holmies”, ces fans de James Holmes, le tueur du cinéma d’Aurora (Colorado) en 2012, qui ont créé des Tumblr à sa gloire, ou encore les adorateurs de Luka Magnotta, “le dépeceur de Montréal”. Cette attirance pour un criminel a un nom: l’hybristophilie ou

ubristophilie, du grec hybris (la démesure), que Jean-Bernard Garré, psychiatre spécialiste de criminologie, définit comme “une fascination pour les gens qui transgressent, qui vont au-delà des limites”. Selon lui, cette “pulsion à transgresser nous libère des codes sociaux. Dans la nature, il n’y a pas de morale. La barbarie est donc éventuellement au fond de nous”, rappelle-t-il. Au sujet des fans féminines de Tsarnaev, Jean-Bernard Garré souligne tout de même l’importance des réseaux sociaux, moteurs de leur “hystérisation collective”, qui leur assurent un quart d’heure de célébrité: “Elles veulent crier leur amour à la face du monde.

Brian Snyder/Reuters

Une fan de Tsarnaev devant le tribunal de Boston, le 10juillet

le profil du complotiste a changé depuis le 11Septembre S’il n’y avait pas de public pour les écouter, il y aurait moins de fans.” Un engouement qui s’est matérialisé en envoi d’argent à Tsarnaev ainsi qu’à sa famille (9 000dollars récoltés début juin selon Channel4 News), et qui pourrait, selon Bruno Fay, lui être favorable dans son procès. “Je ne serais pas surpris que les avocats du jeune homme profitent de cette ambiance, utilisent des éléments de la théorie du complot pour défendre leur client…” CaroleBoinet 17.07.2013 les inrockuptibles 17

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Kumisolo Echappée du trio français TheKonki Duet, la Japonaise met en forme des chansons mutines et charmeuses.

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x-Konki Duet, Kumisolo publie en solo un ep au délicieux parfum eighties. Fan des travaux de Lio ou Elli & Jacno, elle est venue s’installer à Paris au lendemain des attentats du 11-Septembre pour apprendre le cinéma à la fac de Saint-Denis. Aujourd’hui, elle puise son inspiration dans la pop et les films d’Eric Rohmer et Godard. “J’ai toujours aimé la pop, même ce qui était un peu grand public: j’ai beaucoup écouté Lio, Françoise Hardy ou France Gall.” A Tokyo, elle jouait de la trompette dans la fanfare de son école. Ado, elle se lance dans l’indie-rock, par amour pour les groupes occidentaux qui squattent les ondes nippones à l’époque – TheCardigans, Tahiti80… Aujourd’hui, elle marie ces influences sur LaFemme japonaise, un cinq titres qui oscille entre emballage rose bonbon (Transports en commun) et inspirations classiques (elle joue du shamisen, un instrument traditionnel à cordes pincées sur le titre qui a donné son nom à l’ep). Loin des clichés, elle s’offre une reprise cocasse de Victime de la mode de MCSolaar et envoie valser les stéréotypes. “Souvent, les Japonaises renvoient une image timide. J’ai l’air de l’être mais c’est faux ! J’adore la scène et j’adore être regardée.”

Paul Schmidt

Johanna Seban ep La Femme japonaise (Parlophone/EMI)

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“mais non c’est pas de l’acné, c’est de l’allergie au soleil”

Willem Dafoe en Pasolini pour Ferrara

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

la machine àécrire

Helmut Schmidt

Dustin Hoffman découvrant le sexisme

“MGMT C SPR” These New Puritans

“c’est le chassé-croisé des juilletistes et des aoûtiens, tsé”

les contrepèteries

la gueule de bois

Jay-Z + Marina Abramovic

Proust

“T’étais où en vacances ? –Sur internet”

“cet été, je pars pas en vacances mais je me refais l’intégrale des Cœurs brûlés”

les préservatifs Daft Punk

Willem Dafoe jouera Pasolini dans le film que Ferrara consacre au réalisateur italien. Proust Centenaire, le 14novembre, dela parution du premier volume de La Recherche. L’occasion de se la (re)faire en intégralité cet été. La machine à écrire Face à la vulnérabilité des télécommunications, une branche des services secrets russes réinvestit dans les machines

àécrire. La gueule de bois causerait une perte de 23milliards d’euros par an dans le monde du travail, humhum. HelmutSchmidt L’ex-chancelier allemand a stocké 38 000cigarettes mentholées en prévision de leur interdiction à la vente par la Commission européenne. These New Puritans s’ajoutent à la programmation du Festival les inRocKs. D.L.

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François Fillon @FrançoisFillon

Les conciliabules secrets pour désigner notre candidat, le choix par les sondages UHGUHVVpVOҋDXWRSURFODPDWLRQFҋHVWÀQL 11:17 PM - 11 Juil, 13

Répondre

Retweeter

54 % Che Guevara

¡Hasta siempre la revolución!

30 % Hervé Vilard

parce que “c’est fini !”, comme Capri, la sonnerie de téléphone de Fillon (suite à son accident de scooter sur l’île)

16 % Raymond Devos

pour le conciliabule qui implique quand même pas mal aussi l’idée de cons (s’il y a bulle)

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beau livre et mauvais garçons Un ouvrage compilant de très beaux portraits de tatoués du siècle passé décrypte les “bousilles”, ces dessins figés sur le corps des prisonniers, bagnards et marlous.

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la canaille malheureuse “La poésie de la canaille malheureuse”: voilà comment Albert Londres qualifiait le tatouage quand, en 1923, il publie Au Bagne et Dante n’avait rien vu –récits consacrés l’un àCayenne, l’autre aux Bat d’Af’, bataillons disciplinaires de Biribi, appareil répressif de l’armée française en Afrique du Nord. C’est là qu’il rencontre lesconscrits du service national titulaires d’un casier. Ils portent sur la peau les stigmates d’une vie “bousillée” qui permettent précisément de retracer les malheurs d’un homme à partir des signes gravés sur son corps. Ici, la moustache tatouée –pied de nez à l’administration qui en interdisait le port aux disciplinaires et condamnés– laisse présager une personnalité quelque peu frondeuse…

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délits et peines

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fragments d’un discours amoureux Mais derrière les regards durs se cachent des cœurs tendres. Et les femmes s’imposent comme le motif privilégié destatoués du temps passé. Portraitschastes, poses lascives, dessins obscènes, inscriptions mélancoliques, prétentieuses ou révoltées peuvent sejuxtaposer sur un même torse. Ainsi, l’hirondelle portant une lettre dans son bec signifie “j’attends des nouvelles” ou“mes pensées vont vers elle”. Mais lafemme est aussi symbole de rancœurs et de frustrations. En témoignent les

nombreux “J’ai aimé, j’ai souffert, jehais”. Autant de signes d’épreuves acceptées avec rage ou fatalité. A côté des trois cerises symboles de malchance, abondent les “Fatalitas” –comme s’exclamait, en 1913, Chéri-Bibi, le héros romanesque de Gaston Leroux envoyé au bagne à la suite d’une erreur judiciaire. Diane Lisarelli et GeoffreyLeGuilcher Mauvais garçons de Jerôme Pierrat et Eric Guillon (La Manufacture de livres), 178pages, 29€, exposition et tirages à vendre à la librairie La Manœuvre, 58,rue de la Roquette, Paris XIe

En 1876, Cesare Lombroso publie L’Uomo delinquente démontrant que la criminalité possède des caractéristiques physiques propres. Parmi elles, le tatouage auquel on s’exerce dans les dortoirs des bagnes oudes prisons afin (selon le légiste Lacassagne) detromper l’ennui etd’exprimer des idées et des sentiments importants. Le tatouage devient pour les mauvais garçons un autre mode de communication, crypté et déchiffrable parleurs pairs. Ainsi, les papillons (parfois accompagnés de l’épigraphe “Comme lui je vole”) s’imposent comme un symbole des voleurs. De même pour les quatreas, tatouage rébus argotique signifiant: “jele pique au cœur, jelui prends son trèfle (argent) et il reste sur lecarreau.” Avec les délits vont aussi les peines: lecrucifix symbolise la souffrance et les mauvais traitements. Une paire de sabots (partie intégrante de l’uniforme des détenus de maisons centrales) avec cravache indique les condamnés à une peine de prison de plus d’un an (sans cravache, la peine fait moins d’un an). Et les avant-bras grêlés de pointillés comptent autant de points que de jours passés aumitard. 17.07.2013 les inrockuptibles 21

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la France a peur ? Pourquoi la figure de l’étranger infuse-t-elle autant le discours politique et l’appareil d’Etat ? Le philosophe Alain Brossat analyse, sévèrement, comment l’art de gouverner reste aujourd’hui contaminé par ce geste obscur du rejet de l’autre. recueilli par Jean-MarieDurand Evacuation d’un camp rom, Vénissieux, août 2007

P

ourquoi la question de “l’étranger parmi nous” obsède-t-elle aujourd’hui, de manière démesurée, le discours politique ? Alain Brossat– Legeste philosophique dont je me sens proche s’attache davantage au “comment” qu’au “pourquoi”, je veux dire aux causes ultimes ou à l’origine première des objets ou phénomènes sur lesquels nous travaillons. Dans ce travail, je pars de ce constat: d’une part, la question de l’étranger, telle qu’elle est non seulement mise en discours mais aussi mise en pratique par nos gouvernants, est le domaine par excellence où les éléments de rationalité, les stratégies, l’art de gouverner, etc., sont constamment envahis et contaminés par les fantasmagories. C’est, par

opposition à “l’imagination au pouvoir”, le basculement et la fuite perpétuels dans l’imaginaire, un imaginaire réactif peuplé d’une multitude de menaces disparates et de projections fantastiques sur les parois de la caverne du présent –le spectre du terrorisme islamique, l’insoutenable envahissem*nt de nos cités par les Roms, insupportables parasites, etc. Un indice très sûr de cette dérive de la politique de l’étranger de nos gouvernants dans les eaux de l’imaginaire sécuritaire est son écart croissant avec les analyses produites par les corps de spécialistes disposant d’une expertise sur ces questions et incarnant, disons, un certain principe de réalité –démographes, sociologues, historiens, etc. Ce n’est pas par hasard que ceux qui inspirent les ministres de l’Intérieur en la matière (ceux-là mêmes qui donnent le la de la politique

de l’étranger réduite, symptomatiquement, aux conditions d’une politique de l’immigration) sont des exaltés de la défense sociale repeints aux couleurs de la criminologie comme AlainBauer plutôt que des historiens ou des démographes respectés comme GérardNoiriel ou Hervé LeBras... Ceque vous appelez la démesure en rapport avec cette question, c’est tout simplement pour moi le fait que le discours et les pratiques des gouvernants soient, en la matière, émancipés de toute prise en compte des éléments majeurs constitutifs du réel –voir la façon dont cette politique met en avant une supposée lutte contre l’“immigration clandestine” et le “travail au noir” dont les promoteurs ne peuvent ignorer qu’ils constituent des éléments structurels dans des secteurs d’activité économique aussi importants que le bâtiment, la restauration, la confection, etc.

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Jeff Pachoud/AFP

En quoi le sort réservé à l’étranger s’inscrit selon vous dans la longue histoire des persécutions liées au déploiement de l’Etat moderne ? Question essentielle à tous égards. Dans son cours au Collège de France intitulé “Il faut défendre la société”, Michel Foucault énonce une thèse forte: le racisme, dit-il en substance, ce n’est pas en premier lieu une question d’idéologie dévoyée, de mauvais héritage, de relations entre communautés virant à l’aigre, c’est une technologie de pouvoir. Pour lui, le racisme devient le problème perpétuel de la politique moderne et une arme de destruction massive dès lors qu’il entre en composition dans les mécanismes de l’Etat ; c’est qu’il est l’un des gestes décisifs par lesquels s’affirme la capacité de gouverner une population, le geste consistant à fragmenter cette population, à produire et reconduire

la coupure entre cette part des gouvernés qui a vocation à être placée sous le signe de la prise en charge de la vie et une autre, placée sous un signe de mort. Pour Foucault, ce partage (au sens de séparation) est un élément fondateur de l’exercice du pouvoir dans nos sociétés ; il est très visible dans un temps où les massacres et le travail forcé accompagnent la colonisation tandis qu’en métropole on installe le tout-àl’égout dans les villes et on met en place la médecine sociale. Il est moins exposé aujourd’hui mais n’en demeure pas moins opérant en tant que matrice, opérateur fondamental du biopouvoir. Comme l’a montré Didier Fassin dans un récent ouvrage, La Force de l’ordre, les habitants des quartiers défavorisés sont soumis à un régime de police (celui qu’imposent les brigades anticriminalité) totalement différent de celui qui prévaut dans les centres-villes ;

la bavure policière, comme action homicide sans crime, telle qu’en font les frais en règle générale des sujets postcoloniaux, est un autre exemple probant de la perpétuation de ce partage implacable entre cette part de la population (que j’appelle “l’autochtone imaginaire”) et cette autre qui se trouve exposée à cette violence du pouvoir dont l’abandon constitue la ligne d’horizon. La figure de l’étranger occupe donc laplace qu’occupait le fou dans lamodernité naissante analysée par Michel Foucault. Dans son Histoire de la folie, Foucault convoquait déjà, à propos du “grand renfermement” des fous et assimilés, cette notion d’un partage, comme geste de gouvernement, inauguré sur le seuil de la modernité politique, avec la mise en place de l’hôpital général, et qu’il désigne, précisément comme geste obscur. Il semblerait donc bien qu’une 17.07.2013 les inrockuptibles 23

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“à défaut de pouvoir gouverner à l’espérance, on gouvernera toujours davantage à la mobilisation des affects négatifs, à la peur et au ressentiment”

continuité s’établisse ici, un enchaînement du traitement de “la folie” à l’âge classique à celui de l’étranger litigieux (et généralement pauvre) dans nos sociétés aujourd’hui. L’adjectif “obscur” met en relief le fait que les pouvoirs sont ici sous l’emprise d’une force, ou d’un “programme”, qui excède leurs intentions. Il semblerait que la fragmentation du corps social, la hiérarchisation, la mise en opposition de certains avec d’autres soient des conditions déterminantes de la capacité des gouvernants à assigner à chacun sa propre place – ce qui est, au fond, la tâche première des pouvoirs modernes... L’expression de “xénophobie d’Etat” qui revient fréquemment sous votre plume est assez brutale. Peut-on vraiment l’utiliser aujourd’hui, depuis que, notamment, la gauche est arrivée au pouvoir? Le premier trait de la politique de l’étranger de nos gouvernements successifs, et ce de manière pratiquement immémoriale, c’est sa fondamentale continuité. Je lisais hier un livre de Guy Hocquenghem, publié en 1979, La Beauté du métis, et je suis tombé sur ces lignes: “L’étranger dégusté à petit* coups in situ est gibier d’expulsion en France. Cette irrésistible compulsion de rejet, ce réflexe de l’expulsion administrative passe pour assez naturel, même aux yeux des cultivés, pour fonctionner tous les jours sans complexes.” Rien de nouveau sous le soleil, donc. On rappellera pour mémoire qu’en matière de destruction de campements de Roms et de “reconduite”, comme ils disent, d’étrangers en situation irrégulière, Manuel Valls, adonné à la fièvre obsidionale du chiffre comme son prédécesseur, fait mieux que celui-ci (Claude Guéant, l’âme damnée de

Sarkozy). Contrairement à ce qui s’énonce couramment, on n’a pas affaire ici à des gouvernants en quête de popularité qui, en désespoir de cause, s’efforceraient de répondre à une demande de plus en plus insistante surgie des tréfonds de la société, une quête autochtoniste nourrie par toutes sortes d’inquiétudes à propos de l’identité nationale et des menaces qui pèseraient sur elle. Le rejet de l’étranger est une construction politique, un mode ou régime toujours plus accentué du gouvernement de la population: à défaut de pouvoir gouverner à l’espérance, aux réformes utiles (celles qui améliorent les conditions de vie de la majorité, de l’élément populaire), au renforcement des éléments de cohésion (les dispositifs égalitaires), on gouvernera toujours davantage à la mobilisation des affects négatifs, à la peur et au ressentiment, à la méfiance et au rejet –c’est-à-dire à la fabrication de mauvais objets, mauvais corps, ceux par lesquels le mal est supposé advenir– l’étranger pauvre en moyens et en droits, le dernier arrivant. L’ironie de la situation présente est que ce soit ce même pouvoir qui, volontiers, adopte face au racisme et à la xénophobie la posture de l’Etat instructeur gardien des normes de tolérance et de civilité contre une partie du corps social que l’on dira rongée par les fièvres du communautarisme, de l’ethnicisme, etc. Ce même pouvoir magicien qui officie sans état d’âme sous le signe de l’heureuse coexistence entre le Clemenceau de la lutte contre l’étranger ingouvernable et les fondateurs de SOS Racisme montés aux affaires... Autochtone imaginaire, étranger imaginé –Retours sur la xénophobie ambiante d’Alain Brossat (Editions du Souffle), 302p., 17€

ils l’ont dit Quand la droite laisse sortir le venin de sa bouche. L’obsession névrotique des élus de la République à l’égard des étrangers est devenue, dans l’espace public, une joute aussi ritualisée que décomplexée. A ce jeu politique, quotidien et désolant, l’UMP dispute désormais au FN le privilège de l’ignominie. Il suffit d’écouter depuis des années Christian Estrosi, député-maire de Nice, pour s’en convaincre (lire “Billet dur” page5). Un habitué des sorties xénophobes: “Français ou voyou, il faut choisir” ; “ Ce qui me révolte le plus, c’est de donner le droit de vote à des personnes qui haïssent la France, qui détestent la laïcité et qui refusent nos lois”… Le discours de Sarkozy à Grenoble le 30 juillet 2010, fondateur, a contaminé la majorité des positions de la droite républicaine. Claude Guéant veut “défendre la France pour qu’elle reste elle-même, qu’elle conserve sa civilisation, son art de vivre” et “son modèle de société” ; Nadine Morano veut que “le jeune musulman aime son pays, trouve un travail, ne parle pas le verlan, ne mette pas sa casquette à l’envers” ; André Valentin précise qu’“il est temps qu’on réagisse parce qu’on va se faire bouffer”, “parce qu’il y en a déjà dix millions, dix millions que l’on paie à rien foutre”… Face à cette idée pourrie, martelée par la droite depuis plus de quinze ans, qu’il serait impossible d’intégrer certains étrangers, la gauche reste trop atone, comme piégée par la xénophobie ambiante.

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où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

dans les lanières de cette spartiate Look guerrier high-tech assuré surles plages cet été avec cette sandale qui a le bon goût derevisiter ce classique grec àl’aune de la culture escalade.

Trojan and Mark at Taboo, 1986.Photo Derek Ridgers

www.zara.com/fr

au début des années80, dans un club à Londres Il vous reste jusqu’au 11août pour sauter dans un Eurostar etaller voir l’expo Bowie. En after, on recommandera Club to Catwalk, uneexpo consacrée à l’effervescence et à la folie créative de la scène club et de la mode londonienne des années80. Des nouveaux romantiques austyle rave en passant par le camp glam, des créateurs émergents (Westwood, Galliano) en passant par les excentriques tels que LeighBowery, l’expo déroule 85looks à la démesure revigorante. jusqu’au 16 février, à Londres, Victoria & Albert Museum, www.vam.ac.uk 26 les inrockuptibles 17.07.2013

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Craig Atkinson

adossé à un dolmen à Stonehenge Toujours en édition limitée (150exemplaires) et à un prix modique (5livres), la petite maison d’édition Café Royal continue d’exhumer le travail de photographes de la fin du XXesiècle. Ce volume est consacré à Homer Sykes qui a documenté la contre-culture anglaise sur le site de Stonehenge. Ce grand monument mégalithique situé dans l’ouest de l’Angleterre accueillait un énorme festival hippie de 1972 au début des années 80. Stonehenge: 1970s Counterculture, www.caferoyalbooks.com

avec ce sac Ping/Pong à l’épaule Variante du T-shirt à slogan, le sac en tissu vous aidera à durablement marquer l’esprit de ceux qui croiseront votre chemin. Designé par Jo Murray, ce flamboyant duo de sacs rouges au jeu de mots minimaliste devrait sans aucun doute favoriser les échanges. www.newfoundoriginal.com 17.07.2013 les inrockuptibles 27

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boîte à outils

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’est officiel, Kate Upton a “les plus beaux seins du monde”, déclare TheSun. C’est bien lapremière fois que le journal populaire anglais et le magazine Vogue sont sur la même longueur d’onde. Cette jeune mannequin américaine au bonnetD et aux boucles blondes, hier encore star des calendriers spécial routiers, est aujourd’hui la nouvelle icône improbable de la mode. Et pour cause. Quand Carine Roitfeld quitte son poste de rédactrice enchef du Vogue Paris et lance son propre magazine CR Fashion Book, elle sait qu’elle est attendue au tournant par l’industrie. Plus choquant encore que son inoubliable p*rno chic ? Un bon gros décolleté sur la couverture, astucieusem*nt utilisé pour transporter des poussins. Monstrueusem*nt kitsch ? Sans aucun doute. Dérangeant par son efficacité ? Encore plus. Les seins, lien charnel entre le sexuel et le maternel, et star acclamée des années 90 (deLara Croft au poster d’American Pie en passant par les défilés Victoria’s Secret), sont jetés auxoubliettes pour leur incompatibilité avec le style heroin chic du nouveau millénaire, plus adapté aupoitrail osseux

de Kate Moss. Aujourd’hui, un revirement boobilicious voit le jour: quand Nabilla et ses gorges défilent pour JeanPaul Gaultier, le site Style.com décrit la jeune fille comme “celle pour qui le bustier semble avoir été inventé”. Prada imagine une féminité années30 sans chichis et à la silhouette sablier, et Anthony Vaccarello une guerrière férocement sexy. Les personnalités aussi accentuent leur décolleté pour exprimer leur statut d’über-femmes tout-terrain –amantes irrésistibles, conquérantes invincibles: KatyPerry se fantasme ensoldate futuriste, Christina Hendricks dans Mad Men enbelle plante vénéneuse et Kim Kardashian enmère et bombe. Quant au retour du magazine Luietà la sortie du film Lovelace, on peut s’attendre àune tendance de Playboy Bunnies nouvelle génération. Une réaction bienvenue face auconservatisme actuel et à la mode ambiance chasse et pêche des saisons passées. Espérons juste quecette montée en gloire du néné ne vire pas au mode cagole quand elle tombera entre les mains desenseignes bon marché… Alice Pfeiffer

les seins, le retour

ça va, ça vient les cheveux bleus

1986 La coupe garçonne azur de Jill Bioskop –héroïne de la cultissime bande dessinée La Femme Piège d’Enki Bilal– révèle uneféminité en mutation, dans une société dystopique où ses voisins sont hommes-oiseaux. Alliée à des vêtements ultrasexy, elle raconte une existence à la fois posthumaine et charnelle.

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Si la choucroute de Marge Simpson est bleu ciel, c’est parce qu’elle se teint les cheveux, ces derniers ayant viré au gris quand elle avait 17ans. Ce personnage aux couleurs primaires et à la coiffure sixties donne lieu à une vision rétro et enfantine, contraste décapant avec son franc-parler. Résultat: undécalage postmoderne explosif.

Dans La Vie d’Adèle, Léa Seydoux alias Emma a les cheveux assortis à ses yeux céruléens, et pense ainsi révéler au monde son statut d’étudiante d’art –ils symboliseront surtout une féminité qui se place en dehors de lanorme reproductive, libérant la sexualité de son histoire. Emma en devient alors un irrésistible petit animal culturel et lascif. A. P.

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House of Cards, la série produite par Netflix avec le cinéaste David Fincher aux commandes, démontre une fois de plus que le genre est en révolution permanente. Elle débarque sur Canal+ dès la fin août. Tour d’horizon d’une rentrée riche en propositions passionnantes, tous médias confondus. dossier réalisé par Olivier Joyard

Netflix/Sony Pictures/Canal+

Fincher rebat les cartes

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Kevin Spacey est Francis Underwood, anti-héros manipulateur et sans pitié

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ans l’un des premiers épisodes d’House of Cards, une jeune journaliste en pleine ascension se voit proposer un poste de correspondante à la Maison Blanche par le Washington Herald, un emblème de la presse américaine, succédané fictionnel du Washington Post. Le rêve de tout journaliste politique sensé ? Peut-être dans l’ancien monde. Mais l’ancien monde s’est effondré. L’impudente refuse le poste, débarrasse son bureau avec fracas, avant de partir travailler pour un site d’information flambant neuf. Difficile de croire que le scénariste Beau Willimon et David Fincher, les cerveaux derrière cette adaptation d’une minisérie anglaise de 1990, n’aient pas imaginé ce moment comme une métaphore amusée, voire légèrement sale gosse, de leur propre destin. Dans l’ancien monde, House of Cards aurait dû atterrir sur les écrans de HBO ou de Showtime, là où sont diffusées lesséries adultes d’aujourd’hui, à forte valeur ajoutée culturelle, comme Gameof Thrones ou Homeland. Mais la plate-forme de streaming Netflix(environ 30millions d’abonnés aux Etats-Unis) cherchait à marquer lesesprits en développant du contenu original. Elle a posé 100millions dedollars sur la table et commandé d’emblée deux saisons de la série, afind’éloigner les curieux, c’est-à-dire les importantes chaînes câblées subitement reléguées au rang de spectateurs, sonnées par ce hold-up légal d’internet sur leur territoire naturel. Même si en France la série s’apprête àêtre diffusée de manière classique sur Canal+, la destination première de House of Cards n’est pas le petit écran. On ajoutera que ses deux premiers épisodes ont été réalisés par le cinéaste majeur de Zodiac et que son acteur principal, Kevin Spacey, n’avait pas mis les pieds en dehors du grand écran ou du théâtre depuis plus de vingtans. Alors, télévision, cinéma, internet ? Toutà la fois. Bienvenue dans un monde bizarre où la télévision est fabriquée pour internet, par des stars venues du cinéma. Il arrive que certaines œuvres transgenres définissent une époque au-delà d’elles-mêmes.

House of Cards en fait partie. Avant même qu’elle ne surgisse sur les écrans, il était difficile de trouver en 2013 un exemple plus emblématique de la force d’un genre –la série– autrefois méprisé mais aujourd’hui au centre du jeu culturel mondial. Un genre mûr au point d’imaginer sa propre mutation, sondépassem*nt ? Une chose est certaine: à force de dire aux séries qu’elles ressemblaient à des films, elles ont fini par y croire. L’idée affleure devant les deux premiers épisodes remarquables mais troublants de House of Cards, où la confusion est possible sur la nature de ce qui est vu. Dans un style nocturne cohérent avec celui de ses derniers longs métrages, David Fincher y raconte l’histoire du politicien démocrate Francis Underwood. Ce député puissant et expérimenté va obtenir un poste majeur (Secretary of State, équivalent du ministre des Affaires étrangères) auprès du président fraîchement élu. Mais la promesse qui lui avait été faite n’est pas tenue. Pur pragmatique, le voilà prêt à tout écraser sur son passage pour remonter la pente, en retournant sa veste autant de fois que nécessaire. Ses adversaires tremblent, ils connaissent ses méthodes. Elles n’ont rien à voir avec celles de ses plus illustres prédécesseurs dansl’histoire des séries politiques,

lesmembres de la fine équipe idéaliste et stylée d’Ala Maison Blanche. L’époque n’est plus au swing. Fincher filme sonhéros comme un animal nocturne, un vampire qui arpente les bureaux, lesrues et les sous-sols de Washington. Avec lui, l’espace démocratique devient un espace rongé par la mort. Underwood le balaie sans difficulté, comme Mark Zuckerberg faisait des dédales d’Harvard son jardin dans TheSocial Network. Toutce qu’il entreprend est opaque et transparent à la fois. Pour lui, le pouvoir est d’abord une affaire de géographie ; son but est de ne jamais céder un pouce de terrain, de s’échapper sans cesse telun passe-muraille. Pour Fincher, toutl’enjeu est de rendre ce mouvement fluide, presque imperceptible, dans lepur glissem*nt ouaté des plans. Autant le dire: il faut du temps pour accepter que David Fincher n’ait pas réalisé l’ensemble de la première saison de House of Cards –Carl Franklin, JoelSchumacher, James Foley, Charles McDougall et Allen Coulter ont ensuite occupé son fauteuil. Le deuil s’étend au moins sur deux épisodes, où les défautsde la série deviennent visibles, notamment une certaine pesanteur démonstrative, un esprit de sérieux qui offre une place limitée à l’ambiguïté et peut laisser froid. Mais vers la mi-saison, le vaisseau décolle dans des directions insoupçonnées. Débarrassée de l’ombre

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“un projet indiscutable” Comme d’autres grands cinéastes d’Hollywood, David Fincher a franchi le pas pour House of Cards. Il nous explique pourquoi cette nouvelle aventure l’a tenté.

S Netflix/Sony Pictures/Canal+

ollicité par Netflix pour réaliser les deux premiers épisodes d’House of Cards et produire la première saison, David Fincher a rejoint la liste toujours plus impressionnante des cinéastes importants –Martin Scorsese, Gus Van Sant, Jane Campion, Michael Mann– impliqués récemment dans une série. Une expérience qu’il n’a pas prise à la légère.

bienvenue dans un monde bizarre où la télévision est fabriquée pour internet, par des stars venues du cinéma de Fincher (ou l’ayant absorbée), House of Cards révèle des personnages perdus dans des abîmes soudain vertigineux et se transforme en fresque intime, ravagée. On finit par regarder une série, une vraie, sans se poser d’autres questions sur sa nature. L’ambition shakespearienne affichée par le scénariste et dramaturge Beau Willimon (il dit ouvertement s’être “inspiré de RichardIII et Macbeth”) s’incarne alors de manière simple et émouvante. C’est l’affrontement à couper le souffle entre Underwood et sa femme Claire (Robin Wright) où se mêlent la peur devieillir et celle de ne plus aimer ; c’estla déchéance d’un homme filmée pas à pas ; c’est le calme aérien de l’épisode11, sans doute le sommet de la saison. Regarder une série ressemble parfois à une course de fond. Dans House of Cards, tout glisse jusqu’à ce que quelque chose accroche brutalement. Làse joue le drame, chuchoté et imprévisible, où les hautes solitudes personnelles croisent celle du pouvoir. House of Cards à partir du 29 août sur Canal+

Alors que votre carrière de cinéaste à Hollywood s’épanouit depuis plus de quinze ans, vous réalisez avec House of Cards votre première série. Pourquoiavoir franchi le pas ? David Fincher– C’est d’abord l’état du cinéma qui m’a donné envie de réaliser une série. A Hollywood, imaginer des projets de films n’est plus aussi stimulant. Dans le cinéma à grand spectacle, la réflexion sur les personnages n’a pas lieu. Je dirais qu’ils sont conçus en dehors du récit, comme des pièces rapportées. Cene sont plus des personnes. Qui vous a marqué cesvingt dernières années ? Acette question, beaucoup répondraient Tony Soprano. Le héros de David Chase est devenu une icône culturelle car on lui a donné letemps de se contredire, de se transformer au fil des heures, de révéler des facettes infinies de lui-même. Pour moi, le temps représente une source de dramaturgie majeure. Voilà pourquoi j’ai eu envie de m’essayer à la forme longue que permettent les séries. Cela faisait déjà quelques années que je cherchais un projet solide. Quand on m’a proposé un remake d’House of Cards, j’airegardé la série anglaise originale des années90, inspirée du livre d’un politicien conservateur, MichaelDobbs. Très impressionnant. Nous avons cherché un scénariste pour adapter cet univers marqué par une époque et un pays à la réalité de la vie politique américaine contemporaine. C’est là que Beau Willimon est intervenu à l’écriture. Ensuite, les comédiens, et pas des moindres, ont embarqué dans l’aventure: Kevin Spacey, Robin Wright… Kevin Spacey est incroyable dans la série, non ? Il réussit à être à la fois dans la frontalité et la distance… Lors de notre première lecture en commun, j’ai expliqué à tous les acteurs présents qu’ils étaient mes premiers choix. La barre était placée haut. Pourquoi était-ce le bon moment ? Je ne raisonne pas vraiment en terme de moments dans ma carrière. Il y a deux ans, Kevin Spacey jouait RichardIII au théâtre et n’était pas libre. Nous avons tout décalé pour lui. Il faut du temps aux projets pourdevenir indiscutables, du temps avant qu’un bon script ne devienne un grand script. Contrairement 17.07.2013 les inrockuptibles 33

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David Fincher, remarquable maîtred ’œuvre d’un projet qui change la donne

auxchaînes de télé, Netflix ne fait pas vraiment dans le business du développement. Une fois l’équipe créative réunie et l’orientation narrative validée, ils nous ont fait un chèque et la balle était dans notre camp. Quelle est la principale différence entre la version originale anglaise et la vôtre ? En Angleterre, l’attitude de façade selon son statut ousa classe sociale est très importante. Il y a des manières de se comporter. Tout cela est balayé quand on parle de l’Amérique, où les sentiments se lisent directement sur les visages. La vénalité, par exemple, est presque considérée comme un signe distinctif, une médaille de guerre. Dans la politique, l’entertainment et le business, les gens se vantent d’être comme ça. Joel Silver (producteur de Matrix, notamment –ndlr) a dit un jour: “Je me trahirais moi-même en me plantant un couteau dans le dos pour remporter un contrat” ! Il le pensait vraiment. Le héros d’House of Cards, Francis Underwood, se situe dans cette lignée. C’est un type qui pensait obtenir le poste de sa vie à la Maison Blanche, mais ne l’obtient pas. Il décide de se venger. Manipulateur et sans pitié, Francis Underwood est-il un pur produit de l’époque, comme l’était avant lui Mark Zuckerberg dans The Social Network ? Francis Underwood n’a rien d’inhumain à mes yeux. Ilpossède un certain charme sudiste, une séduction. Ilpense être capable de contraindre la réalité à ses désirs mais il se rend compte que le système ment aussi àceux qui le nourrissent. Cela peut être perçu comme un point de vue cynique. Mais pour moi, le cynisme, c’est autre chose. C’est quand un film met en scène ses personnages en situation d’être violentés ou torturés, afin de justifier ensuite leur réponse radicale. House of Cards en est tout de même loin. Les gens qui sont promus sans raison existent partout, des choses étonnantes se passent dans nos démocraties. Le montrer à travers une fiction me semble normal. Nous aurions pu choisir un angle à la Frank Capra, imaginer le réel tel qu’il devrait être. Mais House of Cards préfère montrer comment

onchange vraiment le monde, à l’abri des regards. Francis Underwood parvient à mener des réformes, même si son système de valeurs ne plaît pas. Vous avez réalisé les deux premiers épisodes magnifiques de la série. Pourquoi pas plus ? Je ne pouvais pas tourner plus de deux épisodes. Sortir de terre une série représente un travail énorme que je ne soupçonnais pas. J’ai besoin en moyenne dedeux ans pour arriver au bout d’un film, on parle ici de treize heures de fiction tournées en quelques mois, au prix de semaines de cent heures. Il m’a donc fallupasser la main et je suis très heureux du travail descinq autres réalisateurs. J’ai simplement eu besoin d’un temps d’adaptation. On imagine les personnages se comportant de telle manière et puis un réalisateur arrive avec des idées différentes. Apriori, je ne supporte pas ce genre de choses, mais là, c’était différent. Les personnages de série sont comme des enfants: il faut les laisser se développer et être qui ils doivent être. Vous êtes crédité en tant que producteur exécutif tout au long de la saison. Quel a été votre rôle ? J’ai eu accès aux rushes au fur et à mesure, visionné les montages successifs et émis des suggestions. J’ai tourné la plupart des inserts et beaucoup de plans de voitures. J’ai aussi pris en charge les loopings (dialogues réenregistrés –ndlr) et supervisé les effets spéciaux. Avec Beau Willimon, qui a écrit la série, tout le travail aconsisté à trouver une cohérence à l’ensemble. J’aipris l’affaire très au sérieux. Netflix nous a laissé laresponsabilité de la série et il a fallu assumer. Les épisodes que vous avez réalisés se situent visuellement dans la lignée de vos films depuis Zodiac: une atmosphère nocturne, des plans larges. Avez-vous amené votre cinéma à la télévision ? Il a longtemps existé un système de croyances sur latélévision. Il y a peu, on disait encore que la télé étaitun médium prévu pour les gros plans. Ce n’est pas vrai. Ce n’est plus vrai. La taille moyenne d’un écran domestique américain a atteint 32pouces. Les abonnés

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le carré d’as d’House of Cards

Paramount pictures

On est prêt à parier que ces quatre personnages vont nous accompagner pendant plusieurs années.

“les personnages de série sont comme des enfants: il faut les laisser se développer”

à Netflix ont tous la HD en option. L’idée que la télé repose sur une grammaire simple constituée d’un plan général suivi de champs/contrechamps sur des gens qui parlent n’est plus en phase avec la réalité. Les films sont devenus des spectacles numériques, tandis que la télévision ressemble de plus en plus aux films adultes qu’Hollywood produisait il y a quelques décennies. On y regarde les acteurs à mi-distance. Mon travail surHouse of Cards tient compte de cela. Au-delà du rapport séries/cinéma, c’est peut-être Hollywood qui est en train de changer avec desexpériences comme House of Cards. Auriez-vous le désir de tourner un film pour Netflix ? Un jour viendra où des gens comme moi tourneront des films pour Netflix ou un autre opérateur, bien sûr. Avec près de 30millions d’abonnés qui payent 9dollars par mois, l’argent est là. Ce serait marrant d’organiser des projections où tout le monde viendrait avec son iPad et un casque ! Nous ne sommes pas si loin d’un grand chambardement. Techniquement, la qualité de production qu’on associait il y a encore cinqans au cinéma à gros budget est en train de se démocratiser. Quand j’ai commencé à travailler sur L’Etrange Histoire de Benjamin Button, nous utilisions des effets numériques dernier cri pour transformer des visages, remplacer des têtes, les mettre sur un autre corps de manière crédible… Ces plans coûtaient plus de 100 000dollars l’unité. Aujourd’hui, je travaille sur des essais pour Vingtmillelieues sous les mers, que j’espère réaliser, avec des techniques incroyablement élaborées. Des plans sous-marins garnis de particules, de végétation et de poissons devraient coûter environ 25 000dollars pièce. Des gamins de 22ans postent des films sur Vimeo avec un rendu visuel incroyable et ils font ça à la maison ! Quand n’importe qui peut “détruire” une ville en appuyant sur un bouton depuis son sofa, c’est le signe que le cinéma ne va plus être le seul à proposer cela. A quoi va ressembler l’expérience du cinéma dans un futur proche ? Impossible de le savoir exactement.

Francis Underwood (Kevin Spacey) Son désir ? Dominer son prochain pour mieux dominer le monde. Satactique ? Se laisser aspirer pour mieux contrôler la manœuvre en dernier recours. On ne souhaite même pas àson pire ennemi de croiser ce vieux loup de la politique américaine, rendu fou par la trahison du Président après une promesse trop belle pour être vraie. Héritier de quinzeans de bad guys en séries (de Tony Soprano au Walter White de Breaking Bad), Underwood est moins un antihéros qu’un héros incomplet: il ne peut pas tout alors qu’il voudrait tant. Interpellant le spectateur face caméra, Kevin Spacey incarne ceMachiavel moderne avec un plaisir vorace.

Claire Underwood (Robin Wright) Encore une “femme de” recrutée pour poser sur l’affiche ? Surtout pas. Malgré les apparences (elle s’occupe d’une association humanitaire), l’épouse de Francis Underwood est l’undes plus forts personnages féminins croisés ces dernières années, subtil mélange de style et de spleen. “Laréférence, c’est Lady Macbeth, une femme puissante, dure comme le marbre, dont on sait très peu”, explique Robin Wright, géniale de bout en bout des treize épisodes. L’actrice de Forrest Gump et de Princess Bride trouve enfin un second souffle danssacarrière, même si la sortie en salle du Congrès, ledernier film d’Ari Folman, n’a pas obtenu le succès espéré.

Peter Russo (Corey Stoll) Alcoolique mais brillant, brutal maisfaible, sexy mais grossier, le jeune parlementaire de Pennsylvanie Peter Russo a tout pour être alternativement un cliché ambulant et un type dont on ne peut se passer. Mais son évolution assez extrême au cours de la première saison d’House of Cards laisse tous les doutes sur le bord duch*emin. Corey Stoll, jusque-là croisé dans divers rôles télé mineurs, s’impose comme une révélation. Il devrait rapidement aligner les rôles de dépressif séduisant.

Zoe Barnes (Kate Mara) La caution jeune de la série est une journaliste aux dents longues qui déteste tenir un journal papier dans ses mains –ces choses-là tachent, prennent une place impossible– et préfère les news version 2.0. sur internet. Son duo avec Francis Underwood (ils se refilent des infos) fait mouche grâce à quelques scènes perverses. Après avoir révélé le talent de Rooney Mara en lui offrant l’ouverture inoubliable de TheSocial Network puis le rôle fomidable de Lisbeth Salander dans Millenium –Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, David Fincher fait de même ici avec sa grande sœur Kate, âgée de 30ans et toute aussi glaçante qu’elle. 17.07.2013 les inrockuptibles 35

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le grand accélérateur Aux Etats-Unis, l’opérateur de streaming Netflix faitsa loi et propose désormais des séries originales. En France, après Orange, Canal+ lance sa chaîne dédiée. Un maître-mot: la vitesse.

L

e choc a eu lieu le 1erfévrier dernier. A quelques semaines des oscars, le tout-Hollywood s’est mis à ne parler que d’une série. Une série impossible àtrouver à la télévision, dont la simple existence entérinait de facto lafin du petit écran comme lieu d’élection naturel du genre. Après plusieurs années de teasing, l’opérateur de streaming Netflix avait décidé de lancer sa fiction politique House of Cards, mettant en avant le gros coup réalisé: un projet pharaonique chipé à prix d’or aux mastodontes comme HBO, avec David Fincher en producteur/réalisateur et Kevin Spacey devant la caméra (lire p.32). Une série dont elle avait commandé deux saisons de treizeépisodes sans en avoir vu une seule image, pour la mettre en ligne exclusivement sur son site. Cerise sur legâteau, Netlifx “offrait” à ses abonnés (une trentaine de millions en Amérique, à neuf dollars par mois) l’intégralité dela première saison ce jour-là. Un changement de paradigme à Hollywood, où depuis plus de soixanteans, les chaînes de télévision conservaient la mainmise sur les séries sans se poser de questions. Une aubaine pour Netflix, qui affirme avoir gagné deux millions d’abonnés dans le trimestre suivant et dont l’action a grimpé de 345 % depuis 2012…

Quelques mois plus tard, le célèbre magazine de l’industrie Hollywood Reporter résumait l’ambiance sur les collines de Bel Air en titrant: “La menace (et le frisson) Netflix”. Dans une interview, Ted Sarandos, 48ans, ne prenait même pas la peine d’expliquer pourquoi son entreprise, jusque-là simple robinet à films et à séries, avait choisi de se lancer dans la création originale en bousculant toutes les méthodes de production et de diffusion du secteur –Netflix élimine notamment la phase de développement. “J’ai un profond respect pour les fondamentaux de la télé, mais pas de révérence”, expliquait-il. Les contours du modèle Netflix sontàla fois impressionnants et un peu effrayants. Profitant des données qu’il possède sur ses abonnés, l’opérateur amis en place des algorithmes pour déterminer leurs goûts. Ceux-ci lui ontpermis de déterminer qu’une série politique réalisée par David Fincher avecKevin Spacey était le bon choix... Durant la phase de promotion, plusieurs bandes-annonces destinées à des profils particuliers ont été mises en ligne demanière ciblée. Avec Netflix, les projections-tests et les pilotes réalisés pour tester la viabilité d’un projet n’ontplus lieu d’être. A partir du moment oùune décision ferme a été prise,

lesclés sont données aux créateurs. Unrenouvellement assez radical dans l’approche de la fiction qu’Hollywood n’avait plus connu depuis les années90 et l’explosion des séries d’auteur comme LesSoprano, diffusées sur… HBO. La méthode Netflix n’a pas manqué desusciter des commentaires pas toujours élogieux et souvent pertinents. Pourcertains, le fait de mettre àdisposition tous les épisodes d’une série le même jour possède des effets pervers, comme celui de créer un événement puissant mais bref, similaire au premier week-end de sortie d’un film. Ensuite, le soufflé retombe. L’un des principaux agents d’Hollywood, Peter Micelli, a ensuite révélé quelques secrets lors d’une conférence à UCLA. Le coût par épisode d’House of Cards aurait explosé à cause des exigences deDavid Fincher, passant “bien au-delà” des quatre millions de dollars annoncés. Trop dépensière, Netflix ? La machine estpourtant lancée. L’opérateur a mis en ligne Hemlock Grove, Arrested Development et Orange Is the New Black depuis leprintemps et annonce pour l’année prochaine Sense8, une série de sciencefiction signée Lana et Andy Wachowski. Emblème de la maison, House of Cards pourrait rafler la mise lors des prochains Emmy Awards, les oscars de la télé.

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Hannibal (Canal+S éries), starring Mads Mikkelsen

Mais “il reste à savoir si cette série constituera la panacée ou si elle aura ouvert la boîte de Pandore”, comme l’expliquait justement le magazine Forbes. Plusieurs autres géants d’internet sont en effet sur les startingblocks pour lancer leurs propres séries: Amazon, Hulu et bientôt Microsoft, qui a débauché Nancy Tellem, ancienne patronne de CBS Television Studios, pour imaginer des fictions en streaming via la XBox… A terme, un secteur entier pourrait migrer vers le net, et de nombreuses interrogations émerger. Même si le poids de la tradition (et les ventes internationales, destinées en priorité àdes chaînes de télévision classiques) force pour l’instant les séries à rester dans des schémas conventionnels, rien n’empêcherait le sacro-saint découpage en épisodes de durée identique, historiquement dicté par les besoins de la grille télévisuelle, de voler en éclats. Netflix a déjà renoncé aux cliffhangers systématiques pour retenir le spectateur. “Des formes hybrides vont émerger”, comme le prédit David Fincher. En France, Netflix n’a pas encore frappé à la porte, principalement pour des raisons légales liées à la chronologie des médias. Mais l’opérateur, déjà

présent au Royaume-Uni, en Irlande etdans plusieurs pays nordiques, espère arriver l’année prochaine. Certains ici s’y préparent à leur manière. Canal+ propose déjà une offre illimitée en streaming par abonnement (Canal Play Infinity), pour l’instant limitée à 5 000 contenus. C’est dans ce contexte à la fois incertain et porteur en termes de buzz que la chaîne cryptée lance le 21septembre Canal+Séries, chaîne “classique” dédiée à 100 % au genre, proposée à ses abonnés sans supplément de coût. “Les séries étant devenues un vrai référent culturel, créer une chaîne nous a semblé naturel”, explique Rodolphe Belmer, directeur général adjoint du groupe, en réfutant l’idée d’une décision défensive. L’ambition est tout de même de “contrer les résiliations” dans une période délicate pour la chaîne, confrontée notamment àla concurrence féroce de BeIN Sport, voire de OCS, le bouquet séries et cinéma d’Orange, désormais disponible sur le câble. Sans être a priori la chaîne rêvée de la niche de fans qui téléchargent etvoient tout (un créneau plutôt réservé àOCS, qui possède les droits de première exclusivité des séries HBO), Canal+ Séries devrait s’imposer comme un relais majeur du genre en France.

Quelques acquisitions de nouveautés intéressantes comme Hannibal (les nouvelles aventures de l’inquiétant DrLecter), TheAmericans ou l’Anglaise Utopia (lire pages suivantes) se mêleront à plusieurs grands noms –The Big Bang Theory, Mad Men, Shameless, etc. Desmarathons de saisons seront diffusés le week-end. Mais la clé duspectacle et le nerf de la guerre, c’est, comme l’explique lui-même Rodolphe Belmer, “la vitesse”. Canal+ Séries proposera un soir parsemaine une série américaine entre deux et sept jours après sa diffusion originale. Ce sera en version anglaise sous-titrée, en prime-time. “Si à certaines occasions, nous n’avons pas le temps de produire de bons sous-titres, nous diffuserons en version originale sanssous-titres”, indique-t-on à Canal+. Prendre le piratage à son propre jeu constitue un pari –OCS propose déjà des séries en direct des Etats-Unis, mais uniquement à la demande– dont l’avenir dira s’il s’agit d’une réussite. Impossible aujourd’hui de prendre le recul nécessaire dans le tourbillon ambiant, où les manières de fabriquer et deregarder les séries se transforment profondément. Pour l’instant, un seul vainqueur incontestable semble se profiler: le spectateur. 17.07.2013 les inrockuptibles 37

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paris gagnants Dans les starting-blocks pour leur première saison ou proches de la ligne d’arrivée, elles sont toujours dans la course.

bientôt de retour Mad Men saison 6 Vous avez laissé tomber Mad Men ? Vous n’êtes pas le (la) seul(e). Après avoir endossé le costume encombrant du chef-d’œuvre adulé, la création de Matthew Weiner a vu son buzz retomber. Usure naturelle, baisse de qualité intermittente: plusieurs raisons se sont télescopées. Sauf que la sixième saison des aventures de Don Draperest simplement sublime. Le héros gominé y traîne sa mélancolie à travers 1968, année charnière de l’assassinat de Martin Luther King et des protestations contre la guerre au Vietnam. Aux secousses dans la civilisation répondent les failles personnelles d’un homme désormais incapable de comprendre son époque, en difficulté au travail et dans sa vie familiale. Des les premières images, ce publicitaire décidément atypique lit L’Enfer de Dante sur une plage paradisiaque. Bientôt, il se repliera sur lui-même, en plein trip morbide et destructeur, avant de reprendre le fil de son enfance longtemps occultée. Certains personnages subiront comme lui la piqûre soudaine du passé. Leur but commun ? Ne pas rester tétanisés trop longtemps par ce surgissem*nt d’angoisse. Avancer en attendant le compte à rebours final. La dernière saison de Mad Men est prévue pour 2014. à l’automne sur Canal+ Séries

Justified saison 4 Il reste encore de bonnes séries méconnues –l’extraordinaire Friday Night Lights fut en son temps un exemple parfait. Vissée dans l’Amérique profonde, cette variation postwestern sur l’univers de l’écrivain Elmore Leonard s’épaissit un peu plus chaque saison. A noter un duel d’acteurs de haut vol, entre Timothy Olyphant (Deadwood) et Walton Goggins (TheShield). Adécouvrir absolument. en octobre sur OCS

Série vaguement insaisissable pour des téléspectateurs nostalgiques de H et peu familiers des modes d’écriture absurdes (Larry David, Ricky Gervais…), Platane s’enracine dans un registre de comédie inédit en France avec une seconde saison placée sous le signe de la continuité de son éloge subtil de “l’idiotie”. Eric Judor et Ramzy s’entourent d’une myriade de personnages secondaires hilarants, qui donnent à la série, pleine de non-sens, tout son sens. en septembre sur Canal+

Frank Ockenfels/AMC/Lionsgate Canal+

Platane saison 2

Mad Men

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Craig Blankenhorn/Fox/Canal+

The Americans

bientôt en France The Americans Après une quinzaine d’années de vie commune, deux beaux enfants sans histoires et quelques matins gênants à ne pas toujours savoir quoi se dire, un homme et une femme décident de faire le point. Tout pourrait être banal, si l’homme et la femme en question n’étaient pas un couple d’espions russes installés aux Etats-Unis depuis la fin de leur adolescence et mariés d’autorité par le KGB pour mettre à genoux l’Amérique. Tout pourrait être banal si nous n’étions pas au début des années Reagan, en1981, en plein revival de la guerre froide. Personne n’imagine alors qu’elle pourrait un jour s’achever… Par quel stratagème implacable le temps vous tue, littéralement et symboliquement ; comment les idées, les sentiments et les corps s’usent: tel est le sujet de cette série à la charge émotionnelle stupéfiante. Ici et là, quelques outrances et invraisemblances. Mais à quoi bon faire la fine bouche devant une bombe de sensibilité qui marque le retour intense de Keri Russell (Felicity), révèle d’autres comédiens hors norme (Matthew Rhys, Noah Emmerich) et se permet deux minutes trente d’images sans paroles nappées du sublime Siamese Twins de The Cure pour terminer un épis ode ? à l’automne sur Canal+ Séries, saison2 en 2014 sur FX

Top of the Lake Dans une communauté isolée de Nouvelle-Zélande, une préadolescente enceinte disparaît mystérieusem*nt. Top of the Lake fait décoller le genre policier vers des hauteurs féminines plutôt rares. Sept épisodes atmosphériques coécrits et réalisés par Jane Campion (Palme d’or1993 pour LaLeçon de piano) avec l’exceptionnelle Elisabeth Moss (Peggy dans Mad Men) à chaque plan ou presque. L’un des événements de l’année, déjà présenté aux festivals de Berlin et Cannes. en octobre sur Arte

Utopia Les fans d’un roman graphique culte sont confrontés à une organisation criminelle qui veut leur peau. Une série anglaise en six épisodes à la fois pleine de distance et très inquiétante. Un poil étouffante dans sa recherche de perfection plastique, Utopia reste singulière et donne un nouveau gage de la bonne forme des séries d’outreManche. A l’écriture, Dennis Kelly, un dramaturge adepte de l’univers radical de Sarah Kane. à l’automne sur Canal+ Séries

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bientôt aux States Agents of the S.H.I.E.L.D. Depuis quelques saisons, les grandes chaînes hertziennes semblent incapables de répondre à la montée en puissance du câble. Il y a même de quoi désespérer devant le manque d’ampleur et d’inventivité des séries proposées chaque rentrée de septembre par les networks américains. Ce qui fut autrefois un rendez-vous incontournable pour les amateurs de séries –en 2004, Lost, DrHouse et Desperate Housewives avaient débarqué à cette occasion– s’est transformé en litanie de ratages plus ou moins spectaculaires. Cette année encore, peu de projets stimulent l’imagination, sauf peut-être Agents of the S.H.I.E.L.D., à l’initiative de Marvel Television, qui produit là sa première série en dehors du domaine de l’animation. Rien à voir avec la grande saga policière des années2000: il s’agit d’un dérivé du film de science-fiction multimilliardaire Avengers (2012) avec comme personnage principal l’agent Phil Coulson. Ressuscité pour l’occasion, celui-ci mènera une bande d’enquêteurs concentrés sur les phénomènes étranges. La principale raison d’y croire ? Joss Whedon, grand manitou des geeks et créateur de Buffy contre les vampires, a coécrit et réalisé le pilote –il avait déjà signé le film. On espère un nouveau Heroes. à partir du 24 septembre sur ABC Arpajou/3B/Arte

Orange Is the New Black Plus la peine de pleurer la fin récente de Weeds puisque sa créatrice Jenji Kohan est de retour aux affaires. Avant la diffusion du premier épisode d’Orange Is the New Black, sa nouvelle comédie située dans une prison de femmes, l’opérateur de streaming Netflix avait même commandé une deuxième saison. Une nouvelle mode. Il faudra réussir au moins un chef-d’œuvre ironique et cassant pour en être digne. à partir du 11 juillet sur Netflix

P’tit Quinquin de Bruno Dumont

bientôt en tournage P’tit Quinquin Bonne nouvelle: Bruno Dumont, l’un des cinéastes français les plus radicaux, s’attelle à une série télé, rejoignant quelques prédécesseurs illustres comme Maurice Pialat (LaMaison des bois, 1971), Olivier Assayas (Carlos, 2010) et Raúl Ruiz (Mystères de Lisbonne, 2010). L’auteur de LaVie de Jésus et de Camille Claudel1915 tourne en effet cet été dans sa région fétiche du Nord les quatre épisodes de P’tit Quinquin –du nom d’une célèbre chanson populaire lilloise–, une histoire policière dont on imagine sans mal qu’il l’habillera d’un léger twist par rapport au modèle dominant type Experts. Au menu, des cadavres découverts dans un village et un duo de flics qui enquêtent à leur manière. Dumont plante lui-même le décor: “Policiers improbables, pourtant tout à l’œuvre et au dévouement sincère d’une enquête macabre et mystique ; enfants canailles portés à des sentiments d’adultes ; adultes dévoyés, véreux... tous, naufragés d’une société française en délitement, mais tous emportés et soufflés par la poésie, l’humour, la farce qui, indéfectiblement, les illuminent.” Un programme ambitieux à voir l’année prochaine. Arte

Masters of Sex Avec ce titre plus accrocheur que L’amour est dans le pré et Sexe Intentions réunis, la chaîne du câble Showtime (Homeland, Dexter) s’assure au minimum la curiosité naturelle du public lubrique. Reste à savoir si les aventures de Virginia Johnson et William Masters, pionniers de la sexologie dans les années50, se montreront à la hauteur de la promesse. à partir du 29 septembre sur Showtime Agents of the S.H.I.E.L.D.

American Gods Depuis son incursion successful dans le domaine de la fantasy avec Game of Thrones, HBO veut faire des séries de genre son nouveau filon. Dans American Gods, d’après la saga littéraire de Neil Gaiman, les divinités mythologiques vivent de nos jours, parmi les humains. Des rumeurs contradictoires circulent sur le projet, qui pourrait toutefois se concrétiser dès cet été, avec la commande simultanée de plusieurs saisons. HBO

The Leftovers A part se faire insulter régulièrement sur Twitter pour avoir “gâché” la vie de quelques fans éperdus de Lost, l’ancien showrunner de la série phare des années2000, Damon Lindelof, n’avait pas accompli grand-chose depuis l’épisode final à la télévision. Le voici de retour par la grande porte, sur HBO, grâce à une série… postapocalyptique adaptée du roman de Tom Perrotta. Le pilote est réalisé par Peter Berg, avec Justin Theroux et Liv Tyler dans les premiers rôles. Diffusion prévue en 2014. HBO 17.07.2013 les inrockuptibles 41

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Ursula Coyote/AMC

Breaking Bad

bientôt fini Suicidé ? Mort des suites de son cancer ? En prison pour le restant de ses jours ? Patron de cartel au Mexique ? Pompiste à Portland ? En cavale à Caracas ? Président des Etats-Unis ? Mise à part la dernière option, les paris sont ouverts pour imaginer à quelle sauce va être mangé l’incroyable Walter White, parrain désormais en bout de course de Breaking Bad. Il y a encore une ou deux saisons, cet homme au look discutable était encore capable de se mentir à lui-même et de soutenir mordicus qu’il était passé de prof de physique-chimie à fabricant/dealer de méthamphétamine pour le bien de sa famille. Cette idée lui est définitivement sortie de la tête. Maintenant, “le danger, c’est moi”, clamait-il l’été dernier, dans la première partie de l’ultime saison. Walter White, alias Heisenberg, n’a plus peur de rien ni personne. Ce qu’il ignore, c’est que son beauf a probablement découvert son manège. Planante, tendue et souvent fascinante, Breaking Bad promet beaucoup pour sa conclusion en huit chapitres. Le dernier épisode sera diffusé aux Etats-Unis le 29septembre. “J’ai pleuré en écrivant la fin”, a prévenu le créateur Vince Gilligan, qui envisage de lancer un spin-off centré sur l’avocat véreux mais hilarant de la série, Saul Goodman. à partir du 11 août sur AMC

Treme saison 4 Le tournage de l’épopée sociale et musicale post-Katrina de David Simon (TheWire) s’est terminé en février à la NouvelleOrléans. La quatrième et dernière saison a été raccourcie par HBO à cinqépisodes, faute d’audience. Cela ne change rien au fait que Treme restera essentielle. Rarement une série aura à ce point incarné dans sa chair la capacité profonde du genre à suivre le rythme de la vie. à partir de décembre sur OCS à la demande

Dexter saison 8 L’un des héros les plus captivants des années 2000 tire sa révérence ensanglantée. Il était temps, non seulement parce que les années2010 sont désormais largement entamées, mais aussi parce que Dexter a perdu beaucoup de mordant et d’originalité. Une saison8 à voir tout de même, car la fin d’une grande aventure se doit d’être grande. depuis le 1er juillet sur Showtime

Jessica Forde/Canal+

Breaking Bad saison 5

Tunnel bientôt terminé Le réalisateur Dominik Moll est aux manettes des deux premiers épisodes de cette coproduction franco-anglaise. Nous étions sur le tournage.

U

ne charmante route de campagne bucolique, caricaturalement anglaise, mène au tournage du dernier épisode de Tunnel. Le soleil de juillet et les sourires de l’équipe, soulagée de pouvoir enfin tomber les pulls, sont trompeurs. Cette adaptation d’une série suédo-danoise très cotée chez les sériephiles ne parle que de morts et de catastrophes personnelles. Le pitch ? Un cadavre est retrouvé sur la ligne de démarcation entre France et Angleterre, au milieu du tunnel sous la Manche. Dans la version originale, c’était sur un pont. Dans la version américaine diffusée depuis la semaine dernière, c’est à la frontière entre Etats-Unis et Mexique. Clémence Poésy (“Tout ce qu’on attend d’une Française”, selon le magazine british Tatler, dont elle occupe la une) navigue désormais bien loin d’Harry Potter. Elle joue une enquêtrice pour le moins tendue, forcée de travailler en binôme avec un Anglais plus âgé et plus cool –Stephen Dillane, alias Stannis Baratheon dans Game of Thrones. Aux sceptiques qui suggèrent la possible exploitation cynique d’un filon, elle sait répondre. “Je n’ai pas regardé la série originale, je ne le

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ClémenceP oésy et StephenDillane, duo d’enquêteurs binational

ferai qu’après le tournage. Mais mon impression est que le concept se prête aux adaptations, même nombreuses: toutes les frontières sont différentes, non ?” A 1,5million d’euros l’épisode, Tunnel repose sur une idée excentrique: faire travailler main dans la main Français et Anglais. Sky Atlantic et Canal+ sont codiffuseurs, Kudos et Shine France se partagent la production, le montage a eu lieu à Londres, une partie du casting à Paris, le scénariste Ben Richards a supervisé l’écriture, tandis que Dominik Moll a signé les deux premiers épisodes… “Je m’aventurais pour la première fois dans une production télé, raconte le réalisateur d’Harry, un ami qui vous veut du bien (2000). Je n’ai pas eu un seul interlocuteur mais dix décideurs face à moi. Heureusem*nt, ça n’a jamais été un enfer. De toute façon, c’est précisément le côté binational qui m’a attiré. Je suis moi-même franco-allemand.” Moralité ? “Cette histoire coûte très cher en Eurostar”, rigole sans vraiment rigoler une productrice. Si Tunnel se démarque de la série nordique originale (Bron, aka TheBridge), c’est moins du côté de l’intrigue policière et du serial-killer attenant que dans sa manière d’intégrer au récit la crise morale et financière du Vieux Continent, ce que Moll appelle “la fin d’un idéal européen”. Dans le premier épisode, des images d’émeutes en Espagne au journal télévisé côtoient des plans

angoissants de la zone frontalière franco-anglaise, comme si le terrain s’effritait de partout. “Ce que j’aime, c’est l’atmosphère de calamité, de faillite sociale et politique, raconte Stephen Dillane. Comme si tout avait explosé en Europe et que nous inspections les débris. Je me retrouve dans cette constatation qu’aujourd’hui, le contrat social a été rompu.” Au milieu du chaos, deux flics se reniflent sans se toucher –c’est le côté buddy movie mélancolique de Tunnel. Le personnage de Stephen Dillane, “plus vieux, plus sage et plus triste au fil de la saison”, s’accommode du mutisme relatif de son étrange collègue française. “Elle cherche la vérité au point que toute relation sociale devient difficile, constate Clémence Poésy. Nous n’expliquons pas son comportement avec des termes médicaux. Je sais qu’il s’agit d’une tendance forte chez les héroïnes de séries, qui les rend d’ailleurs passionnantes. Mais notre approche est différente.” Avant d’attaquer le sprint des ultimes semaines de tournage, la néotrentenaire rapporte une conversation avec l’un des réalisateurs, Philip Martin. “Son idée était qu’au fond, le tunnel représente le lieu symbolique en soi auquel on ne peut pas échapper: tout ce qu’on a refoulé, poussé sous la mer et qui ressort un jour.” La phrase produira son petit effet au moment de rentrer à Paris, sous le tunnel exactement. O.J. Tunnel dix épisodes à partir d’octobre sur Canal+ 17.07.2013 les inrockuptibles 43

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“infiltrer le système de la publication” Figure majeure du milieu littéraire français depuis plus d’un demi-siècle, Philippe Sollers est l’un des rares à avoir réussi l’équation périlleuse d’être à la fois écrivain et éditeur. par Nelly Kaprièlian photo Frédéric Stucin pour Les Inrockuptibles

A

la tête de la collection L’Infini chez Gallimard depuis vingt-quatreans, et de sa revue éponyme, Philippe Sollers s’est imposé comme un découvreur d’auteurs (Cécile Guilbert, Régis Jauffret, Emmanuèle Bernheim, Catherine Cusset…) qui ont fait leur chemin depuis. Aussi exposé qu’amoureux de l’ombre et de sa poésie, Sollers, né en 1936, raconte aussi la revue Tel Quel, Barthes et Lacan, Bataille, tout en décrivant son parcours d’éditeur, dans le petit bureau aux murs couverts de livres qu’il occupe chez Gallimard. Et radiographie, fume-cigarette aux lèvres, plus de cinquante ans d’histoire de l’édition et de la littérature françaises. Quand et pourquoi êtes-vous devenu éditeur ? Philippe Sollers –Quand je me suis rendu compte, après avoir eu un très grand succès (avec Une curieuse solitude, 1958 –ndlr) très jeune, à 22ans –ça me paraissait très suspect–, qu’il fallait infiltrer le système de la publication. Bien m’en a pris car je peux dire aujourd’hui que si je n’avais pas joué ce jeu, d’abord au Seuil puis chez Gallimard, je ne suis pas sûr que je serais encore publié. Donc je m’auto-édite. J’ai anticipé le fait que la lecture allait disparaître. Et, d’autre part, c’était Folio qui m’intéressait pour publier le projet encyclopédique que forment certains de mes livres (La Guerre du goût, Discours parfait, etc.), avec transformation de l’appréciation de la bibliothèque entière. J’ai l’impression qu’on va vers une dévastation générale.

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“vive Snowden ! Voilà un personnage qui mérite le détour et pourrait être au centre d’un roman. C’est l’envers de l’histoire contemporaine”

Renaud Monfourny

Mon projet est né avec Barthes, ilavait fait un très beau texte autour des planches de L’Encyclopédie de Diderot. On dînait souvent ensemble et il me disait qu’il faudrait refaire l’encyclopédie. Il est mort en 1980 et j’ai suivi le programme: il fallait refaire l’histoire avec un autre point de vue. Vous avez d’abord commencé à publier Tel Quel… La providence m’aidant, j’ai réussi à former une revue trimestrielle pendant vingtans au Seuil qui s’appelait Tel Quel et qui a fait peur à tout le monde. Yannick Haenel, Lapremière fois que Foucault vient à Cerisy, il est Paris, 2011 à peine connu, mais nous le publions dans Tel Quel ; Roland Barthes, avant d’entrer au Collège de France, est critiqué partout, mais c’est moi qui publie ses livres, dont Critique et vérité, qui a créé une polémique énorme; à l’époque, personne ne connaît Derrida ou Kristeva, et c’est nous qui les publions, tout comme des entretiens autour du Nouveau Roman, etc. C’était une époque commençante qui allait vers en français, je fais très attention à ce qui arrive une révolution, qui a eu lieu d’ailleurs et qui donne à cette langue, qui est le nerf même de la vraie pensée aujourd’hui des frissons à tout le monde, c’est Mai68. révolutionnaire. Depuis, on va vers de plus en plus de régression: Pourquoi avez-vous créé L’Infini, nous sommes dans une époque réactionnaire comme la revue et la collection ? j’en ai rarement connue. On assiste au triomphe Après que nos partenaires les plus protecteurs, du capitalisme financier. Barthes, Lacan, étaient morts, ça commençait à mal Quelles sont les conséquences de notre époque sepasser pour Tel Quel, et puis j’avais le manuscrit sur la littérature ? deFemmes à publier, et ça ne passait pas au Seuil. Ça retombe en pluie fine. Surtout en France, Pourquoi ? Parce que c’est plein de femmes, et qu’au le pays de la Révolution et des Lumières. Les Français Seuil, à l’époque il y avait une telle pruderie. Je suis sont dans un état pas croyable. En France, il y a une arrivé ici par Antoine Gallimard que j’avais connu culpabilité profonde (Vichy, Moscou..). Moi, je n’ai pas en68, qui était et est toujours un ami. Je suis d’abord cette culpabilité et ça coûte très cher. J’étais dans une passé chez Denoël, en décontamination, mais famille anglophile et, pendant la guerre, l’Angleterre comme le roman a été un best-seller, j’entre chez avait toujours raison. Comme disait Hitchco*ck, je suis Gallimard en 1988-89. innocent dans un monde de coupables. J’aime la Pourquoi continuez-vous à être éditeur ? poésie. La poésie est l’acte le plus innocent qui soit. Parce que cela me maintient dans un dialogue Pas la poésie des poèmes, la poésie de la vie, la poésie permanent avec d’autres auteurs et que cela existentielle, legoût. J’ai depuis le début tendu m’intéresse beaucoup de voir comment la l’oreille ; comment c’est rythmé, comment c’est écrit, transmission de la littérature s’opère malgré tout. qu’est-ce que le langage a à nous dire. Refaire la Je fais de l’édition pour aider des gens plus jeunes, bibliothèque, la mettre en perspective, et comme j’écris car les plus intéressants ont entre 22 et 32ans, 46 les inrockuptibles 17.07.2013

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Louis Monier/Gamma

Roland Barthes, Nice, 1972

après c’est pourri. Le seul miraculé du système, c’est Jean-Jacques Schuhl. Qu’est-ce qui vous donne envie de publier un texte ? S’il y a une voix. Je reçois dixmanuscrits par semaine et c’est vu immédiatement, sur une page ou deux. Onouvre un livre pour entendre ce qu’on dit et la façon dont c’est dit. C’est acoustique. Il s’agit d’une intensité rythmique à travers laquelle quelqu’un transmet une vision qui est la sienne. C’est faire une phrase: les mots dans un certain ordre assemblé. Le grand maître du français, c’était Saint-Simon. Que pensez-vous de l’évolution de la littérature française ? Elle est en mutation de façon très intéressante. Sonrisque, c’est de répéter toujours le même cadrage naturaliste, social, car ça, c’est réactionnaire. Pourtant, vous publiez à la rentrée Les Renards pâles de Yannick Haenel, qui traite beaucoup de l’émigration… Les Renards pâles est un livre révolutionnaire car ilvous met en position de vous retrouver dans les bas-fonds de la société. Haenel a une vraie vision de la société. Il écrit une insurrection dans Paris qui est

très anticipatrice, pour dire qu’il faut se débarrasser de son identité –il y a cette scène où les personnages brûlent leurs papiers d’identité. Aujourd’hui, vive Snowden ! Voilà un personnage qui mérite le détour et pourrait être au centre d’un roman. C’est l’envers de l’histoire contemporaine, comme disait Balzac. Quand on écrit sur l’envers de la société, il faut avoir des renseignements ultrapointus. Quand Saint-Simon écrit sur Versailles, il est au courant de tout. Il y a eu Mai 68 parce que la police de de Gaulle était très mal faite et ne l’a pas vu venir. Depuis, que de progrès… Comment en est-on arrivé là ? Montée révolutionnaire dans les années60, lesannées70 furent des années de plomb, puis lespectacle a tout envahi, et aujourd’hui c’est ladévastation généralisée. La normativité dixneuvièmiste continue sous d’autres formes. Le Collège de France, avant, c’était Barthes. Aujourd’hui, c’est Antoine Compagnon, plus du tout la même chose. D’où l’absence de vrai débat intellectuel ? Mais je ne suis pas un intellectuel. C’est la littérature qui m’intéresse. Ma conviction profonde, c’est que la littérature pense plus que les philosophes. 17.07.2013 les inrockuptibles 47

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Trois livres qui racontent le parcours de Sollers éditeur

La poésie aussi. Je m’intéresse aux écrivains pour les aider àdevenir ce qu’ils pensent. Quelles sont les rencontres les plus fortes que vous ayez faites ? Tout à fait au début, je m’intéressais aux gens dont l’œuvre me paraissait injustement sous-évaluée et marginalisée. Le premier, c’était Francis Ponge, avec qui j’ai fait Tel Quel. L’apparition la plus forte, ça a été indubitablement Georges Bataille. Une présence extraordinaire. On est au Pré aux Clercs, à prendre un verre ; entre Breton, qui suivait une femme. Je vais lesaluer car j’avais été le voir rue Fontaine, et il me dit “Est-ce que ça n’est pas Georges Bataille ?” Ils ne s’étaient pas revus depuis leurs brouilles sanglantes et ils se sont serré la main. Les histoires entre ces gens-là sont d’un romanesque absolu. Bataille, silence, voix très douce, il était absolument délicieux. Il parlait très peu. On se taisait ensemble. Ce qui peut être la plus merveilleuse des conversations. Je me rappelle Beckett et Pinget setaisant ensemble pendant une heure et demie en regardant un pot de moutarde. C’était une conversation extrêmement animée (rires). Après, il y a Lacan. C’était quelqu’un, vous comprenez. C’est toujours ça la question quand on rencontre une personne: y a-t-il quelqu’un ? Je ne ratais ses séminaires du mardi pour rien au monde. C’était impressionnant d’improvisation. Il se mettait àparler et il pensait en parlant. D’habitude, les gens parlent pour communiquer, là, ça n’était pas de la communication. C’est le plus beau théâtre que j’ai vu de ma vie: la parole, les soupirs, les hésitations, lesfureurs. Et Roland Barthes ? C’était un ami, les dîners au Falstaff, les plans sur lacomète… Sa voix me manque. Cela dit, on ne pouvait pas parler de certaines choses. De femmes, par exemple. Ce qui, quand même, était une partie importante de mon activité. J’ai eu une correspondance avec lui. Sa mort m’a beaucoup chagriné: dans la rue, comme ça, en sortant d’un déjeuner avec Mitterrand. C’est moche… Regrettez-vous d’avoir publié certains auteurs, comme Marc-Edouard Nabe ou Philippe Muray ? Pas du tout. J’ai publié le meilleur texte de Muray, Le XIXeSiècle à travers les âges. Le problème, c’est quand il a voulu faire des romans inaboutis qui n’ont pas marché, puis il s’est très mal entouré, des gens comme Elisabeth Lévy, Aude Lancelin. Marc-Edouard

Nabe avait quelque chose, puis ça a été un suicide. Stéphane Zagdanski aussi. Leur problème, c’est qu’ils ont eu une mauvaise vie. La mauvaise vie, les mauvais partenaires, on ne s’en rend pas tout de suite compte, mais après les sanctions tombent: la maladie, la marginalisation, on devient sous influence… Chez Muray, ça a été catastrophique. Quels écrivains vous ont marqué récemment ? Michaël Ferrier, que je publie: un type très discret, qui est tout le temps au Japon –il a écrit f*ckushima. OuDavid di Nota, dont je publie un livre à la rentrée: personne ne s’aperçoit qu’il existe et c’est un tort. Ilfaut être capable de publier des choses très différentes. Etre éditeur, c’est avoir le don des langues. Frédéric Beigbeder, j’ai publié son meilleur texte (Nouvelles sous ecstasy). J’étais le premier à publier Emmanuèle Bernheim avec Le Cran d’arrêt, Catherine Cusset avec La Blouse roumaine, Philippe Forest. Cécile Guilbert avec trois livres, deux Bernard Lamarche-Vadel, et les deux premiers livres de Régis Jauffret. Votre plus belle surprise d’éditeur ? Jean-Jacques Schuhl avec Ingrid Caven. Au début personne n’y a cru, et il n’y a eu qu’un tirage de 4 000exemplaires. Et puis, providence, le culte était là (Rose poussière, Telex n° 1), il a eu le Goncourt. Ça a été une fête incroyable. Et le livre s’est vendu à environ 200 000. Que pensez-vous des prix littéraires ? La France est un pays d’institution, où la position sociale reste très importante. On ne peut pas sedéplacer sans qu’on vous demande votre passeport àtout instant. Les prix littéraires font parti de ce système. Que pensez-vous de la critique littéraire aujourd’hui ? Elle n’existe pratiquement plus, pas plus que la presse littéraire dans son ensemble. Moins il y a de littérature, moins il y a de critiques littéraires, et plus latyrannie peut s’exercer. Et puis il y a l’incestuosité du milieu. C’est sociologique. En France, l’identité sociale domine tout. La lutte des classes reste une spécialité, aujourd’hui plus que jamais. Le système de publication des journalistes a été mis en place au début par Françoise Verny, chez Grasset, dans les années70. C’était très simple: selon elle, si les journalistes écrivent des livres, les journalistes rendront compte des livres qu’écrivent leurs confrères, et ainsi de suite. Et la planche à billets était prête.

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la fin de l’illusion Le chorégraphe JérômeBel et le metteur en scène Philippe Quesne ont en commun d’interroger la place du spectateur et de l’acteur. Leurs créations respectives pour le Festival d’Avignon étaient l’occasion d’une rencontre. recueilli par Hugues Le Tanneur photo Nicola Lo Calzo pour Les Inrockuptibles

JérômeBel (à gauche) et Philippe Quesne, Paris, juin 2013

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“j’aime quand les artistes exposent les coutures” Philippe Quesne

I

l y a une différence notable entre vos deuxdémarches. Là où Philippe Quesne construit unmilieu dans lequel il plonge les comédiens pour observer leur comportement, vous, Jérôme Bel, exploitez ce qui vous est donné. Comme c’est le cas avec lacréation que vous présentez dans la cour d’Honneur, où les spectateurs racontent face au public leurs souvenirs de ce même lieu… Jérôme Bel– Quand on me demande quelle va être ma scénographie, je réponds qu’il n’y en a pas… Quec’est la cour, et j’ajoute qu’elle est sémantique. Autrement dit, elle ne fait que parler d’elle-même. Là, j’ai un décor et un sujet qui, d’ailleurs, ne sont peut-être qu’une seule et même chose. J’ai beaucoup travaillé sur la mémoire des performeurs dans mes créations précédentes… Je me suis dit qu’il faudrait aussi envisager celle d’un lieu. Que s’est-il passé à cet endroit ? Il fallait interroger des témoins: lesacteurs, les metteurs en scène, les techniciens… Mais aussi les spectateurs. C’est ce qui m’inquiétait leplus, les spectateurs, et c’est finalement ce qui fut le plus intéressant. Leurdiscours est moins uniforme que celui des professionnels.

J’aime faire parler des gens que je ne connais pas, et qui ne sont jamais montés sur scène, encore moins sur celle de la cour d’Honneur. Quand je leur ai dit qu’ils seraient face au public, aucun n’a refusé. Philippe Quesne– Ma première pièce est née del’envie de mettre du bazar sur scène pour réagir àun certain théâtre français où la scénographie n’était abordable qu’à ceux qui disposaient de gros budgets. J’ai voulu blaguer. Je venais de l’art contemporain et jesavais qu’avec du polystyrène et trois bouts de Plexiglas, on pouvait remplir une scène. Les signes liés aux objets et aux matières m’intéressent. Pour Swamp Club, j’ai donc imaginé undécor particulier où immerger les acteurs. J’aime cette idée d’une équipe qui arrive à croire qu’un bout de bâche en plastique est un marais et qu’un centre d’art est installé au milieu de tout ça. Dans mes spectacles, rien n’est écrit à l’avance, le texte est inventé par les acteurs. Lesgens avec lesquels je travaille apportent aussi de lamatière. Il ne faut pas tricher avec ça. Vous vous situez tous deux sur un point limite: Jérôme crée des pièces qui ne sont presque plus, voire plus du tout, de la danse. Philippeinvente

des formes qui questionnent la notion même de théâtre. Expliquez-nous vos démarches respectives ? Jérôme Bel– Chez moi, c’est voulu. Je me suis toujours adossé à une définition de l’art comme se situant à la limite. Pour définir mon travail, je parle de “théâtre expérimental”, qui va chercher aux limites de ce qu’il ne connaît pas. Philippe Quesne– Je n’ai jamais pensé que je me situais à un point limite. Mon premier désir de créer une pièce, après avoir travaillé pendant dixans comme scénographe, était plus naïf. Il ne s’agissait pas de sepositionner par rapport à un certain théâtre mais de voir ce que j’avais envie d’éprouver comme spectateur. Donc j’ai quand même l’impression de faire du théâtre. Contrairement à Jérôme ? Jérôme Bel– Non. Parce que moi non plus, je n’étais pas très conscient au début. J’avais lu Les Règles del’art de Bourdieu, où il explique qu’il y a unchamp artistique et que, dans ce champ, il y a des agents. Certains sont au centre et d’autres à la périphérie. Lespremiers spectacles que j’ai vus, c’étaient ceux dePina Bausch et de Cunningham et c’était auxlimites. Ça ne ressemblait pas à de la danse.

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“pour définir mon travail, je parle de ‘théâtre expérimental’, qui va chercher aux limites de ce qu’il ne connaît pas” Jérôme Bel

Philippe Quesne– C’est exactement ce que jerecherche: pas tant la limite que la lisière où lespectacle est utilisé pour chercher des formes, leséprouver et, bien sûr, les montrer. J’aime quand les artistes exposent les coutures. Quand j’ai découvert ton travail en 1998, Jérôme, c’était avec LeDernier Spectacle, où on assiste à une chose assez théâtrale finalement. De magnifiques interprètes, mais aussi un jeu qui montre la structure avec laquelle tu as travaillé. Il s’agit de désacraliser le théâtre ? Jérôme Bel– Tous les deux, on a un souci avec la tradition de l’illusionnisme. Au théâtre, c’estinsupportable pour une raison simple: ça appartient au cinéma. Quand j’ai commencé, je pensais qu’il était notre concurrent. C’est le même dispositif, à peu de choses près: on s’assoit ensemble dans une salle… Mais quelle est la puissance du cinéma sinon la puissance de l’illusionnisme ? Le seul moyen de sauver le théâtre –car quand j’ai commencé, j’étais parti pour sauver lethéâtre (rires)–, c’était de dire qu’on ne pouvait rien dissimuler, qu’ilfallait se mettre à nu. C’est pour ça que j’ai fait cettedeuxième pièce où ils étaient tous à poil sur scène.

Philippe Quesne– La question, c’est: “qu’est-ce que ça veut dire de faire un vrai spectacle ?” En tant que scénographe, j’ai souvent été confronté à des metteurs en scène qui parlaient de “magie”. Certains, en répétition, disaient: “Si seulement je pouvais garder ça pour le vrai spectacle”, c’est formidable quand même ! Mais ça veut dire quoi de répéter unspectacle pour être prêt ? Prêt à quoi ? A montrer une chose fixée, figée ? Un spectacle, c’est d’abord unprocessus. Jérôme Bel– Oui, on ne cherche pas à montrer qu’on a bien travaillé. Philippe Quesne– C’est ça, il ne s’agit pas de montrer comment un acteur a cherché en lui ce qu’il ne sait pas faire et qui de toute façon ne tiendra pas. Dès mon premier spectacle, tout devait et pouvait avoir valeur de théâtre, même sans les enjeux du drame classique, que sont souvent la tragédie, le meurtre, une tension dramatique qui viendrait de motifs du théâtre traditionnel dont on est nourris. Cela veut-il dire que vous vous percevez enrupture avec la tradition ? Jérôme Bel– L’incompréhension serait de croire qu’on est aux limites et donc coupés de la tradition. Enréalité,

on part toujours de la tradition, mais pour l’amener ailleurs. Donc le lien est toujours là. C’est grâce à ces spectacles traditionnels, dont certains sont merveilleux, qu’on a pu comprendre ce qu’était lethéâtre et pourquoi il fallait le pousser à d’autres endroits. En revanche, j’aime être contre le sacré, contre l’illusionnisme. Le pouvoir de la scène sur le public m’agace au fond. Comme si onprétendait que nous, sur scène, on savait quelque chose de plus, quelque chose qu’on vous cacherait. Philippe Quesne– Toutes disciplines confondues, ceque j’aime, c’est être touché par un artiste qui ne cherche pas à me dominer, mais me laisse de l’espace. Quelqu’un qui me propose un univers. Comme Claude Régy par exemple, ou Mike Kelley, qui me fascine. Jérôme Bel– J’insiste sur cette idée de tradition. Authéâtre, j’aime par-dessus tout l’espace. Le théâtre, je le vois quand je pénètre à l’intérieur. Quand je vais à l’opéra, par exemple, au moment où le rideau se lève, parfois on entend le public qui fait “ah…”. Je trouve ça génial. Malheureusem*nt, il n’y a plus de rideaux. Parceque dans le théâtre contemporain, on essaie de supprimer le quatrième mur. Or, nous, c’est par rapport à ça qu’on se situe. On travaille à l’intérieur d’une histoire pour la faire avancer. Cour d’honneur conception et mise en scène Jérôme Bel, cour d’Honneur du palais des Papes, du 17 au 20 juillet à 22h Swamp Club conception, mise en scène et scénographie Philippe Quesne, salle de spectacle de Vedène, du 17 au 24juillet à 16h (relâche le 20) www.festival-avignon.com 17.07.2013 les inrockuptibles 53

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Dr Jekyll and Mrs Hyde Beats de glace et r’n’b de feu: le duo anglais AlunaGeorge s’apprête à devenir maître des hanches avec le bien nommé Body Music, un premier album qui relie directement leslaboratoires auxdance-floors. Et qui va allumer le Festival lesinRocKs en novembre. par Ondine Benetier photo Fiona Garden

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“on a composé des chansons avant même de savoir le nom de famille de l’autre. Body Music, c’est le son de deux personnes apprenant à se connaître” George Reid

L

’obsession musicale sedécline souvent àdifférents niveaux. Il y a celle qui conduit à aller voir un groupe en concert dix, vingt fois, jusqu’à l’écœurement ou le malaise au premier rang. Celle qui pousse à la collection compulsive ou exige de connaître le signe astrologique de ses chouchous. Et puis il y a celle qui pousse à écouter six mille deux cent quatre-vingts fois (par jour) le même morceau jusqu’à pouvoir l’identifier àtravers le casque de son voisin demétro pendant qu’un accordéoniste zélé reprend La Vie en rose à tue-tête. C’est celle dont on a été victime àl’écoute de Just a Touch, titre superglu d’AlunaGeorge posté un matin de printemps par leur label initial, le génial TriAngle Records. Dans la chaleur moiteet étouffante du mois de mai 2012, ons’était alors fait sabrer le peu derésistance qui nous restait par 36 °C. Beats à la froideur presque dérangeante, rythmique quasi militaire, boucles robotiques: sous la glace de ce morceau se cachait pourtant le feu en la personne d’Aluna Francis, chanteuse à la voix malicieuse d’une Britney Spears circa I’m a Slave 4 U, bombe pour dance-floor dont toute une partie des 25-35ans nes’est toujours pas remise. Un an plus tard, le cerveau est encore incapable de mettre des mots sur ce qu’il a entendu, mais les hanches ont toujours la fièvre à l’arrivée de Body Music, premier album du duo qui n’enfinit pas de monter: passé sous leradar des blogs et des majors, invité au festival de Jay-Z, nominé au prestigieux Mercury Prize, puis numéroun des charts britanniques avec White Noise de Disclosure auquel Aluna prête son

timbre espiègle. Les deux Anglais ne se sont pourtant pas précipités pour sortir le fruit de leurs frictions. AlunaGeorge apréparé son Body Music à feu doux maisl’album brûle aujourd’hui les doigts etenflamme les sens. “On a tout fait nous-mêmes, chez moi ou dans notre studio, donc on n’avait aucune pression, explique George Reid, moitié masculine du duo. Ce n’est pas comme si on avait dû se grouiller parce que le studio était booké pour quelques heures ou qu’un producteur très cher attendait derrière la console. Certains titres de Body Music datent de2010, d’autres du mois de février.” “Jecrois qu’il fallait laisser le temps auxgens de nous connaître, ajoute Aluna, notamment parce que notre musique n’estpas tout de suite compréhensible.” Compréhensibles, les titres du duo lesont pourtant immédiatement: parlecorps et ses fluides, qu’ils portent enquelques secondes à ébullition. Lesneurones, eux, font face à une hydre à deux têtes, un paradoxe géant qu’ils peinent à démêler: dans AlunaGeorge, ily a une voix r’n’b et des bribes d’electro, des sons de fond de cave etdes tubes promis à un succès mainstream. Il y a surtout Aluna et George, soit deux êtres aux antipodes l’un de l’autre, dont Body Music raconte larencontre en chair et en os. D’un côté donc, George Reid, magicien ès beats, grand gaillard aux joues depoupon et aux yeux bleus qui réussit àétouffer sa réserve naturelle par des blagues et un rire sonore communicatif. De l’autre, Aluna Francis, liane d’1,80mètre (dont 1,50mètre de jambes) planquée derrière une voix de petite fille timide qui jouerait la comédie le temps d’une interview devant le miroir. En jean et T-shirt ce jour-là, c’est d’habitude d’une brassière et d’un microshort encuir que l’Anglaise est vêtue lorsqu’en concert, elle s’applique à se déhancher

jusqu’à la rupture du col du fémur. Onsesouvient de sa prestation torride àladernière édition des Nuits sonores deLyon et surtout de tous les regards rivés vers son bassin élastique: ceux desgarçons, brûlants de convoitise, et ceux des filles, rêvant toutes d’être elle. Quand Aluna dégage une sensualité inouïe, minaude et déploie son grand jeude séduction en live, George, lui, nesemble pas quoi faire de son grand squelette et garde les yeux baissés surses machines. Une association improbable de deux électrons libres bienincapables d’analyser leur alchimie. “C’est très compliqué d’expliquer notreconnexion avec des mots parce quepour être honnête, ça a tout de suite fonctionné entre nous sans qu’on ne comprenne pourquoi, avance George. Onne se connaissait pas du tout quand ona commencé à écrire de la musique ensemble. On a composé des chansons avant même de savoir le nom de famille del’autre. Body Music, c’est le son de deux personnes apprenant à se connaître.” Avec ses pics de température –au-dessus et endessous de zéro–, l’album raconte en effet la fusion d’un ion négatif et de son opposé. Ici, plutôt que de s’annuler, ils font ensemble des étincelles. Taillés au scalpel par deux obsédés des structures mélodiques, lestitres de Body Music cachent leurs coutures derrière un racolage mutin, une sexualité aussi charnelle que naïve. Si Aluna ne jure que par son apprentissage de la construction musicale, saint Graal auquel elle a enfin pu accéder avec George après plusieurs années passées aux côtés d’un groupe qui ne voyait en elle qu’une voix, c’est pourtant avant tout un désir tout en retenue qui se consume sur l’album. Une évidence contradictoire que ses deux concepteurs ne peuvent s’empêcher de souligner quand on leur

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Aluna Francis et George Reid, l’esprit de corps

demande qui, de la sensualité ou de la technicité, a guidé sa création. “Je suis incapable de répondre à cette question, avoue Aluna. En studio, on allie les deux. Parfois, on est pris dans un morceau, c’est très organique, et d’un coup, l’un de nous hurle ‘Oh mon Dieu, il faut qu’on monte d’une octave !’ Ça casse légèrement l’ambiance. Pour enregistrer le titre Body Music, on était dans l’ancienne chambre dela sœur de George, au milieu de murs violets et d’un tapis rose, une ambiance

tout sauf romantique et feutrée. Son père nous interrompait sans cesse pour nous parler du lavabo bouché de la salle de bain ou pour nous dire de venir déjeuner pendant que j’essayais de chanter. Ce n’était pas très sexy.” George ajoute: “Quand Aluna susurrait ‘Your body is like music, baby/I wanna do it again’ (“Ton corps est comme une mélodie pourmoi, bébé/je veux encore la jouer”), je me retenais de pouffer de rire, même si je savais qu’à la fin, ça fonctionnerait.”

Alliance d’un besoin de composition maladif et d’une alchimie organique, AlunaGeorge est aussi celle de sons etde manières que tout oppose. Comme Jamie xx, King Krule, Mount Kimbie, James Blake, Disclosure etbien d’autres, le duo fait partie decettegénération de jeunes Anglais pour quiles genres musicaux ont autant d’importance qu’un vieux meuble poussiéreux abandonné dans une maison de campagne. “J’ai toujours eupeur qu’on se retrouve piégés dans ungenre de musique, mais heureusem*nt, je crois que ce n’est pas notre cas”, lâche Aluna, tandis que son coéquipier confie avoir arrêté d’essayer de définir leur musique. Plutôt que de chercher des étiquettes, on parlera alors de pop-music au sens le plus large du terme, de mélodies diaboliques qui soufflent sans cesse le chaud et le froid. Un savant mélange de piques et de plumes, dephiltres d’amour et de poisons dont YouKnow You Like It, Outlines, Attracting Flies ou Your Drums, Your Love sont lesalliages les plus réussis. On ne s’étonne alors pas d’entendre Aluna, paradoxale jusqu’au bout des ongles (qu’elle a fort longs), s’extasier sur ce jour où elle a pris un concert def*ck Buttons en pleine face de la même façon qu’elle sautille en évoquant unconcert de Beyoncé à Glastonbury. AlunaGeorge fait partie de cette nouvelle garde anglaise pour laquelle la musique est un vaste terrain de jeu où chacun peut créer ses propres chimères. BodyMusic en est une: un joyau indie déguiséen grosse machine mainstream. Amoinsque ce ne soit l’inverse. album Body Music (Barclay/Universal) concerts le 17 juillet au Montreux Jazz Festival (Suisse), le 27 au Midi Festival (Hyères), le10novembre à Paris, Cigale www.alunageorge.com 17.07.2013 les inrockuptibles 57

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Catherine Deneuve, une mère inquiète. Adèle Haenel, une fille aspirée vers l’ailleurs. Sur le tournage de L’homme que l’on aimait trop

la Riviera sans retour

Visite sur le tournage de L’homme que l’on aimait trop, le nouveau film d’André Téchiné adapté d’un fait divers: la disparition irrésolue d’Agnès Le Roux, dont la mère gérait un grand casino niçois. par Jean-Marc Lalanne photo Luc Roux 17.07.2013 les inrockuptibles 59

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Catherine Deneuve incarne la directrice du grand casino niçois et Guillaume Canet, son ambitieux conseiller

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atherine Deneuve, surmontée d’un chignon mi-banane, mi-Vertigo, scintillante dans sarobe lamée, bavarde plaisamment avec une table deconvives d’âge mûr, tousendimanchés comme pour une soirée de l’ambassadeur sous Giscard. Un jeune homme au pas assuré pénètre dans la grande salle de restaurant au lustre désuet et fait signe à la maîtresse de cérémonie de le rejoindre. C’est Guillaume Canet, dans un costume troispièces patte d’eph/large cravate bariolée. Elle s’exécute, leur échange est bref et tendu. Bientôt, le jeune homme se retire après un baise-main. Et Deneuve rejoint ses amis, accompagne l’une d’entre eux (Tanya Lopert) en poussant son fauteuil roulant jusqu’à la salle de casino. “Coupez !” Julien Hirsch, le chef opérateur qui exécutait ceplanséquence de quelques minutes, débriefe la scène avec son équipe. Lecinéaste, étrangement très enrhumé en ce lundi 8juillet de canicule, s’avance près de ses comédiens pour leur parler à l’oreille. C’est André Téchiné sur le tournage de L’homme qu’on aimait trop, adapté d’un fameux fait divers, qui depuis plus de trente ans n’a pas quitté les colonnes

de l’actualité: l’affaire Agnès LeRoux, fille de la gérante d’un grand casino niçois, disparue en 1977, et dont on a retrouvé ni la trace, ni le corps, tandis que les soupçons se portaient sur celui qui fut son amant, l’avocat Maurice Agnelet dont, malgré plusieurs procès, la culpabilité n’a jamais été prouvée. La dernière fois qu’on avait croisé André Téchiné, c’était à la sortie d’Impardonnables, son précédent film adapté d’un roman de Philippe Djian, qui précipitait André Dussollier et Carole Bouquet dans des tourments amoureux avantageusem*nt situés dans l’archipel vénitien. A cette époque, le réalisateur travaillait d’arrache-pied sur le film suivant, qui devait raconter les tournées à l’étranger de la troupe de Louis Jouvet durant toute la Seconde Guerre mondiale. Et puis un an plus tard, l’annonce de ce thriller niçois. “J’espère que ce

projet Jouvet est ajourné mais pas abandonné. Ila été fragilisé dans son financement par la défection d’une vedette, Fabrice Luchini. Je crois que ce qui a pu intéresser Fabrice dans le projet, c’était les textes de Jouvet, son art de la déclamation… Alors que le film portait sur un tout autre aspect: les difficultés d’un chef d’entreprise pendant la guerre, la question de l’engagement et de l’art. Peut-être qu’il a pensé que la part de parole à laquelle il aime bien s’accrocher était insuffisante. Depuis, le projet est en suspens.” Aubaine: au même moment, Fidélité Films (Olivier Delbosc et Marc Missonnier) le contacte pour lui proposer de développer un scénario sur l’affaire LeRoux. Ils lui font passer un synopsis, adapté d’un livre de Jean-Charles LeRoux, le frère d’Agnès, la jeune femme disparue

“raconter une histoire aussi palpitante qu’un thriller mais sans résolution”

André Téchiné

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Agnès et Maurice : une liaison dangereuse

André Téchiné dirige Adèle Haenel qui, selon lui, “porte naturellement la part de force et de révolte” caractérisant son personnage

il y a trente-sixans. C’est donc avec un membre de la famille LeRoux pour conseiller, et l’aide du cinéaste Cédric Anger (Le Tueur, L’Avocat…), que Téchiné se lance dans l’écriture d’un film noir sur fond de guerre des casinos. Ecrire d’après un fait divers, transformer en personnages des personnes réelles a ses contraintes (le respect de ce qui s’est passé, des sujets impliqués, etc.). L’exercice se complique encore lorsque la pleine lumière n’a pas encore été faite sur l’affaire. N’est-il pas tentant alors pour le cinéaste d’esquisser des explications, de boucher les trous du réel avec ses propres hypothèses de conteur ? “J’espère vraiment ne pas avoir fait ça, avoir au contraire préservé tout le mystère de cette disparition. C’est précisément ce qui m’importait. Raconter une histoire aussi palpitante qu’un thriller mais sans résolution. Comme si on était chez Hitchco*ck, jusqu’à ce que soudain le film s’ouvre sur une pure béance, une disparition aussi inexpliquée que dans L’Avventura d’Antonioni.” Dès l’étape de la documentation, le cinéaste a eu l’intuition des comédiens auxquels il allait proposer les principaux

rôles. Pour Renée LeRoux, matriarche régnant sur le temple du jeu de la baie des Anges, Téchiné a très vite vu l’occasion de tourner encore avec sa complice de toujours. “J’ai tout de suite pensé à Catherine. Jusque-là dans nos films, j’ai toujours essayé de l’humaniser, de la tirer, si c’est possible, vers l’ordinaire. Là, au contraire, j’ai vu l’occasion idéale de faire tout le contraire: d’aller toutes voiles dehors vers la sophistication, avec des bijoux, du strass, des perruques… Chercher du côté de Marilyn réinterprétée par Demy dans LaBaie des Anges. Ça nous changeait un peu et du coup, on s’amuse beaucoup. Guillaume Canet, qui joue Maurice Agnelet, je l’ai choisi pour son côté Cary Grant chez Hitchco*ck. On ne sait pas ce qu’il cache. Il y a le masque du gendre idéal souriant et, derrière, quelque chose d’un peu inquiétant, carnassier… Le caractère à la fois très ambitieux du personnage et son côté très séducteur me semblaient aussi tout à fait coller à ce que Guillaume peut dégager comme acteur.” Le troisième point de ce triangle passionnel, c’est la disparue, Agnès. Après avoir hésité entre plusieurs actrices de sa génération, André Téchiné a rencontré Adèle Haenel (Naissance des pieuvres, L’Apollonide). “Je ne voulais

pas que le personnage paraisse trop soumis, trop docile, et Adèle porte naturellement cette part de force et de révolte. Mais le vrai déclic a été de la découvrir en brune. Brune aux yeux bleus, dans ses vêtements seventies. Adèle m’a vraiment évoqué l’Isabelle Adjani que j’ai connue à mes débuts (Barocco, LesSœurs Brontë…). Jecrois qu’à travers sa présence, je revisite mes propres années70. D’ailleurs, je me suis aussi rendu compte qu’avec Judith Chemla, qui interprète dans le film une autre maîtresse d’Agnelet, j’ai vu revenir par éclairs le souvenir d’une autre actrice et amie très importante pour moi à cette époque: Marie-France Pisier.” Entre la disparition réelle mais irrésolue du fait divers, la part de fiction induite par la forme du thriller et les propres réminiscences autobiographiques du cinéaste, projetées dans ce grand bouillon, il devrait y avoir beaucoup de fantômes sous les palmiers ensoleillés de la promenade des Anglais. Le tournage se termine à la mi-juillet et le film devrait être prêt au premier semestre 2014, où il pourrait très bien s’inviter en proche voisin dans le grand festival de cinéma d’une autre ville côtière. 17.07.2013 les inrockuptibles 61

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cry me a River Emporté par une overdose à l’âge de 23ans, River Phoenix fut l’une des dernières icônes rebelles du cinéma américain. Retour sur la carrière fulgurante du James Dean des années grunge.

C

e soir, les Phoenix sont venus en famille: River débarque à peine de l’Utah, où il tourne son dernier film, il est accompagné de son frère, Joaquin, de sa sœur, Rain, et de sa copine, l’actrice Samantha Mathis. Sur la scène du Viper Room, le célèbre bar de LosAngeles où la bande a ses habitudes, le copropriétaire des lieux, Johnny Depp, donne un concert avec son groupe éphémère. La nuit est calme, ordinaire, lorsque River Phoenix s’extrait des toilettes en titubant avant de s’effondrer sur le bitume devant le club, victime d’intenses convulsions: il a pris un mélange chimique de Valium et de méthamphétamines. L’alerte est donnée par son frère, la foule paniquée s’agglutine sur le trottoir, un paparazzi présent sur les lieux détourne son appareil photo lorsqu’une ambulance arrive enfin et conduit la victime dans un hôpital au sud de la ville. Après vingtminutes en salle de réanimation, River Phoenix est déclaré officiellement mort à 1h51 dans la nuit du 30 au 31octobre 1993. Il avait 23ans. Le lendemain, au réveil, l’annonce de son décès plonge le pays dans un état de choc: la presse fait ses gros titres sur la célébrité déchue, le Viper Room devient vite un lieu de pèlerinage pour les fans, et ses amis rendent tous hommage à celui qui fut

le plus brillant acteur de sa génération, enfant-star à 15ans, millionnaire à 18, nommé aux oscars à 19, et promis à une longue carrière. Tout le monde s’interroge alors sur les raisons qui ont conduit l’idole River Phoenix à se perdre ainsi dans la dope. Certains évoquent l’influence néfaste de son environnement, d’autres la responsabilité de ses parents, tandis que sa girlfriend, Samantha Mathis, dévoile son secret lors des obsèques: “River était un sensible. Il avait tellement de compassion pour les autres qu’il a fini par avoir un poids trop lourd sur le cœur.” Mourir d’être trop sensible: l’hypothèse est belle pour résumer la trajectoire de cet acteur comète, qui se distingua par une présence hors norme, fragile et sauvage, devenant peu à peu l’icône de toute une jeunesse, celle des années grunge, dont il incarna les doutes et tourments. Comme des millions d’adolescents américains, River Phoenix (baptisé ainsi en référence au “fleuve de la vie” du roman bouddhiste Siddhartha d’Hermann Hesse) est né dans le climat de l’idéalisme seventies, en1970 très exactement, d’un père charpentier et d’une mère secrétaire, hippies notoires qui l’éduquèrent aux valeurs écologistes. Les premières années de sa vie ressemblent au récit épique de la beat generation: ses parents, membres de la secte chrétienne des Enfants de Dieu, partent en mission au Mexique puis à Porto Rico, avant d’échouer au Venezuela où ils vivent

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par Romain Blondeau

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L’ado le plus prometteur du cinéma américain à 16ans, en 1986

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Voyage initiatique au cours duquel l’enfance s’évanouit et la mort plane, Stand by Me de Rob Reiner dépassera les 50millions de dollars de recettes en 1986

dans des conditions précaires. Aîné d’une grande fratrie (un frère, Joaquin, qui aura la carrière que l’on sait, et quatre sœurs), River doit vivre son enfance en accéléré: il est contraint de délaisser sa scolarité et joue de la musique dans la rue pour subvenir aux besoins du clan Phoenix. Il développe aussi une conscience politique précoce, devient un végétalien radical à 8ans et s’engage à militer activement pour la protection des animaux –certains de ses proches parleront, après sa mort, d’une obsession maladive. En 1980, lorsque la famille Phoenix rompt avec la secte et ses idéaux pour s’installer en Californie, River annonce qu’il veut travailler dans le showbusiness, “parce qu’il y a de l’argent à gagner et que ça ne nécessite aucune éducation”, dira-t-il plus tard. Il tourne des publicités à 10ans et apparaît dans quelques séries télévisées, avant d’obtenir son premier rôle au cinéma en 1985 dans Explorers de Joe Dante: un teen-movie surfant sur la vague E. T. dans lequel il incarne un nerd passionné de mathématiques. Le succès est modeste mais sa performance lui ouvre les portes du casting du nouveau film de Rob Reiner, Stand by Me, récit initiatique d’une bande de kids

à 18ans, il devient l’incarnation rebelle d’une nouvelle jeunesse américaine déliée de l’héritage hippie

John Roca / NY Daily News Archive via Getty Images

Fils d’Harrison Ford dans Mosquito Coast de Peter Weir (1986), il incarnera Indiana Jones jeune troisans plus tard dans Indiana Jones et la Dernière Croisade de Steven Spielberg

des années50. Acclamé par la critique, le film dépasse les 50millions de dollars de recettes aux Etats-Unis et propulse la carrière du jeune acteur dans le rôle d’un misfit au visage poupon mais déjà tourmenté. Quelques plans du film, en particulier, retiennent l’attention: autour d’un feu, la nuit, en face de Wil Wheaton, une baby star d’Hollywood au jeu figé par la technique, River Phoenix apparaît explosif, incontrôlable, vampirisant la scène avec une intensité folle. Il y confesse sa douleur d’être au monde, sa nostalgie d’une enfance trop vite évanouie, et l’on ne sait plus très bien, à cet instant, distinguer l’acteur de son personnage. Peu à peu, le public va donc apprendre à connaître ce jeune fauve blond au caractère tranchant, dont les prochains films résonnent étrangement avec son histoire personnelle. Il sera le fils d’un inventeur idéaliste fuyant en mission en Amérique du Sud dans le film de Peter Weir, Mosquito Coast (où il rencontre Harrison Ford, qu’il retrouvera trois ans plus tard pour un second rôle dans Indiana Jones et la dernière croisade), avant de pousser la logique d’identification encore plus loin, en 1988, dans un superbe mélo de Sidney Lumet, A bout de course.

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John Roca / NY Daily News Archive via Getty Images

Avec son frère cadet Joaquin et sa mère Arlyn

Il a 18ans alors, ses cheveux ont poussé, son visage s’est émacié, et quelque chose d’une nouvelle force se lit dans ce très beau rôle d’ado en rupture avec ses parents, un couple de militants gauchistes engagés à leur époque contre la guerre du Vietnam. Les similitudes entre ce personnage (qui lui vaudra une nomination à l’oscar du meilleur second rôle) et la vie de l’acteur sont nombreuses et troublantes: River Phoenix semble désormais mener sa révolution adolescente au cinéma. Il devient l’incarnation rebelle d’une nouvelle jeunesse américaine, indépendante et déliée de l’héritage hippie des années70; le poster-boy moderne auquel tous les teens s’identifieront. Et plus rien ne pourra s’opposer à sa fulgurante ascension: Hollywood en fait son nouveau favori à l’aube des 90’s, ses contrats se négocient autour du million de dollars, et il s’affiche partout dans les médias, où il profite de son exposition pour rappeler sa lutte en faveur de la protection des animaux. Au sommet de sa popularité, River Phoenix cumule les casquettes d’acteur, de spokesman écolo, et bientôt de musicien: il monte un groupe de rock alternatif avec sa sœur Rain et des potes, Aleka’s Attic, qui, à défaut de connaître un grand succès public, lui permet

de se rapprocher de la scène indé –il devient intime avec Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers. Une dernière chose manquait néanmoins à l’acteur pour asseoir son statut d’icône culturelle, pour devenir le “James Dean de sa génération”, tel qu’on le baptisera post-mortem: un film-phénomène, sa Fureur de vivre. Il le trouvera en 1991 grâce à My Own Private Idaho, le road movie halluciné de Gus Van Sant où il met en danger son image et donne la réplique à son ami Keanu Reeves dans le rôle d’un tapin gay. Lanuit, près d’un feu, dans une scène devenue culte, le blondinet laisse place à un archange cramé, au bord du gouffre, fébrile et las comme pouvait l’être la génération grunge dont le film saisit l’humeur en instantané. Mais si My Own Private Idaho achève de faire de River Phoenix la star du moment, la plupart de ses biographes s’accordent pour dire que le film correspond aussi au début de sa chute. Depuis quelque temps, l’acteur a en effet développé une manieétrange: il s’implique dans ses rôles jusqu’à l’obsession, vivant à chaque tournage un transfert d’identité toujours plus extrême. En préparation du film de Gus Van Sant, River s’assimile ainsi 17.07.2013 les inrockuptibles 65

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son plus grand rôle, en hustler narcoleptique, dans My Own Private Idaho de Gus Van Sant (1991) avec Keanu Reeves

si My Own Private Idaho achève de faire de lui la star du moment, le film correspond aussi au début de sa chute

A son retour de Portland, l’acteur est méconnaissable: il s’éloigne peu à peu de sa famille, fraie avec une bande de junkies de LosAngeles (“cette mauvaise, mauvaise ville”, disait-il), et apparaît fuyant dans les médias, où la rumeur indique qu’il aurait succombé à la drogue. Il dément à chaque interview mais ses dernières apparitions au cinéma, dans le policier LesExperts (1992) ou le western TheThing Called Love (1993), ne trompent personne: quelque chose s’est brisé chez River Phoenix. Son ex-copine, Martha Plimpton, dira dans le magazine Esquire que la dope fut pour lui “un refuge”, une manière de se protéger de la brutalité d’un monde auquel rien, ni “la bulle utopique” dans laquelle l’entretenaient ses parents, ni la célébrité trop soudaine, ne l’avait préparé. Interrogé par la presse néerlandaise, le réalisateur de son dernier film, Dark Blood (George Sluizer, 1993), brutalement interrompu par sa mort, se souvenait d’un dernier jour de tournage catastrophique: “Ilplanait… Sans doute avait-il pris quelque chose. Il ne pouvait pas marcher normalement, il était ailleurs.” Cesoir-là, avant de se rendre à LosAngeles pour assister à un concert, River Phoenix lui aurait simplement dit: “A demain.”

Robin Platzer / Twin Images / Time Life Pictures / Getty Images

Michael Ochs Archives / Getty Images

Au lendemain de sa mort, à l’endroit même où il s’est effondré

à son personnage et s’enferme contre l’avis de ses parents dans un squat de Portland, où circule pendant des semaines toute la scène underground de la ville: musiciens, junkies, vagabonds, prostitués... Une vidéo amateur diffusée dans le documentaire Biography, Eclipsed by Death: TheLife of River Phoenix le montre dans cet environnement, amaigri et visiblement perché, entouré de cadavres de bouteilles, interrogeant sans répit un prostitué sur la manière dont il doit incarner son rôle. C’est également ici qu’il prendra un premier shoot d’héroïne.

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Toujours en lutte pour la protection des animaux, il participe, en mode vestimentaire pré-Kurt Cobain, au concert Rock against Fur en février1989

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Meteora

de Spiros Stathoulopoulos Les amours interdites d’un moine et d’une nonne dans unstyle sensuel et onirique à la Paradjanov. Une vraie découverte.

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st-il nécessaire de mettre en scène une transgression pour évoquer la vie des religieux dans les monastères des Météores, en Grèce ? Pas forcément, mais il est certain qu’en plaçant au cœur de son récit succinct et épuré les amours interdites d’un moine et d’une nonne orthodoxes, Spiros Stathoulopoulos déroute presque autant qu’avec son premier film inédit en France, PVC-1, où une Colombienne était prisonnière d’un collier explosif, enjeu d’un chantage crapuleux. Après avoir filmé le pays de sa mère, la Colombie, le cinéaste a décidé de tourner dans celui de son père. Du coup, il change radicalement de registre et même, apparemment, de style. Meteora est une œuvre fondée sur la transgression, mais c’est le film le plus dépouillé, dans une optique primitive, qu’il nous ait été donné de voir depuis longtemps. Il est fondé sur la retenue et l’ellipse. Son découpage et son ton détaché ont quelque chose de bressonien.

Son contexte archaïque et son imagerie rappellent Sergueï Paradjanov. Impression principalement due à l’omniprésence de séquences d’animation illustrant des épisodes imaginaires ou de fantasmes du moine et de la sœur, qui s’inspirent fidèlement des peintures orthodoxes. Ces icônes animées illustrant des épisodes mythologiques (crucifixion, Thésée et le Minotaure), ou bien extrapolant la situation des deux amants sur un mode onirique, contribuent à élever le film, dont l’enjeu essentiel est de dialectiser l’éternel conflit entre sacré et profane. Il n’y a pas d’intrigue au sens traditionnel ; les quelques personnages extérieurs au couple clandestin du moine Theodoros et de la nonne Urania n’interviennent pas directement dans le récit. Le paysan joueur de flûte et l’ermite (personnage paradjanovien en diable) ne sont que des jalons, des figures… L’histoire est intemporelle mais quelques objets l’ancrent tout de même dans le présent,

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montrant que si la vie monacale n’a pas évolué depuis des siècles, notamment aux Météores –monastères juchés sur des pitons rocheux, dont certains ne sont accessibles que par des paniers hissés avec des cordes–, la vie séculière, elle, continue à suivre l’évolution du monde moderne. Le film est par ailleurs constamment à la frange du documentaire, notamment pour tout ce qui concerne l’activité paysanne, contrechamp de celle des moines, avec les rituels religieux et les messes. Exemple: la scène d’égorgement et de dépeçage d’une chèvre, qui pourrait tout de même être aussi une métaphore religieuse, ne serait-ce que par analogie avec les sacrifices d’animaux, constants dans les cultes archaïques. Mais Spiros Stathoulopoulos ne s’attarde pas sur le prosaïsme campagnard. Il préfère harmoniser les registres, entre plans de paysage surréels, presque chinois, séquences religieuses, jeux des deux amants qui s’appellent en faisant miroiter les reflets du soleil, leurs quelques rencontres charnelles et les séquences d’animation. Ce parfait équilibre entre ciel et terre, nature et rêve, amour et prière, est étayé par un choix musical particulièrement adéquat (des motets moyenâgeux,

un glissem*nt progressif du désir profane dans le champ austère et mental de la religion semble-t-il, et d’autres pièces plus percussives). Donc pas un drame au sens propre –la transgression n’aura pas de répercussion sociale visible– mais une œuvre d’atmosphère subtile décrivant un glissem*nt progressif du désir profane dans le champ austère et mental de la religion. Soit une sorte d’équivalent chrétien du yin et yang. Meteora postule un système transcendantal où le sexe aurait droit de cité. Là se trouvent l’audace et l’utopie illustrés par ce rébus filmique, à la fois respectueux de l’orthodoxie, dont il illustre les cérémoniaux, et radicalement anti-orthodoxe, aussi bien dans la transformation des icônes en dessins animés que dans le commerce charnel de deux dignes représentants de Dieu astreints à la chasteté. Vincent Ostria Meteora de Spiros Stathoulopoulos, avec TheoAlexander, Tamila Koulieva-Karantinaki (All., Gr., 2012, 1 h 22) 17.07.2013 les inrockuptibles 69

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Metro Manila de Sean Ellis avec Jake Macapagal, Althea Vega (G.-B., 2013, 1 h 55)

Pacific Rim

de Guillermo del Toro Séduisant sur le papier, un film d’anticipation et de monstres qui avance à la vitesse d’un Godzilla cul-de-jatte.

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lors qu’Hollywood ne jure plus que par de dantesques franchises, sequels et autre remakes, il y a, reconnaissons-le, un certain panache à dépenser 200millions de dollars sur un scénario “original”, écrit par un authentique auteur n’ayant jamais atteint les cimes du box-office (ni avec les deux Hellboy, ni avec Blade2, encore moins avec Le Labyrinthe de Pan ou L’Echine du diable). Le panache n’est hélas pas gage de réussite, et Pacific Rim, en dépit de la sympathie qu’on peut avoir pour l’entreprise, déçoit. Première évidence: s’il n’est adapté d’aucune BD, roman ou film préexistant, le scénario n’est pas des plus originaux. DelToro imagine que les années 2020 seront le théâtre d’une effroyable guerre entre de titanesques monstres sousmarins, les kaijus, et les robots tout aussi imposants construits par les humains pour défendre leurs cités, les jaegers (“chasseurs” en allemand). Soit la rencontre entre deux genres richement illustrés de la culture japonaise moderne : le film de monstres (ou kaîju, exemplairement Godzilla) et le film de robots (ou mecha, dont la série Neon Genesis Evangelion constitue le chef-d’œuvre). Les Transformers et autres Power Rangers, pachydermes nippo-américains, viennent également à l’esprit –pas nécessairement pour le meilleur. Mais admettons.

De cette prémisse guerrière, sur laquelle ont déjà prospéré, depuis l’ouverture de la chasse au stremon, Iron Man3, Star Trek2 ou Man of Steel, Guillermo del Toro tire hélas un film très fade, et bien plus exténuant que ces prédécesseurs. La surenchère pyrotechnique ne vaut, observe-t-on de plus en plus clairement, qu’à la condition de lâcher les amarres, de s’adonner au pur plaisir de la vitesse pour la vitesse, de s’abandonner aux vertiges de la lumière – tout ce que le cinéaste mexicain, extrêmement lourd et appliqué, ne parvient pas à faire. Une idée, sublime sur le papier mais mal exploitée, résume cet échec: il faut être deux et en parfaite symbiose pour piloter un jaeger, par une opération de mise en commun des souvenirs appelée “drifting” ; aussi, les deux corps ne forment plus qu’un esprit, comme les deux hémisphères d’un cerveau. Plus tard, c’est carrément avec un monstre qu’un homme partagera son cortex… Point de mire de chacun des films de del Toro, ce principe de fusion n’ouvre cependant ici sur aucun abîme métaphysique, ni sur le moindre émoi érotique – tout juste sur le minuscule frisson plastifié d’un enfant arrachant la tête d’un dinosaure pour la poser sur un Playmobil. Jacky Goldberg

Un film à deux faces, entre chronique réussie de la misère aux Philippines et polar cheap. De l’ancien publicitaire et clippeur Sean Ellis, on se souvenait surtout d’un premier film, Cashback (2006), une comédie ultramaniérée et pastiche de l’indé US qui lui avait valu à son époque une certaine notoriété. Septans plus tard, le Britannique, qui a semble-t-il changé d’horizon, nous revient avec ce Metro Manila tourné à l’arrache dans les rues de Manille, où il suit les déboires d’une famille de paysans venue chercher un meilleur confort de vie dans la mégalopole philippine. Scindé schématiquement en deux parties, le film convainc assez lorsqu’il secontente d’explorer les misères quotidiennes de ses personnages, sans enjeu bien distingué, suivant le fil d’une chronique réaliste qui évoque par endroits le cinéma de Brillante Mendoza. Mais à mesure que le récit progresse, Sean Ellis opère alors une bascule très fabriquée vers le polar, et s’encombre de tout un folklore de sérieB (flics corrompus, guerre des gangs) empruntant cette fois à James Gray. Descènes d’action un peu ridicules, filmées avec une nonchalance manifeste, en twists invraisemblables, Metro Manila termine sa course sans inspiration en sacrifiant son beau mouvement impressionniste initial. R.B.

Pacific Rim de Guillermo del Toro, avec CharlieHunnam, Idris Elba, Rinko Kikuchi (E.-U.,2013, 2 h 11)

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It Felt Like Love d’Eliza Hittman Le récit d’initiation retors et singulier d’une adolescente un peu toquée.

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n été, aux Etats-Unis, une adolescente de 14ans attend en bande que le jour se passe lorsque la conversation dérive immanquablement vers les garçons. Elle parle alors en des termes très imagés de sa nuit de sexe avec un type qu’elle a rencontré par hasard, un rappeur du coin dont elle dit regretter un peu le manque d’expérience. L’amant en question est bien sûr imaginaire ; il sera le tout premier mensonge d’une longue liste dont It Felt Like Love va faire son carburant narratif, entraînant sa jeune héroïne dans un engrenage à l’issue dangereuse. Ce que raconte ici Eliza Hittman, une trentenaire américaine formée au laboratoire Sundance, où ses premiers courts métrages furent primés, c’est l’un des plus vieux lieux communs de la mythologie indé US: le récit d’initiation d’une teenager confrontée à de brusques montées de désir, la découverte à la fois exaltée et inquiète de sa sexualité. Un territoire hyper balisé donc, à l’intérieur duquel

le film opère pourtant quelques décalages singuliers. C’est d’abord une manière d’inscrire son récit dans un environnement incertain, entre nature sauvage et urbanité en friche, délimitant le décor abstrait d’une aventure sexuelle dont la cinéaste recueille les échos sensoriels, ces premiers frémissem*nts d’un corps captés avec une extrême sensibilité. C’est aussi une idée plus torturée qui consiste à faire de la naissance du désir le déclencheur de troubles psychotiques chez la jeune héroïne, dont les mensonges répétés finissent par perturber son rapport au réel. Un épais mystère infuse ainsi cette chronique adolescente, à laquelle la révélation Gina Piersanti prête une forme d’opacité brute et d’ambiguïté. “On aurait dit de l’amour”, clame le titre, mais c’était aussi, peut-être, une mystification.

Transamerica Express d’Arthur Hiller avec Gene Wilder, Jill Clayburgh, Richard Pryor, Patrick McGoohan (E.-U., 1976, 1 h 54, reprise)

Une excitante traversée des USA en train. Quatre bonnes raisons d’aller voir Transamerica Express ? 1.Ses interprètes: Gene Wilder, l’acteur burlesque le plus romantique de l’histoire du cinéma ; Patrick McGoohan (Le Prisonnier) joue le méchant ; Richard Kiel (“Requin”, le géant à mâchoire d’acier dans L’espion qui m’aimait) joue son sbire ; la jolie Jill Clayburgh est très craquante ; l’excellent Richard Pryor, le premier grand comique noir américain, y fait un superbe numéro. 2.Le scénario: une histoire d’amour très hitchco*ckienne dans le train qui traverse les Etats-Unis d’est en ouest, entre un éditeur et une jolie secrétaire mêlée malgré elle à un trafic d’art. 3.C’est drôle et spectaculaire (le héros tombe tout le temps du train et rencontre des personnages improbables). 4. “Les films sont comme des trains dans la nuit, Alphonse.” Jean-Baptiste Morain

RomainBlondeau It Felt Like Love d’Eliza Hittman, avec Gina Piersanti, Ronen Rubinstein (E.-U., 2 013, 1 h 22) 17.07.2013 les inrockuptibles 71

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Colorado de Sergio Sollima Tension extrême, acteurs lumineux, sens du paradoxe et lutte des classes: tourné en Italie et en Espagne en1966, Colorado redéfinissait avec brio le genre du western spaghetti. Le film Pour ceux qui ne connaissent pas le western spaghetti, l’édition de ce DVD est une aubaine. L’exténuation des grands genres du cinéma américain a produit des films tristes, partagés entre la tristesse grandiose des derniers films des grands cinéastes (Seven Women de John Ford par exemple) et la tristesse pénible des films-fonds de tiroir où la vigueur perdue du grand cinéma est remplacée par un cynisme rigolard. Le cas du western spaghetti est un cas unique dans l’histoire du cinéma de prolongation d’un genre qui ne produit ni des films exténués, ni des films malins, mais une métamorphose exotique. Colorado déjoue les réticences des réfractaires: ici, nul dévoiement du genre, mais au contraire une magnificence totalement inédite.

ici, nul dévoiement du genre, mais au contraire une magnificence totalement inédite

Quand Sollima se lance dans ce film en1966, le western spaghetti est en pleine floraison grâce à Sergio Leone, qui termine Le Bon, la Brute et le Truand, tandis que Sergio Corbucci achève de son côté Django. Sollima introduit dans le genre classique du western deux dimensions totalement nouvelles: la lutte des classes, le sens dramaturgique du paradoxe. Un chasseur est engagé par un groupe de grands propriétaires pour traquer un petit voyou accusé de viol. Peu à peu, on comprend que le voyou est un faux coupable et qu’une coalition des puissants afomenté un complot pour le désigner comme bouc émissaire afin de protéger leurs intérêts. La clique des puissants est impressionnante par sa cruauté et son insupportable aisance de classe, dont se souviendra Tarantino pour Django Unchained (il y a même un baron autrichien dans la bande !). Toutes les scènes sont écrites en vertu d’un

principe de paradoxe: faire monter une tension sous-jacente, la faire exploser et renverser les rapports de force. Cette double puissance, la lutte des classes et le sens du paradoxe, n’a évidemment rien à voir avec le genre américain du western que l’on retrouve ici à un autre plan, dans le sens majestueux et quasi élégiaque des paysages. Il y a quelque chose d’incroyable pour le spectateur dont l’œil est habitué aux paysages américains à voir le genre transposé en Europe: quelque chose d’“unheimlich” (d’une inquiétante familiarité) imprègne visuellement toutes ces scènes tournées en Italie et en Espagne. Dans le rôle du chasseur, Lee Van Cleef, transfuge américain, trouve là une seconde carrière. Mais c’est surtout dans le rôle du petit voyou qu’explose un acteur qui injecte une vitalité picaresque inestimable au film: Tomás Milián. Acteur cubain devenu italien, il sera dans les années60 le héros de “westerns zapata”,

incarnant à merveille le type révolutionnaire sud-américain portant l’étendard du tiers monde. Il sera plus tard le héros chic d’Identification d’une femme d’Antonioni. Ici, il est génial de transformisme, de souplesse corporelle, de bouffonnerie joyeuse, et il compose un inoubliable personnage de petit filou séducteur, inventant ce qui sera la marque de l’acteur européen moderne: une mouvance imprévisible. On a toujours plaisir à ce qu’un acteur américain fasse ce que l’on attend de lui, on a toujours plaisir à ce qu’un acteur européen nous bouscule. Le DVD La version “director’s cut”, longue de 20 minutes supplémentaires (en Blu-ray), un entretien avec Sergio Donati, scénariste du film, un livret richement illustré et rédigé par Jean-François Giré. Axelle Ropert Colorado de Sergio Sollima, avec Lee Van Cleef, TomásMilián (It., 1966, 1 h 30), Wild Side, environ 25€

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Loubia Hamra de Narimane Mari

la terre tourne autour de Marseille Le Festival international de cinéma de Marseille, de plus en plus intransigeant, propose une véritable vision du monde à travers une sélection d’une variété lumineuse.

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e qu’il y a de bien, avec le FIDMarseille, c’est que c’est un festival qui n’y va pas par quatre chemins. Que son côté conceptuel se radicalise d’année en année. Au début, quand Jean-Pierre Rehm le prit en main, on jouait –c’était la mode, le jeu du moment– avec la frontière entre le documentaire et la fiction. Puis apparurent des films dont on se demandait s’ils n’étaient pas tous des fakes: où était le réel, l’imaginaire ? Cette année, c’est encore mieux: des films visiblement de fiction apparaissent, uniquement justifiés par le fait qu’on dise que ce sont des films documentaires. Exactement comme des ready-made, ces objets manufacturés qui deviennent des œuvres d’art dès qu’on les désigne comme tels. La cohérence de la sélection est toujours aussi rigoureuse, et l’on en serait presque à jurer qu’on n’en adétecté que les aspects les plus futiles. Les grands et beaux vainqueurs de cette édition2013 du festival de Marseille furent le film de Mati Diop, Mille soleils, pour la Compétition internationale (un hommage beau, intelligent, émouvant et pourtant sans dévotion à son oncle, le grand cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambety), acclamé par le public lors de sa projection, et l’admirable Loubia Hamra (Haricots rouges) de Narimane Mari pour la Compétition française (libre évocation de la guerre d’Algérie rejouée par des enfants). Des prix amplement mérités pour deux films qui dominaient nettement la compétition. Mais l’intérêt de Marseille est décidément autre. C’est l’ensemble qui vaut le coup d’œil. The Joycean Society de Dora Garcia (Belgique), sur le papier, ce n’est qu’un documentaire délicieux sur des gens de lettres

fanatiques de James Joyce qui se réunissent et s’appliquent avec un humour totalement britannique à décortiquer et expliciter chaque mot de Finnegans Wake… Nous voici dans un univers parallèle qui nous est contemporain, dont on ignorait tout, et qui fait partie de notre temps. Il y avait aussi La Buissonnière de Jean-Baptiste Alazard, l’histoire de deux gars fous dingues qui vont la nuit dans les champs de pavots du sud de la France récolter leur opium avecunpetit cutter. Encore un petit monde qui fait partie dunôtre. Lech Kowalski, cinéaste passionnant mais parfois inégal, nous présentait un film très impressionnant, Holy Field Holy War, très déprimant, sur des paysans polonais qui se font avoir par des sociétés américaines venues exploiter le gaz de schiste et détruire leurs propriétés. Tous ces films, en cohabitant, nous donnent une vision globale du monde. Et c’est décidément de leur adjonction que naît l’œuvre annuelle du FIDMarseille. Nous vîmes aussi, pour finir, De la musique ou la Jota deRosset, le nouveau film de Jean-Charles Fitoussi, enquête science-fictionnelle qui nous entraîne à Majorque écouter le sémillant Clément Rosset, philosophe àlabouteille joyeuse, parler de la musique, cet art qui ne cherche pas à imiter la nature. C’est un peu ce que forment tous ces films aussi originaux et différents les uns des autres: un univers bigarré, foutraque, drôle, bizarre, où le cinéma cherche, quand il se veut art, àutiliser ses moyens de monstration propres, et non àprononcer des discours établis d’avance, avant même lepremier bip de la caméra HD. Jean-BaptisteMorain 24e Festival international de cinéma de Marseille (FID) 17.07.2013 les inrockuptibles 73

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la mort devant soi Quel effet cela fait-il de se retrouver dans la peau d’un tueur ? Finit-on par y prendre un certain plaisir ? Des questions posées très frontalement par le pas tendre Hotline Miami.

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l y a quelques années, le “Club des13”, mené par la cinéaste Pascale Ferran, s’inquiétait pour l’avenir des “films du milieu”, ceux aux budgets moyens, ni très riches, ni très pauvres. La situation de l’industrie vidéoludique fait étrangement écho à ces débats: alors que les coûts de développement des blockbusters s’envolent, les “jeux du milieu” ont eux aussi de plus en plus de mal à exister. Mais cette évolution préoccupante a aussi une conséquence heureuse: appelés par la force des choses à occuper la place laissée vacante par les productions intermédiaires, les jeux indépendants n’avaient jamais bénéficié d’une telle visibilité. Sony, en particulier, a lancé une grande opération de charme à destination des petit* développeurs, appelés notamment à combler les trous de la ludothèque de sa PS Vita mal aimée. Après Limbo ou Thomas Was Alone et en attendant Proteus, la boutique en ligne de la console portable vient d’accueillir Hotline Miami, l’un des jeux indés les plus impressionnants de ces dernières années, paru fin2012 sur PC. L’été est sans doute le moment idéal pour le rattraper. Mais attention: l’œuvre du Suédois Jonatan Söderström (aka “Cactus”) n’a rien du jeu-co*cktail sucré à siroter en bord de plage. Ce serait plutôt un alcool (très) fort, du genre à faire des trous dans l’estomac et un peu aussi dans le cœur, en passant.

Nous sommes à Miami, en 1989. Nous ne sommes pas quelqu’un de très fréquentable mais un tueur, qui reçoit un appel, se rend à l’adresse indiquée et élimine méthodiquement tous ceux qu’il y trouve. Puis recommence. Il arbore des masques d’animaux. Et, bientôt, ne sait plus trop où il en est. Vomit un peu, croit voir des cadavres au vidéo-club ou à la pizzeria. “Est-ce que tu aimes faire du mal aux autres ?”, s’entend-il demander. Et nous ? Impossible de répondre par la négative tant le jeu se révèle prenant avec ses niveaux-énigmes faussem*nt simples –au joueur de trouver la suite d’actions idéale– et son extraordinaire bande-son. C’est une magistrale épure ludique (et graphique, et narrative), un authentique simulateur de meurtre sur lequel l’embarrassante question ne cesse jamais de planer. Pour nous retomber violemment sur le crâne lorsque toutes nos cibles ont trépassé. Alors, la musique s’arrête et on revient sur nos pas en enjambant les corps ensanglantés. Malaise. Il y a du Drive dans Hotline Miami, et puis du Lost Highway, du Inland Empire. Ou, pour rester dans le registre ludique, du Manhunt, du Killer 7. L’expérience, âpre et tendue (mais jamais décourageante), mérite d’être tentée. ErwanHiguinen Hotline Miami sur PS3, PS Vita, Mac et PC (Dennaton Games/Devolver Digital), environ 9€ en téléchargement

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Deadpool Sur PS3 et Xbox 360 (High Moon Studios/ Activision), environ 60€ Egocentrique, instable et malpoli, Deadpool n’est pas exactement l’archétype du superhéros Marvel. C’est ce qui donne son piquant au jeu d’action qui lui est consacré et dont il est à la fois l’acteur et le commentateur. Il dialogue avec son concepteur, s’adresse au joueur et moque les conventions du genre –ce qui, accessoirement, permet aux Californiens de High Moon Studios de les suivre impunément. Deadpool n’en reste pas moins une chouette surprise potache et distanciée. E. H.

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on the route again Le deuxième tome de Kentucky Route Zero nous entraîne dans denouvelles aventures toujours aussi improbables et passionnantes. ake Elliot a échoué: il ne parviendra administratif dont un étage entier pas à publier les cinq “actes” est occupé par des ours et dans une église de Kentucky Route Zero d’ici la fin désertée dont le gardien solitaire de l’année. Mais c’est vraiment continue de diffuser à heure fixe des le seul regret que l’on peut avoir car, enregistrements de sermons. Le dispositif disponible depuis peu, le deuxième volet a très légèrement évolué –les trajets de la subtile odyssée bluegrass conçue par automobiles se révèlent un peu plus le jeune Américain avec son complice Tamas hypnotiques, les descriptions littéraires Kemenczy tient toutes ses promesses. semblent moins nombreuses– mais On y retrouve le chauffeur routier vétéran le résultat est toujours brillant. On attend Conway, son chien et la dénommée Sharon, déjà la suite avec impatience. E. H. réparatrice de téléviseurs de son état, à la recherche de l’introuvable Dogwood Drive. Kentucky Route Zero, Act II sur Mac et PC Cette quête les entraînera entre (Cardboard Computer), environ 23€ en téléchargement (Season Pass pour les Actes I àV) autres dans les méandres d’un immeuble

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un singe en enfer Un coffret king size et un livre reviennent sur les fulgurances de Léo Ferré. Itinéraire d’un enragé.

E Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

n septembre 1959, LéoFerré adopte un chimpanzé femelle atteint de pleurésie dont veut se débarrasser le cirque Bouglione. A Perdrigal, son manoir du Lot, le chanteur a commencé par héberger un hibou. Il se retrouve bientôt àla tête d’une ménagerie: quatre chiens, quarante chats, un âne, des brebis, uncochon baptisé Baba. Puis débarquent d’autres singes, dont l’imprévisible Zaza, que par sécurité l’on doit tenir en cage. Larégence de l’arche revient à Pépée, lafemelle chimpanzé. En Noé hirsute, anar et débonnaire, le vieux Léo laisse faire l’incorrigible cheetah qui arrache une patte à son chien Misère, mord un vétérinaire et fait ses besoins là où bon lui semble. Pépée devient l’enfant tyran du couple stérile qu’il forme avec sa seconde épouse Madeleine. Lorsque le couple splitte, que Léo se trisse au beau milieu de la nuit au volant de sa DS21, abandonnant une Madeleine incrédule et bourrée, cette dernière prend une décision digne de la Médée d’Euripide.

Elle requiert les services d’un chasseur et fait abattre toutes les bestioles, dont la pauvre Pépée. Cette histoire de dingue ouvre le bel oratorio biographique que Ludovic Perrin, ancien de Libé, entonne dans On couche toujours avec des morts à la mémoire de Léo le terrible, et ce alors que l’on s’apprête à célébrer le vingtième anniversaire de la disparition du chanteur. Histoire d’une rare humanité où le singe devient roi et le verbe sorcier, où la musique comme une mer se déchaîne et resplendit en de mystérieux miroitements. Lecture édifiante et savoureuse qui se propose en contre-chant à la parution d’un coffret king size de vingtCD avec livre d’images et témoignages variés. S’y trouve distillée dans un épais cartonnage l’intégrale des années Barclay, de 1960 à 1974, période où se révèle l’incroyable mutation d’un auteur compositeur interprète dressé par la rive gauche et le cabaret qui peu à peu se change en fauve chantant, en poète crépusculaire au lyrisme délirant, au verbe intarissable,

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on connaît la chanson

terra incognita On regarde les reportages des Nouveaux Explorateurs les yeux fermés: ladécouverte musicale est au bout du chemin.

Alain Marouani

son art se met soudain à conjuguer blasphème et mutation du langage

turgescent et prophétique, dont la révolte transcendantale s’ourdit dans les tréfonds de la volupté. De fait, L’Indigné, pour racoleur que soit ce titre d’intégrale au plan du marketing, est loin de rendre justice à la féroce exigence qu’injectera le vieux singe au cours de ces quatorze années de transe créatrice. “L’Enragé” aurait tellement mieux convenu ! Entré dans la cinquantaine, âge où la sagesse devrait commencer à vous prévenir de tout extrémisme, Ferré fait sa révolution à la fois copernicienne et maoïste, alors que le fond de l’air devient rouge, que dans les rues du Quartier latin des barricades se dressent. Ce sera L’Eté68, Amour anarchie, La Solitude, albums en rouge et noir d’où sont tirées ses chansons les plus connues et ses plus grands succès: C’estextra, La“the” nana, Poètes, vos papiers, LaMémoire et la Mer, Avec le temps... Etaussi Pépée, plus belle oraison funèbre jamais adressée à une guenon. Si, dix ans plus tard, Gainsbourg va renouveler son public à la faveur du punk, Léo embrasse éperdument, et parfois trop, la génération68. Et d’une chanson française de facture classique, il engendre une hyperbole où électricité rock (due augroupe français Zoo) et mouvements symphoniques servent à rejoindre lasublime déraison d’un Antonin Artaud. D’unpeu

louche et mélancolique, son art se met soudain à conjuguer blasphème et mutation du langage. Comme pour se purifier des attouchements pédophiles subis pendant sa scolarité chez les pères franciscains, de la lente pourriture d’une vie de couple sans enfant mais avec bestiaire et de la médiocrité d’un quotidien bourgeois qu’il brûle désormais de dévaster d’un feu nietzschéen. Ce sera Il n’y a plus rien, Et…basta !, L’Espoir et La Chanson du mal-aimé de Guillaume Appolinaire, dernières saillies où tout se transforme en “prières païennes, hérétiques, psaumes bibliques (…) aux couleurs d’un sexe tourné vers l’illicite” (Ludovic Perrin). Où Ferré le damné, sans Dieu ni maître, naît enfin à la pure jubilation d’être devenu un singe en enfer. FrancisDordor coffret L’Indigné (20CD Barclay/Universal) livre On couche toujours avec des morts de Ludovic Perrin (Gallimard), 272pages 19,90€

Ces dernières années, on a souvent retrouvé nos morceaux fétiches enaccompagnement sonore depublicités. Aujourd’hui, l’inverse est possible: dénicher un trésor enle découvrant en bande-son d’un programme audiovisuel. La chose s’est récemment produite alors que je visionnais un documentaire que consacrait l’émission LesNouveaux Explorateurs à l’Argentine. Pour égayer le reportage, de délicieux extraits musicaux arrivèrent à mes oreilles, si bien qu’il devint vite inconcevable de ne pas dégainer la célèbre appli Shazam. Verdict: la musique en question était signée DeMusmaker et, quelques clics plus loin, en écoute sur les célèbres sites de streaming. DeMusmaker, donc, un nom comme chipé au deMesmaeker deGaston Lagaffe pour un artiste sur lequel règne un mystère absolu: pas de page Wikipédia, pas d’infos sur le net, pas d’interview. Juste une page SoundCloud, où l’on trouve des extraits de ses travaux pour différents reportages, qui laissent deviner que l’homme en question estfrançais puisqu’il ne s’agit que de productions bien de chez nous. Petites, dépassant rarement les deux minutes, les chansons de DeMusmaker racontent pourtant parfois de grandes histoires, des histoires qui relieraient AdamGreen à Beck, Badly Drawn Boy aux Kinks. Ecoutez donc la petite merveille mélodique Young Stories: elle n’aurait pas détonné sur le Village Green Preservation Society des frères Davies. Sorties sur unlabel indé américain, ces chansons-là gagneraient à coup sûr les louanges de Pitchfork, ou figureraient sur la bande-son d’un film de WesAnderson, entre un Moldy Peaches et un vieux Lennon. Elles restent loin de tout ça, comme une jolie énigme, une charmante devinette.

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Nina Barnes

une douzaine d’Of Montreal

MGMT à la rentrée Après des mois de spéculations, on sait maintenant tout ce qu’il y a à savoir sur le troisième album de Ben Goldwasser et de son acolyte bouclé Andrew VanWyngarden. Enregistré avec Dave Fridmann, déjà coproducteur des deux premiers

disques du duo, le successeur de Congratulations a enfin une date de sortie – le 16septembre –, et un titre plutôt sobre: MGMT. Le groupe sera en concert à l’Olympia le 8octobre. On se demande comment il va faire pour jouer ce monstre sur scène !

On n’ose même plus employer le terme prolifique à ce niveau-là: auteurs d’un onzième album aussi déconstruit que pénible l’an passé, les Américains d’Of Montreal reviendront à l’automne avec un douzième disque répondant au doux nom de Lousy with Sylvianbriar. Le successeur de Paralytic Stalks arrivera le 8octobre et s’annonce plus old school que ses prédécesseurs si l’on en croit la tête pensante (et cinglée) de la troupe : “Je savais que je voulais m’aligner sur la façon dont on enregistrait les albums dans les années 60 et 70”, a expliqué Kevin Barnes à Pitchfork. Un morceau, Fugitive Air, est déjà en écoute. soundcloud.com/polyvinyl-records/of-montreal-01-fugitive-air

Vincent Delerm va piano

cette semaine

Kavinsky

Marsatac: la prog complète Quinzième édition et programmation une fois encore démente pour le festival marseillais, désormais présent à Nîmes. Au programme des festivités cette année: Moderat, Vitalic VTLZR, Laurent Garnier, Kavinsky, Busy P, The Pharcyde, Tricky, Magnetic Man, Nasser, Fauve≠, Rone, Jon Hopkins, f*ck Buttons, Breton, Sexy Sushi, Juan McLean, Discodeine, Juveniles, Aufgang, TheStepkids, Zombie Zombie, Superpoze, Set & Match, Andromakers, Gramme ou encore JC Satàn. L’intégralité de l’affiche est à retrouver sur le site du festival, qui se tiendra du 19 au 21septembre à Nîmes et du 22 au 29à Marseille. www.marsatac.com

Parce que le soleil s’est bel et bien installé sur Paris, on profite du beau temps pour aller flâner sur le parvis de l’Hôtel-de-Ville, devant les concerts du festival gratuit Fnac Live, où se croiseront notamment Miles Kane, Breakbot, Granville, Villagers, Palma Violets, Christine And The Queens, Rokia Traoré, Concrete Knives, Mesparrow ou Alex Beaupain. du 18 au 21 juillet à Paris (parvis de l’Hôtel-de-Ville), www.fnaclive.com

Aglaé Bory

Marcus Herring

Fnac Live àParis

Vincent Delerm mettra un terme cet automne, avec Les Amants parallèles, à cinq années de silence discographique. Depuis la sortie de Quinze chansons (2008), il avait créé une pièce de théâtre musical et sorti un livre-album pour enfants. Il reviendra le 4novembre avec un cinquième disque enregistré sur quatre pianos, façonné à Paris avec l’arrangeur Clément Ducol, collaborateur de Camille. Les musiciens ont créé tous les sons – cordes, basses, percussions – à partir des pianos.

neuf

Microdisney

Fred C. Dobbs Fred C.Dobbs est bien le nom de ce groupe londonien, emprunté au Bogart du Trésor de la Sierra Madre. Des trésors, FredC.Dobbs en a déniché dans le fond du garage (rock), jouant une pop frénétique etspectorienne à forte teneur en jingle-guitar et tambourins maltraités. Ça joue faux, mais très juste, primitif et adorable. facebook.com/fredcdobbsmusic

Lorsqu’il ne reprend pas Phoenix avec aplomb (et une chorale d’enfants), ce duo tribal et sexy, repéré sur l’inRocKs lab, illumine des popsongs qui flottent et divaguent, à la fois enjouées et plaintives. Sur la vidéo de Cult of Water, lelac où il se baigne devient pétillant: c’est dire le pouvoir magique de cette musique ! www.noircoeur.com

Keffer

Noir Cœur

Jackson & HisComputer Band Ayant commencé très jeune, legrand Jackson est à la fois vert et déjà vintage. Vintage ? Ce que dément avec génie le nouvel album Glow de cet immense cocu de la French Touch, influence fondamentale notamment de Justice. A ne pas manquer à la fin de cet été à Rock en Seine: ses concerts tiennent du prodige. facebook.com/jacksonandhiscomputerband

Alliance impossible d’un sauvageon et d’un orfèvre pop, Microdisney trouva, sur une poignée d’album réédités (dont le formidable The Clock Comes down the Stairs), un équilibre impensable. Les Irlandais inventaient là une pop faussem*nt innocente et vraiment agitée, héritière du punk comme de Steely Dan ! www.cherryred.co.uk

vintage

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Kaliisa Conlon

Shannon & The Clams

freaks de Frisco La première édition du festival City Sounds accueille au CentQuatre, à Paris, lanouvelle scène bouillonnante de San Francisco. Sous le signe du psychédélisme lo-fi et du garage-rock dérangé.

I

ls ne sont pas tout à fait les enfants du Grateful Dead ou de Quicksilver Messenger Service, mais les turbulents activistes de San Francisco que le festival City Sounds a eu la bonne idée de réunir pendant deux soirées à Paris partagent avec ces antiques gloires locales une forme d’incontinence jubilatoire et une vraie folie désordonnée. A cette différence près qu’aucun d’entre eux ne pratique la jam à rallonge, préférant au contraire les morceaux flash, lapidaires, faussem*nt immatures et souvent très instruits sous leurs dehors de sales mioches. Leur incontinence musicale à eux se traduit par des chiffres assez affolants. Thee Oh Sees, l’une des multiples émanations du cerveau en fusion de John Dwyer, a dégorgé pas moins de sept albums depuis2008 –dont le chef-d’œuvre PutrifiersII l’an dernier. Durant la même période, l’hyperactif du lo-fi Ty Segall en lâchait dans la nature pas loin du double sous divers attelages, sans parler de la flopée de singles, cassettes, compilations ou flexidiscs qui ont jailli du même chaos. Moins productifs mais tout aussi frappants, les autres papillons

épinglés sur cette double affiche, notamment les krautrockers de la Baie Moon Duo ou les pétillants Warm Soda, valent également leur pesant de troubles auditifs et de frissons lysergiques. NeveuUS des TVPersonalities, et donc petit-fils de Syd Barrett, White Fence –alias Tim Presley– distord des comptines ingénues à coup de fouets fuzz et d’orgues barbares. Emmené par une espèce de Valérie Damidot qui aurait pour unique passion de redécorer le garage-rock et le wall of sound spectorien, Shannon & The Clams apportera une touche un peu plus frivole à ce programme cacophonique. La plupart de ces protagonistes, qui ont fini par constituer une scène consanguine, sont des enfants de couples hippies nés dans les années80, quand Haight-Ashbury n’était déjà plus qu’un repère pour touristes en quête de foulards mauves fabriqués en Chine et de reproductions industrielles d’affiches du Fillmore East. Ils n’ont gardé du psychédélisme que l’essence la plus inflammable pour produire un mélange détonant avec le rock de leurs années college, celui de Pavement, Beck ou Pixies.

Moniteur bénévole de cette colo dissipée, John Dwyer a canalisé toute cette énergie à travers son label Castle Face Records, qui héberge ou a hébergé la plupart d’entre eux. Un tribute au premier album du Velvet, antidote originel aux débordements patchouli de la scène de Frisco, aura fait office de note d’intention. Quelques adoubements illustres, comme celui de Jim Jarmusch, qui a qualifié Thee Oh Sees de “plus grand groupe de rock au monde”, ont accéléré le pouls de cette bande d’allumeurs de mèches, sans pour autant leur offrir une exposition internationale. Ce festival est peut-être l’occasion idéale pour entrer en contact avec quelques-uns des derniers mohicans du do it yourself, qui n’oublient pas de faire éclore parmi leur magma bouillonnant d’authentiques classiques qui feront les beaux jours des Peebles et Nuggets de demain. Christophe Conte festival City Sounds #1, les 19 et 20 juillet à Paris (CentQuatre) le 19 : Ty Segall, White Fence, Moon Duo le 20 : Thee Oh Sees, Warm Soda, Shannon & The Clams www.104.fr 17.07.2013 les inrockuptibles 79

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Lambros Leondaridis, Roza Eskenazi, Agapios Tomboulis, à Athènes, 1930

label hellène Nouvel eldorado des archéomusicologues: la Grèce, et sa musique des bas-fonds, lerebétiko, compilé sur quelques nouveautés renversantes.

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es signes ne trompent pas. Depuis une dizaine d’années, le label anglaisJSP, spécialisé dans les compilations de musiques d’avant-guerre, lui a consacré plusieurs coffrets indispensables. Au milieu des années2000, Alex Kapranos, le leader de Franz Ferdinand, a maintes fois chanté ses louanges. En2004, l’Américain (d’origine italo-grecque) Jim Sclavunos (batteur des Bad Seeds de Nick Cave) signait dans le Guardian un bel article sur le sujet (sous le titre éloquent “Tellement bon qu’ils l’ont interdit”). En 2010, le très hype label américain Mississippi Records sortait un vinyle de la diva Marika Papagika

une musique née il y a un siècle dans les tavernes, les bordels pour marins et les prisons d’Athènes

(interprète en 1919 de Smyrneiko Minore, considérée comme la chanson la plus triste du monde). L’année dernière, l’Italien Vinicio Capossela lui consacrait son nouvel album –avec une version ramenée au pays de Misirlou, le tube surf-rock de Dick Dale popularisé par la BO de PulpFiction en1994. Le rebétiko, donc. Une musique née il y a un siècle dans les tavernes, les bordels pour marins et les prisons d’Athènes. Très loin des clichés folkloriques de mecs en jupe qui jouent du bouzouki et font la danse du mouchoir pour des touristes pétés à l’ouzo, une musique de l’intérieur, des bas-fonds infréquentables, qui parle de sexe, de drogue, de meurtres et de gangsters. Une musique historique aussi, liée aux soubresauts de l’indépendance du pays, aux guerres contre la Turquie, à la Première Guerre mondiale,

à l’exode d’une population chrétienne miséreuse, forcée après1920 de quitter la Turquie pour s’installer en Grèce. Pour le public occidental, le rebétiko est présenté comme une forme européenne du vieux blues. Ce n’est pas faux. Mais c’est surtout, dans son instrumentation et ses mélodies, une musique hautement influencée par le Moyen-Orient, par l’héritage culturel de l’Empire ottoman. “Je suis turc par la naissance, grec par les origines, et américain parce que mon oncle a fait un voyage”, disait Elia Kazan en ouverture de son chefd’œuvre America America. Cette musique en noir et blanc tragique raconte plus ou moins la même histoire. Et le coffret ultime vient d’arriver d’Amérique, conçu sous forme de livre-disque par le toujours essentiel label d’Atlanta DustTo-Digital. Greek Rhapsody

compile une quarantaine d’instrumentaux gravés sur 78t entre 1905 et 1956, au-delà du seul rebétiko et des frontières de la Grèce –pas mal de titres ont été enregistrés à Istanbul ou New York, peut-être par des oncles d’Elia Kazan. Des pépites exceptionnelles, merveilleusem*nt nettoyées (la vieille musique a rarement aussi bien sonné), extraites d’un filon qui va de la Turquie aux Balkans en passant par Hawaii –la mode de la guitare hawaïenne dans les années30 était arrivée jusqu’aux oreilles des Grecs. L’autre gros morceau, c’est le coffret Beyond Rembetika du label JSP, qui ratisse la musique antique de la région de l’Epire (à la frontière entre la Grèce et l’Albanie). En grec, “épire” veut dire continent. Et c’est la révélation d’un continent oublié, presque cent morceaux enregistrés entre deux guerres mondiales et une multitude de conflits régionaux, qui suintent la virtuosité et la tragédie, comme un jazz sans l’insouciance. Une musique sophistiquée sur la forme, brute et violente sur le fond: magnifique. Pour finir, les esthètes garderont de la place pour Five Days Married & Other Laments, un autre disque qui résume le coffret précédent, sous une pochette dessinée par Robert Crumb. StéphaneDeschamps albums Greek Rhapsody (Dust-To-Digital/Differ-ant), Beyond Rembetika (JSP/ Socadisc), Five Days Married & Other Laments (Angry Mom Records/Orkhestra) www.dust-digital.com

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About Group Between the Walls

Renaud Monfourny

Domino/Sony

The Woodentops Before During After Totem/One Little Indian/Pias

Un coffret expose l’intégrale fascinante de héros eighties. es groupes que leurs grandes oreilles n’ont jamais freinés mais au contraire propulsés accompagnent parfois les accélérations exorbitantes de la musique de leur époque. Les Woodentops ont ainsi avancé –cavalé– de pair avec une scène indie anglaise qui, en quelques années des eighties (84/87), est passée des Smiths àIbiza. Dans les deux cas, et dans les moments intermédiaires de ce morphing vertigineux, les Woodentops ont été au top, fantastique groupe d’indie-pop pressé, frénétique même à ses débuts (les singles Plenty, Move Me ou le presque tube Well Well Well), avant de devenir de plus en plus obsédé par les rythmiques qui, déjà, affolaient leurs chansons –pour devenir les héros de DJ alors en vogue comme Oakenfold ou Weatherall. En un plantureux coffret de 3CD reprenant les deux albums toujours saisissants, ultravivants, du groupe, plus des inédits ou des remixes, l’excellent label Totem réhabilite enfin et estime à sa juste valeur ce groupe qui, courageusem*nt et inconsciemment, fut l’un des premiers à ouvrir une brèche dans le mur de la honte séparant la pop indé et l’hédonisme ecstasié des clubs – et, accessoirement, l’une des premières couvertures d’un fanzine, LesInrockuptibles, alors fanatique de cette pop jouée à toute berzingue et dans l’euphorie. La passion était restée intacte, il suffisait de ce bel objet pour la raviver. JDBeauvallet

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woodentopsmusic.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Un Hot Chip en goguette cosmique avec des amis au riche CV: sérieux. Pour avoir rencontré Alexis Taylor en studio avec Hot Chip, on peut ici même témoigner: le garçon est excessivement sérieux dans son excentricité, totalement maniaque dans sa nonchalance. Boulimique de collaborations et d’expériences, sa discographie s’étale ainsi sur un spectre affolant, de la soul à la house en passant, comme ici, par le free-tout (rock ? jazz ? soul ? blues ?). Et qui de plus prodigieux que l’ancien This Heat Charles Hayward pour l’accompagner dans ce projet expérimental, illimité ? On admire cet abandon de Taylor dans les vertiges de la musique improvisée, lui qui tient d’habitude diaboliquement en laisse ses instincts et instruments. Mais là, accompagné d’un intermittent de Spiritualized et d’un électronicien du free-jazz, il se laisse aller à la divagation, à l’écriture sans limites, aux dérives ivres dans le son. Et pour tout vous dire, à l’exception de All Is Not Lost (et de son clip dingue) ou du délicieux INever Lock That Door, il a l’air de nettement plus s’amuser à jouer cette musique libérée que nous à l’écouter. JDB www.hotchip.co.uk en écoute sur lesinrocks.com avec 17.07.2013 les inrockuptibles 81

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Orquesta El Macabeo Salsa Bestial Vampisoul/Differ-ant De la salsa débridée, déglinguée et bambocharde, avec des chèvres dedans. Des gens qui chantent comme des chèvres, on connaissait. Grâce à la très réussie pochette de Salsa Bestial, on découvre que la bestiole peut aussi jouer des percus. Del’humour, il y en a partout dans ce disque qui compile des morceaux de deux albums du groupe portoricain. De la salsa, oui, mais du démon, débridée, encore plus étourdissante que de nature. Ouvert sur l’énergie du rock latino et les chansons, l’Orquesta El Macabeo a quitté le troupeau, et c’est très bien comme ça. S. D. www.vampisoul.com

Smith Westerns Soft Will Mom&Pop/Cooperative/Pias De Chicago, de la pop romantique qui fait battre les c(h)œurs. ome on feel the transpercer le cœur des Illinoise”, invitait jeunes filles en fleur, voire Sufjan Stevens. celui de leurs mamans. Onaurait très envie On pense à Tame Impala de suivre les conseils en plus doux, ou au dumusicien pour rejoindre Oasis des débuts, quand les Chicago, ville des adorables frères Gallagher alignaient Smith Westerns. Moins les ballades sensibles connus que Real Estate en faceB (Best Friend). ouGirls, les garçons C’est sans surprise distillent une pop juvénile mais c’est fort charmant etromantique. Si les deux –on vous conseille le premiers albums laissaient radieux Glossed à chaque transparaître un béguin réveil. JohannaSeban pour Marc Bolan et David www.smithwesternsmusic.com Bowie, ce Soft Will voit en écoute sur lesinrocks.com les Américains s’éloigner avec des influences glam pour renouer avec unetradition quasi britpop. 3AM Spiritual, Idol, Fool Proof ou l’imparable Varsity: il y a dans ces ritournelles amoureuses de quoi

Scogin Mayo

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The Baptist Generals Jackleg Devotional to the Heart SubPop/Pias

Retour gagnant pour la reine de la soul britannique. L’an passé, c’est aux côtés de Quantic que l’Anglaise livrait Look Around the Corner, subtil mélange de soul et de cumbia. Cette année, c’est le gospel et le r’n’b qu’elle revisite, avec ses morceaux de vie remplis de peines et d’échecs. To Dust mélange ainsi des influences diverses allant du hip-hop au blues, jusqu’à la soul80’s. C’est d’ailleurs là que la diva excelle: en puisant dans unedécennie musicale douteuse, mais sans aucune faute de goût. Une sorte d’Aretha Franklin blonde aux yeux bleus, loin des divas soulasses molasses que l’Angleterre produit à la chaîne. StéphanePinguet

Les Américains sortent du maquis folk et tripotent la pop avec amour. rois albums en treize ans –le précédent datait d’il y a dix ans. Les Texans Baptist Generals, de cette étrange capitale musicale que reste Denton, prennent leur temps. Depuis Dog, premier manifeste lo-fi qui, en 2000, tisonnait les braises de la old weird America, le groupe a fait du chemin. Aujourd’hui, ilsort du maquis du folk primitif, pour unemusique moins brute et enragée, plus pop, conforme aux conventions du roots-rock indé. On peut le déplorer, ou pas. Il y a sans doute moins de sang, de nerfs et de fantômes, mais il reste un son (très acoustique), une voix (celle de Chris Flemmons, rejeton de Pere Ubu) et des chansons qui évoquent l’énergie exaltée de Guided By Voices et un genre de glam-rock rustique. On entendra même ici Dog That BitYou, le meilleur morceau de David Bowie sorti cette année. StéphaneDeschamps

www.alicerussell.com en écoute sur lesinrocks.com avec

www.baptistgenerals.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Alice Russell To Dust Tru Thoughts/Differ-ant

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Emma Picq

la découverte du lab

Hologram Keffer

Sept & Lartizan Le Jeu du pendu

various artists SND.PE vol. 01 Sound Pellegrino Une compilation redéfinit les pourtours de l’electro européeenne. Orgiaque. ’idée de cette compilation est aussisimple qu’efficace: réunir, sur treize inédits calibrés, quelques représentants de la crème européenne de l’electro. Mais comment fait-on cela sans tomber dans l’exercice bête et méchant de la compile d’été, dont l’acuité ne dépasse souvent pas la marque de bronzage ? Le label Sound Pellegrino, sous la houlette de Teki Latex et org*smic, semble décidé à apporter des éléments deréponse. Une première piste serait ainsi de tordre le cou aux clichés en vigueur: la house la plus entêtante n’est pas française mais hollandaise (le Heat fantomatique de TWR72), le Nord lâche un r’n’b aussi chaud que tordu (avec le Finlandais EeroJohannes) et le minimalisme ne vient pas de Berlin mais de Varsovie (le piano-beat de The Phantom). Deuxième idée: aller chercher la sueur dans des univers encore inexplorés. Techno en gros, mais surtout à la croisée des genres, le Buran de Djedjotronic & Maelstrom devrait plutôt s’appeler “bourrin” et le Skateboarder de Nicolas Malinowsky (composé à base de bruits deskateboards) figurer au palmarès desréussites improbables. SND.PE propose donc une certaine vision de l’avenir: il faudra peut-être réapprendre à danser. MaximedeAbreu

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www.snd.pe en écoute sur lesinrocks.com avec

LZORecords

Réédition d’un trésor caché du hip-hop français radical –qu’il soit drôle ousombre. Paru en 2008 sur le confidentiel LZO Records, LeJeu du pendu n’a heurté qu’une poignée de spécialistes. Réédité par le label, qui s’est depuis fait un nom en publiant le coup de maître Les Courants forts d’Iris & Arm (Psykick Lyrikah), il prend la tête d’un peloton rap sur lequel il marquait déjà l’avance grâce à son auteur: Sept, radical et vindicatif, maiségalement fin, joueur etdrôle. Une verve dont il livre la preuve sur Tu tues, où il campe une sorte de“MC inconnu”, réceptacle christique des vantardises gratuites des rappeurs. Mais Sept n’est pas que drôle, et ses récits, tantôt fantomatiques, tantôt concrets, dessinent un disque enthousiasmant –quoique un peu dense –, un labyrinthe de bonnes phrases où se croisent fraudeurs et contrôleurs, “princesses pirates et rois sans argent”, rappeurs modernistes et réacs déphasés, mais surtout nuances, espoirs, regards. Sept est plein d’avenir depuis 2003 ; il y a ceux quisavent, et ceux quicreusent encore.

Big bang onirique entre deux enfants du cosmos. Clochards célestes. uand les trajectoires du compositeur Maxime Sokolinski (aussi musicien pour sa soeur Soko) et de la chanteuse Clara Luciani (une des voix de La Femme) se rencontrent: big bang !, de la poussière d’étoiles vole en tous sens. Maxime abandonne ses projets qui l’attendent à L. A. et pose ses bagages à Paris auprès de sa nouvelle muse. A bord de leur machine à remonter le temps, ils filent à toute vitesse vers le space age avec des synthés plein les bras. Fans de Barbarella et de ce fantasme futuriste des années50, ils composent I’ve Got Eyes, bardé d’échos et de respirations lascives. Affalés sur une méridienne Artdéco, les deux grands enfants se lovent devant la télé et usent les bandes magnétiques de L’Odyssée de l’espace jusqu’aux cendres. Pour leur premier ep, ils ont donc décidé d’enregistrer dans le salon de Maxime, privilégiant une atmosphère rétro avec des petites imperfections sonores de cafetières qui retranscrivent si bien leur spontanéité. Ils nous y dévoilent Absolute Zero, une ballade apocalyptique très prometteuse où déambule un jeune élu dans une ville gelée. Sous des airs naïfs, leurs mélodies donnent un coup de grâce aux sempiternels pastiches du Floyd et redorent son blason. Leur premier ep sort le 15juillet et ils donneront un concert intimiste en guise de release party le 23juillet à Paris, au Baron.

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Abigaïl Aïnouz en écoute sur lesinrockslab.com/hologram

Retrouvez toute l’actualité du concours sur lesinrockslab.com

ThomasBlondeau www.lzorecords.com en écoute sur lesinrocks.com avec 17.07.2013 les inrockuptibles 83

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Speedy Ortiz Major Arcana

Dean Hurley

Carpark/LaBaleine

David Lynch The Big Dream Sunday Best/Pias Un pied dans son histoire maudite, l’autre dans le cosmos: le blues toxique de David Lynch. l y a deux ans, au moment de la sortie Ou bien il a inhalé de l’hélium, de son album Crazy Clown Time, on a ou il a mangé Donald Duck. David Lynch suggéré à David Lynch que sa musique n’est sans doute pas un chanteur comme était un genre de rencontre monstrueuse on l’entend communément. D’une voix entre John Lee Hooker et Sparklehorse, débile (au sens de faible), ilsemble et il a souri. Si on avait ajouté “dans lire et chantonner les notes scénaristiques une nouvelle de Philip K.Dick”, il aurait de ses meilleurs films, souvenirs nébuleux peut-être ri comme un dément, en d’une ère pop révolue. nous soupçonnant du don de précognition. Il y a deux ans, il nous disait aussi Car The Big Dream, c’est ça: le blues qu’il avait commencé à aimer la musique anamorphosé du futur, aperçu altéré dans vers 1956-57, avec Elvis. Ça marque une faille spatio-temporelle. Lacadence un homme (et une coupe de cheveux). rythmique dans toutes les chansons Ily a du Blue Moon, du Heartbreak Hotel de Lynch, c’est celle du blues des taulards, dans la musique de Lynch (mais pas des pioches qui cassent des cailloux de Blue Hotel). Une candeur primitive qui au bord d’une route. Mais ça ne se passe remonte à l’enfance du rock, évoquée plus sur Terre, plutôt sur le pont d’un avec des guitares western, des nappes navire interstellaire. de claviers et des boîtes à rythmes cheap. David Lynch ne respire pas le même air Entre slows qui ne tournent pas rond que nous. Déjà, ça s’entend dans sa voix. (dont un chanté par la Suédoise Lykke Li) et electro-rock psychotique, cette chimère d’album est globalement réussie et assurément perchée. Mais le grand rêve humide de David Lynch ne vaut pas, malgré tout, les cauchemars toxiques de Dirty Beaches. StéphaneDeschamps

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L’esprit du grunge maltraité par une douce furie américaine. Chez un groupe de cette engeance, produit par un fidèle de DinosaurJr. et sous influence d’une armée d’électriciens américains ébouriffés, voire hirsutes, voires sadiques –de Pavement à Chavez–, la notion de single reste un concept flou. On en a connu, des chansons que tout destinait aux honneurs, soudain endommagées par un larsen, un beat qui se barre en solo, un refrain sagouiné. Sur le terrassant NoBelow de Speedy Ortiz, vrai tube indie-rock qui donnerait presque envie de porter une liquette en flanelle et d’écouter des cassettes piratées sur une campus radio, le sabotage se cache dans les paroles, hurlées/murmurées par Sadie Dupuis: “Ils disent que j’étais plus heureuse quand j’étais morte.” Une preuve supplémentaire que son groupe pourrait s’appeler Speedy Orties, tant ce grunge patraque cache bien son jeu, à la Breeders, à la Hole, à la fois ravissant et urticant, doux pour les oreilles écorchées et pourtant toxique. JDBeauvallet facebook.com/speedyortiz

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Empire Of The Sun

The Uncluded Hokey Fright Rhymesayers/Other Hand Venus de l’anti-folk ou du hip-hop, deux défroqués font des merveilles. ’un côté, Kimya Dawson, chantre anti-folk et moitié de MoldyPeaches ; de l’autre, AesopRock, échappé de la nébuleuse rap Definitive Jux pour signer chez Rhymesayers, maison-mère d’un rap indé de qualité. L’association a beau évoquer la récente catastrophe folk-rap Dutch menée par le producteur Stoupe (Jedi Mind Tricks) et la chanteuse Liz Fullerton, le résultat est ici brillant. En seize chansons, l’ours du rap indé et la fofolle folk étirent un univers baroque, un brin lo-fi, peuplé de riffs enlevés, de valses délabrées ou de rock de chambre. Un tapis lumineux qui contraste exactement avec les sacs de drames que les deux faux héros éventrent par-dessus, ces comptines amères peuplées de complications familiales et de rêves foutus. Escarpé mais confortable, triste mais doux, Hokey Fright est une danse étrange, la thérapie de deux névrosés au sourire un peu glauque qui cherchent l’apaisem*nt à tâtons dans une bulle de tristesse enchantée. ThomasBlondeau

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L’electro-pop org*smique d’Australiens maniérés mais habités. Au sommet d’une montagne, deux chevaliers azimutés usent de leurs pouvoirs magiques pour ressusciter une sorte d’avatar hypersexué. Ami-chemin entre Star Wars et Dragon Ball, la scène grandiloquente, tirée du clip Alive, est à l’image d’un duo décomplexé, à la pop mutante et outrancière. Avec Walking on aDream, leur premier disque tridimensionnel, Luke Steele (l’empereur) et Nick Littlemore (le magicien) frappaient un grand coup dans l’univers de l’ultra-pop. Le duo revient avec plus d’envie, de force et de précision. “Ice on the Dune est un album taillé pour les stades, explique le binôme, sans chichi. Notre but est de toucher le plus de gens possible. Quand vous grandissez en Australie, vous vous sentez si loin du reste du monde…” De Old Flavours, production tubesque, riff synthétique imparable et refrain monumental, à Keep aWatch, ode à David Bowie, la palette est large et l’album incontestablement réussi. Brillant, brûlant, bluffant. RomainLejeune

Christian Pitschl

Chrissy Piper

Chrissy Piper

Ice on the Dune EMI

empireofthesun.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Josh Louge

www.rhymesayers.com/theuncluded en écoute sur lesinrocks.com avec

Sohn Bloodflows 4AD/Beggars/Naïve

Façonnées entre Londres et Vienne, ces mélodies déroutent et fascinent. On rêvait depuis longtemps de ces chansons qui braveraient tendrement la vieille distinction entre orchestration et minimalisme, entre gravité et légèreté. Quelque part, The Wheel, fabuleuse complainte vaporeuse sortie en fin d’année dernière, laissait déjà entrevoir toute la beauté de ce r’n’b tripé et de ces claviers langoureux élevés dans l’ombre de James Blake ou Brian Eno. Mais avec ce deuxième ep, Sohn réussit totalement ce qu’il n’avait fait qu’esquisser jusque-là: Bloodflows est un éloge sensuel à la lenteur, à la retenue, voire au silence, comme sur les translucides Oscillate et Warnings, où la voix de l’Anglais, d’une douceur élégiaque, fait irrémédiablement écho à l’electro fantomatique et aux mélodies charnelles de Deptford Goth. Grandiose, sans grandiloquence. Maxime Delcourt www.sohnmusic.com 17.07.2013 les inrockuptibles 85

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Baby Guru Pieces Inner Ear/ Rough Trade Distribution

Jay-Z Magna Carta… Holy Grail Roc Nation/Def Jam/Universal Le rap US millimétré d’un freeliner mirifique. Bluffant. out, dans Jay-Z, dans les crédits sur la Beatz (Versus), au potentiel est hors norme. Son renversant ; malin et quasi-totalité du disque, talent de musicien, elle démontre ardemment le efficace en surfant sur des entre autres, avec un références monumentales, niveau du maître, quelle que flow exquis, limé jusqu’aux soit la vitesse d’exécution avec les samples ou ongles, gonflé à bloc par des instrumentaux. citations de My Downfall une diction impeccable, Pour annoncer la sortie de Notorious B.I.G. comme l’attestent les seize de Magna Carta... Holy Grail, plaqué sur Jay-Z Blue titres de ce nouveau Graal dans un spot diffusé sur pour un moment haletant, américain, quatre ans après de Smells Like Teen Spirit les écrans du monde entier, l’offensive collective portée l’homme paraissait serein, de Nirvana (Holy Grail), par The Blueprint3. Frontal, sûr de son coup, assurance habillé par la voix d’un le New-Yorkais ne mâche absolue dans le regard, Justin Timberlake glorifié, pas ses mots, il les devance et de Losing My Religion prêt à délivrer l’une des en prenant soin d’éluder le œuvres les plus intimes de R.E.M. (Heaven)… sarcasme des productions de sa collection. Minimale Dans tous ces registres, surfaites, servies à toutes dans les arrangements, toutes ces manipulations, les sauces, clinquantes et maximale dans l’intention. Jay-Z impressionne. hyper structurées, presque Techniquement, l’Américain Un pari osé mais réussi. Romain Lejeune trop lisibles. s’offre la perfection, Le son se fait jazzy donne des leçons d’argot, www.facebook.com/JayZ avec Somewhereinamerica, sans mot de trop ou de loin le meilleur morceau parole trébuchante, qu’il de l’album, réalisé par soit accompagné de Hit-Boy, Darhyl CamperJr. Beyoncé, Rick Ross, Nas ou et Mike Dean, déjà présent Franck Ocean. Et la piste sur Watch the Throne, caribéenne BBC confirmera épique collaboration du cette règle: produite par binôme Jay-Z/Kanye West ; Pharrell Williams, dont massif sur un interlude c’est définitivement l’année, infernal produit par Swizz et Timbaland, présent

T

De Grèce, un disque envoûtant, entre krautrock et pop psyché. Quelques semaines après l’annonce de la disparition de Ray Manzarek, on propose aux inconsolables de se réconforter avec l’album des helléniques Baby Guru. Baby Guru est un jeune trio venu d’Athènes et son disque rabiboche la Grèce et l’Allemagne en un revival krautrock qui pousse jusqu’à la Californie psychédélique des Doors. Résultat: le groupe, vraie machine de scène, signe un disque captivant et intemporel, porté par des claviers en cascade et le timbre sorcier d’un chanteur en qui semble souvent transparaître le fantôme de Jim Morrison (The Things You Do, Children ou Amaye, qui laisse imaginer ce qu’aurait donné une immersion des Doors dans les cercles afro-beat). Rejoignez la secte. JohannaSeban soundcloud.com/babyguruband en écoute sur lesinrocks.com avec

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Solar Year Waverly Splendour/La Baleine En orbite loin de la Terre, ces Montréalais vivent sans la moindre pesanteur. Tout a commencé à New York avec Animal Collective. Levant les yeux au ciel dans des prières hallucinées, la petite bande ouvrait à la pop le chemin de la conquête spatiale. Depuis, Bear In Heaven et Young Magic sont partis dans le cosmos, emportant Solar Year dans leur lancée. Ceduo de Montréal ne revient en effet sur Terre que pour chiller comme Washed Out. Le reste du temps, il expérimente la gravitation quantique, tente de comprendre ce que veut dire l’infini: étirement maximal des sons, exploration tourmentée du vide, fluctuations et échos étourdissants composent l’ADN extraterrestre de ces morceaux radicaux. Que dire notamment de ce Brotherhood, formulé avec la magicienne Grimes, sinon que sa classe industrielle et sa lenteur religieuse laissent dans la torpeur, donnent le vertige ? MaximedeAbreu www.onesolaryear.com en écoute sur lesinrocks.com avec

The Stark Reality Acting, Thinking, Feeling –TheComplete Works 1968-1978 Now-Again Records/Differ-ant

U

www.stonesthrow.com/starkreality

le single de la semaine Benjamin Diamond Love Overdose ep Pop Out Music

Pour la première fois en français, Diamond éblouit encore plus. L’ironie peut paraître cruelle, digne de Phantom of the Paradise. Pendant que DaftPunk enquille les records, l’un des plus brillants sujets de la French Touch historique (et voix du Music Sounds Better with You de Stardust, ne l’oublions pas) sort un ep autoproduit. Mais voyons plutôt le côté scintillant de la boule à facettes: Diamond a choisi une forme de liberté totale qui l’encourage aujourd’hui à se lancer dans le parler/chanter en français. Sur les impressionnants Assassin assassine et Sur la grève, il s’impose en digne héritier de Max Berlin et de son chef-d’œuvre de talk-over disco, Elle et moi. Il y a bizarrement aussi des faux airs de Julien Baer (et donc d’Yves Simon) dans ce phrasé

Mélanie Elbaz

Réédition de trois albums influents, dingues et massifs de jazz (?) barré. n Syd Barrett funky susurrant Meunier tu dors en compagnie d’Hendrix et sous la houlette du Captain Beefheart: c’est approximativement le sentiment généré par l’invraisemblable aventure d’un quatuor d’étudiants de la prestigieuse Berklee College of Music de Boston, qui décide en 1970 d’attaquer par la face jazz psychédélique une sélection de comptines composées pour la télévision dixannées auparavant par Hoagy Carmichael (Georgia on My Mind, toutes ces sortes de choses). Pour ce faire, le leader et vibraphoniste Monty Stark s’appuie entre autres sur le guitariste John Abercrombie, future star du jazz-rock, mais surtout sur la volonté d’offrir aux chères têtes blondes, et à grandes lampées de réverbération et de pédale wah-wah, l’exact contraire de ce que l’on peut attendre d’un disque pour enfants. Ce coffret intégral, proposé avec un livret encyclopédique, permet également de rappeler que l’univers et le talent de ces zigotos dépassaient la simple pochade. Capables de jouer du rock, du be-bop ou de la samba, parfois simultanément, les “Starks” furent les pionniers intersidéraux de la musique actuelle. Objets d’innombrables samples (Black Eyed Peas), ces trois disques sont indispensables. ChristianLarrède

extrêmement cinégénique. Un troisième titre, Beautiful Fever, donne un peu de clarté à l’ensemble. ChristopheConte benjamin-diamond.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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dès cette semaine

Au Revoir Simone 18/9 Paris, Nouveau Casino Babyshambles 3/10 Paris, Zénith

Aline 19/7 Colmar, 21/7 Spa, 15/8 Bruxelles, 22/8 Sète , 20/9 Avignon, 3/10 SaintGermain-en-Laye, 4/10 Saint-Brieuc, 18/10 Bordeaux, 23/10 SaintEtienne, 26/10 Lyon, 11/12 Paris, Flèche d’Or

Big Festival du 17 au 21/7 àBiarritz, avecNeil Young &Crazy Horse, Wu-Tang Clan, The Bloody Beetroots, GaryClarkJr., Orelsan, Cassius, Breakbot, BusyP, Kavinsky, Brodinski, IsTropical, etc. Jake Bugg 21/11 Paris, Olympia, 22/11 Lille, 9/12 Lyon,

10/12 Toulouse, 11/12 Nantes Coconut Music Festival du 27 au 29/9 à Saintes, avec Brigitte Fontaine, The Black Angels, LeVasco, Zombie Zombie, Petit Fantôme, Pendentif, Ladybird, Caandides, etc. Riff Cohen 25/7 Grenoble Etienne Daho les 14, 15 et 18/2 Paris, Cité de la Musique, 22/2 Paris, Salle Pleyel, 21/3 Rouen, 25/3 Marseille,

28/3 Toulouse, 29/3 Bordeaux, 4 et 5/4 Paris, Zénith, 8/4 Dijon, 9/4 Lille, 16/4 Nantes, 17/4 Rennes, 22/4 Firminy, 24/4 Béziers, 25/4 Cannes, 26/4 Fréjus Dour Festival du 18 au 21/7, avec Gramatik, Thee Oh Sees, Mark Lanegan Band, Pelican, Youssoupha, TheSmashing Pumpkins, etc. Eldorado Music Festival du 16 au 22/9 àParis, Café dela Danse, avec Rodolphe

Petite Noir

Festival les inRocKs Fidélité aux anciens et portes ouvertes aux jeunes pousses prometteuses: le Festival les inRocKs revientau mois de novembre avec Suede, Foals, Suuns,ValerieJune, Laura Mvula, Austra, Petite Noir, JaccoGardner, AlunaGeorge, London Grammar ouencore Christine And The Queens. du 7 au 12 novembre à Paris, Tourcoing, Lyon, Bordeaux, Nantes, Toulouse, Caen et Nancy Burger & Olivier Cadiot, Thomas Azier, Gramme, Laura Marling, Gym, etc.

aftershow

Major Lazer

Les Eurockéennes du 4 au 7 juillet à Belfort Les Eurocks fêtaient leurs 25ans cette année. Dans une navette menant au lac du Malsaucy, au bord duquel se tient le festival, on croisera d’ailleurs des Eurockéens de la première heure. Ceux-ci nous racontent comment le festival est devenu si pop et familial, s’éloignant du coup de ses origines punk et anarchistes. Car oui, les Eurockéennes de Belfort sont désormais une institution. Mais pas d’inquiétude: elles n’en restent pas moins un joyeux bordel. En témoignent ces quatre jours de grosse fête, avec ses grands moments de danse et de sueur (Major Lazer, Gesaffelstein, Disclosure, Cassius…), ses événements immanquables (Blur, Phoenix, Woodkid…) et ses beaux instants de fièvre intense (LaFemme, Fauve≠, Mykki Blanco…). Mais les Eurocks, ce sont aussi des découvertes: on retiendra le nom du rappeur (belfortain !) Pih Poh, des rockeurs branleurs de Skaters et de OY, dont l’electropicale colla si bien à cette petite scène magique posée sur une plage. Sinon, pendant quatre jours, il y eut aussi des concerts de metal, des happenings d’art de rue, des déguisem*nts absurdes, des excès en tous genres, des rencontres magnifiques. Mais pour se rendre compte de tout ça, il faudra vivre les Eurockéennes de Belfort par soi-même. Maxime de Abreu

Michaël Achili

Elektricity du 20 au 28/9 à Reims, avec Juveniles, Yuksek, ChillyGonzales, Is Tropical, Tristesse Contemporaine, Connan Mockasin, Rone, Simian Mobile Disco, Breakbot, Panteros 666, Monsieur Monsieur, etc. Eminem 22/8 Saint-Denis, Stade de France Fnac Live du 18 au 21/7 à Paris, parvisdel’Hôtel deVille, avec Lisa Leblanc, Rokia Traoré, Palma Violets, Oxmo Puccino, Breakbot, MilesKane, Concrete Knives, NatasLoves You, Christine And The Queens, Mesparrow, AlexBeaupain, Granville, etc. Foals 26/10 Nîmes, 1/11 ClermontFerrand, 2/11 Bordeaux, 3/11 Toulouse, 5/11 Nantes, 7/11 Strasbourg 12/11 Paris, Zénith Half Moon Run 15/11 Paris, Trianon

Hello Birds Festival 20/7 à Etretat, avec Pegase, Rocky, Disco Anti Napoléon, L’Ecole Des Garçons, Juveniles (DJ-set) Inrocks Lab demi-finale Ile-de-France 18/7 à Paris, Maroquinerie avec Match, Parc, Made In Taiwan Local Natives 20/11 Paris, Bataclan Marsatac du 19 au 29/9 à Marseille, avec Moderat, Vitalic, LaurentGarnier, Cassius, Tricky, Fauve≠, CarlCraig, Bonobo, ZombieZombie, Aufgang, Gramme, Discodeine, f*ck Buttons, etc. MGMT 8/10 Paris, Olympia Midi Festival du 26 au 28/7 à Hyères, avec Peter Hook &The Light, The Horrors, King Krule, Mount Kimbie, Mykki Blanco, AlunaGeorge, etc.

nouvelles locations

Nasser 25/7 Niort, 28 & 29/9 Marseille, 11/10 SaintBrieuc, 16/11 Le Mans, 30/11 Saint-Denis The National 18/11 Paris, Zénith Petit Fantôme 28/9 Saintes, 5/10 Nîmes, 8/10 Tours, 12/10 Poitiers, 7/11 Rennes, 9/11 Biarritz Phoenix 12/11 Marseille, 14/11 Lyon, 15/11 Nantes, 16/11 Toulouse, 23/11 Lille Piers Faccini 12/10 Coutances, 17/10 Paris, Trois Baudets, 18/10 Limoges, 19/10 Agen, 20/10 Toulouse Pixies les 29 et 30/9 Paris, Olympia Primal Scream 14/11 Paris, Cigale Rock en Seine du 23 au 25/8 àSaint-Cloud, avecPhoenix, A$APRocky, FranzFerdinand, Alt-J, La Femme, Kendrick Lamar, Tame Impala, Black Rebel Motorcycle Club, Vitalic,

en location

Tricky, Belle And Sebastian, Patrice, MajorLazer, Johnny Marr, Savages, Eels, Fauve≠, ValerieJune, Laura Mvula, The Pastels, Mac Miller, Is Tropical, Lianne La Havas, Poliça, Chvrches, etc. La Route du rock du 14 au 17/8 à Saint-Malo, avec Local Natives, Disclosure, Tame Impala, Hot Chip, NickCave & TheBad Seeds, Austra, Suuns, Jacco Gardner, ConcreteKnives, Orval Carlos Sibelius, ZombieZombie, TNGHT, etc. Sziget Festival du 5 au 12/8 àBudapest, avec Azealia Banks, Bat For Lashes, Michael Kiwanuka, Skip &Die, Regina Spektor, Woodkid, Tame Impala, etc. Vampire Weekend 21/11 Paris, Zénith Yo La Tengo 3/11 Nantes

Neil Young Les Vieilles Charrues Pour leur vingt-deuxième édition, les Vieilles Charrues tracteront une programmation “première classe” avec Phoenix, Carlos Santana, Alt-J, The Roots, Neil Young, Hanni El Khatib ou encore The Vaccines. du 18 au 21 juillet à Carhaix

retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

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spécial

été

Jean-Jacques Schuhl

Le Bleu du ciel de Georges Bataille

le choix des écrivains

Les textes des auteurs ont été recueillis par Nelly Kaprièlian, Emily Barnett, Clémentine Goldszal et Elisabeth Philippe

Jacques Sassier

Les auteurs racontent leurs livres favoris de l’été – ou de toujours.

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J

’ai fait du personnage principal, Henri Troppmann, l’un de mes fantômes littéraires dans Entrée des fantômes, en racontant que je le rencontre dans les couloirs de l’hôtel Costes. J’aime beaucoup les romans qui se passent dans de grandes villes, des espaces géographiques lointains, et les décors du Bleu du ciel sont les nuits de Londres, Paris et Barcelone. Dans le prologue à Londres, il y a une scène d’ivresse, dans une chambre de l’hôtel Savoy: Dirty, abréviation provocante de Dorothea, est ivre. C’est l’un des grands portraits de femme du roman du XXesiècle, à égalité, en personnage de femme flambée –mais en plus soft–, avec Lady Brett Ashley dans Le soleil se lève aussi d’Hemingway. Bataille, dans son journal de guerre (qui s’intitule Sur Nietszche), raconte d’ailleurs qu’il relit ce roman et qu’il aime spécialement le personnage de Lady Brett. Ce sont des personnages de femmes non pas libérées mais libres. Ça me rappelle ce que disait Marlene Dietrich quand on l’interrogeait sur les mouvements de libération des femmes, “je n’ai pas besoin d’être libérée, je suis libre”. Le roman de Bataille est très marqué par l’influence de Dostoïevski: le caractère du personnage masculin principal, Troppmann, qui est larmoyant, pathétique et autodestructeur, mélange de mysticisme matérialiste, de rire et de pleurs, est très dostoïevskien ; et dans l’écriture, c’est un livre “mal écrit” (répétitions, phrases parfois mal foutues), pas du tout par négligence: c’est voulu, ou du moins assumé ensuite. Le style ressemble aux personnages. La toile de fond, c’est la guerre d’Espagne et la montée du nazisme en 1935-1936. Il y a donc présents dans ce livre l’Histoire, et ce qui en fait l’originalité, des personnages extrêmement fêlés, qui vivent leur singularité qui semble ne rien avoir à faire avec l’Histoire. La guerre d’Espagne a l’air d’être vécue comme un jeu par Troppmann ; à Barcelone, alors que les fusils font

“il y a une drôlerie sérieuse, le même type de burlesque qu’on trouve dans Un chien andalou de Buñuel” leur apparition, ils passent beaucoup de temps à la Criolla, un cabaret interlope. Je trouve ce livre idiot. Non, pas idiot, gonflé. Troppmann est quelqu’un de faible, une épave, déprimé, angoissé, il semble prendre plaisir à se retrouver dans des situations risibles et extravagantes. Avec Dirty, ils vivent à vau-l’eau leur va-tout dans la fièvre et le luxe, dans l’angoisse aussi, mais avec une sorte de facilité. C’est un récit plein d’ébriété, de folie, de bêtise, sur un fond de guerre civile et une réalité démente. Troppmann vit dans une sorte d’hallucination maladive et tout le livre a une tonalité sinistre et burlesque, avec une alternance saccadée et parfois comique d’abattement et d’excitation. Bataille ne décrit le physique de personne, les personnages sont physiquement flous, sans visage, on peut dire qu’ils ont perdu la tête ! Ce qui me donne une impression fantomatique. Tout est comme un rêve. D’ailleurs, il y a trois longs rêves dans le livre. Il y a une drôlerie sérieuse, le même type de burlesque qu’on trouve dans Un chien andalou de Buñuel. Ça résonne d’un rire idiot. Ce livre plein d’illogismes, d’excès et d’alcool est écrit avec une grande sobriété, ce qui en accentue la drôlerie et l’étrangeté. Si je n’avais pas choisi Bataille, j’aurais choisi le livre d’un poète très singulier, qui est un peu l’inverse du Bleu du ciel, car la réalité en est exclue: ce serait le féerique Locus Solus de Raymond Roussel. C’est un jeu, mais pas libre puisqu’il s’est défini des règles très strictes pour écrire. Le langage n’y est pas le véhicule de situations, comme il l’est d’habitude, mais le moteur. On aurait donc un livre qui est de pur langage, qui tourne le dos au réel, et un autre où les deux personnages principaux sont perdus dans leur “folie”, avec l’Histoire pour toile de fond. J.-J. S. Pauvert 1957, L’Imaginaire Gallimard 1991 17.07.2013 les inrockuptibles 91

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le choix de… …Marie Darrieussecq

Moravagine de Blaise Cendrars Il y a dans Moravagine plusieurs voyages au bout de la nuit. C’est un roman où “on entend les tortues pondre, pondre inlassablement”. Où la grande guerre va de “1914 à 2013”. Où la forêt vierge s’étend d’Afrique en Amazonie. Où “l’unique mot de la langue martienne s’écrit phonétiquement: ké-ré-keu-keu-kokex. Ilsignifie tout ce que l’on veut”. Unroman sous alcool, sous peyotl, sous morphine. Un roman où le rêve est pris au sérieux. Oùla femme est haïe – mais c‘est bien expliqué… Où l’anarchie va de soi, où la révolution russe se traverse à toute vapeur en Transsibérien. C’est un roman total –deux cents pages. Un roman de1926 qui résume à travers la figure de Moravagine toute l’histoire du monde, passée et à venir, création, destruction, et retour. Un roman que je ne comprends pas bien, alors je le relis souvent. Ce n’est pas mon roman préféré mais c’est celui auquel je reviens sans cesse, abasourdie. M. D. Grasset 1926, Denoël 2003

un livre, tous les livres Pour qu’il y ait un livre favori, il faudrait pouvoir différencier les livres les uns des autres –ce qui, avec l’âge, devient de plus en plus difficile. Peu à peu, je ne lis plus qu’un seul livre qui prend un aspect protéiforme. Peu importe quel est le volume que je tiens en main, peu importe que le nom de l’auteur semble changer d’une couverture à l’autre, peu importe que la prose passe d’un ton rocambolesque à un ton rationnel, ou que des aventures d’un jeune assassin, d’un prince malade, je me laisse glisser aux délires d’un prophète perse, peu importe que des métamorphoses grecques je passe aux métamorphoses latines puis que je me retrouve, presque sans m’en rendre compte, à me promener tout seul, comme le jour finit, avec un faune pour seule compagnie. Avec l’âge, je ne lis plus que des œuvres qui abondent en ce sens: celles des écrivains qui ont cru pouvoir écrire un livre qui soit tous les livres –Homère, Cervantès, Shakespeare, Mallarmé, Joyce, Proust, Musil ou Borges. Avec l’âge, je confonds tous les livres et je ne m’occupe plus que de littérature –et c’est bien ainsi. S. H. A.

Nicolas Hidiro

…Santiago H. Amigorena

…Simon Liberati

Hollywood Babylone de Kenneth Anger

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ue s’incarnent tous tes désirs”: tel était le vœu lancé par une prostituée un 31décembre à un ami qui mourut cette année-là. L’histoire se passait à Valparaíso et la phrase était reproduite en espagnol dans une lettre qu’il m’avait adressée. Jeserais incapable de la retrouver aujourd’hui mais je me souviens qu’elle comprend le mot “incarnamen”. C’est en juin 1959, soit bien des années avant le vœu de Valparaíso, qu’un livre a permis l’incarnation de toutes sortes d’êtres féeriques qui allaient prendre une forte emprise sur moi et sur plusieurs autres personnes de ma connaissance. Il s’agit d’Hollywood Babylone de Kenneth Anger, le premier, celui de l’édition Pauvert restaurée à l’identique par Régine Desforges. De petite taille, ces êtres féeriques étaient fortement charpentés par le relief de parfaits tirages argentiques, du même beau noir brillant que les photomatons d’alors. S. L. Pauvert 1959, Régine Desforges 1977, Tristram2013

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spécial

été

…Olivia Rosenthal

Neuf nuits Sur la couverture du livre, un Indien du Brésil presque nu tient par la main, sous un soleil de plomb, un enfant habillé dont les yeux restent dans l’ombre. La légende indique que c’est l’auteur à 6ans dans le Xingu. Au regard du livre, Neuf nuits de Bernardo Carvalho, cette légende intrigue. L’auteur y raconte l’enquête qu’il mène sur Buell Quain, anthropologue qui se serait suicidé en 1939 lors de l’un de ses séjours parmi les Indiens Kraho. J’utilise le conditionnel parce que je ne sais pas, à cause de cette photo et de la composition du livre, si l’auteur raconte des faits réels ou fictifs. “Vous allez entrer sur une terre où la vérité et le mensonge n’ont plus les significations qui vous ont amené jusqu’ici.” Nous sommes prévenus. Mais en littérature, les mises en garde sont inutiles. Elles augmentent la peur, c’est-à-dire aussi l’envie. On se laisse peu à peu séduire par le monde étrange des Indiens d’Amazonie au point qu’on n’est plus très sûr, à mesure qu’avance le livre, d’arriver un jour à en sortir. O. R. Métailié 2005

Francesca Mantovani

de Bernardo Carvalho

…Eric Rheinardt

tout Robert Walser

L

’autre jour, à un vide-grenier, j’ai trouvé, dans la collection “Du monde entier”, en parfait état, à 1euro, Le Brigand de Robert Walser: je me suis empressé de l’acheter, sachant pourtant que j’en possédais déjà un exemplaire. J’ai tout de suite pensé que j’allais l’offrir à Bertrand Belin, dont le dernier album, Parcs, que j’adore, me fait songer à l’univers de l’écrivain suisse, où je ne suis pas retourné, pourtant, depuis quinzeans. Robert Walser a été pour moi pendant longtemps un précieux compagnon de déroute –de déroute mais de beauté, de bonheur, d’intensité. Je l’ai beaucoup fréquenté au début des années90, quand, au chômage et en retrait, effrayé par le monde du travail, plein d’orgueil et d’insousiance, je passais mes journées à écrire mon premier roman, à marcher dans les rues LesEnfants Tanner à la main, à prendre des notes dans des carnets (d’une écriture sans doute aussi minuscule que celle de mon maître), à jouir du moment présent et du monde sensible, cherchant la grâce dans les détails, suivant en cela l’exemple des héros de Robert Walser, ces nobles vagabonds. Je me souviens, je n’avais jamais été aussi en phase avec moi-même et mes rêves les plus purs, mais au regard des normes sociales, j’étais devenu un homme égaré, de peu de valeur: je le sentais dans le regard que beaucoup posaient sur ma personne. Je n’étais rien d’autre que ce que je sentais vibrer à l’intérieur de moi, c’était mon bien le plus précieux et certaines passantes parvenaient à le percevoir, très walsériennes, qui souriaient sur mon passage et me tendaient leurs mains (il reste encore

dans nos villes, Dieu merci, des passantes walsériennes, attentives à l’impalpable). Dans les romans de Robert Walser, les hommes sont lumineux, libres, sublimes, alertes, légers, furtifs, heureux et inspirés, dans le dénuement, dans le déclassem*nt, dans le refus de l’ordre et de l’obéissance, dans le désir de se mettre de côté, dans le décalage avec les attentes du monde réel à leur égard. Je suis en train de relire LeBrigand et c’est le même enchantement. Comment ne pas souligner, de nouveau, dans la marge de mon exemplaire à 1euro (Bertrand Belin me pardonnera cette intrusion dans ce qui lui appartient déjà), ce passage que j’avais déjà souligné en 1994 (un ticket de café en atteste), dans mon vieil exemplaire tout sali: “Il y a encore, Dieu merci, des gens qui doutent, certains même qui ont l’esprit d’hésitation. Comme si tous ceux qui y vont carrément, qui savent mettre l’affaire dans le sac, qui font valoir des prétentions, étaient pour nous un exemple à suivre, et, pour le pays auquel ils appartiennent, de bons citoyens. Eh bien justement non ! Et il y a des non-prêts mieux préparés que des déjà prêts, et des inutiles souvent beaucoup plus utiles que les utilisables, et finalement il n’est pas besoin que n’importe quoi soit immédiatement ou dans les plus brefs délais mis à la disposition des besoins. Je souhaite, moi, joyeuse vie, dans notre temps aussi, à un certain luxe de l’homme, et une société tombe entre les mains du diable quand elle prétend éliminer toute forme de nonchalance et de relâchement.” Il n’y a rien qui fasse autant de bien, aujourd’hui, il me semble, que de telles pensées, non ? Cetété, je vais relire tout Robert Walser. E. R. 17.07.2013 les inrockuptibles 93

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le choix de…

Emmanuèle Bernheim

Le Garçon incassable de Florence Seyvos

Hermance Triay

J’ai énormément aimé ce roman qui met en parallèle la biographie de Buster Keaton et l’histoire du frère adoptif, handicapé, dela narratrice. J’avais déjà beaucoup aimé Les Apparitions, le précédent livre deFlorence Seyvos. C’est une auteur que jeguettais, mais là, elle a vraiment explosé, même si Le Garçon incassable est tout le contraire d’une explosion. C’est un roman extrêmement doux, un livre qui a une grâce. Irrésistible. Le regard de l’auteur sur Keaton, sur Henri, le garçon handicapé, est irrésistible de charme, de sympathie et de burlesque. La façon dont Keaton, enfant, est chosifié avec cette poignée qu’on lui accroche dans le dos, ses chutes dans lescoulisses ou les fosses d’orchestre, c’est le burlesque avec ce qu’il peut avoir de grave. L’écriture est d’une extrême précision, extraordinairement juste, sensible et très visuelle comme certains films muets. C’est un roman qu’on lit avec un sourire aux lèvres et qui happe immédiatement par sa justesse, par sa façon très fine d’avancer. E. B. Editions de l’Olivier, 2013

Régis Jauffret

Aurélien Bellanger

L’Archipel du goulag

La Maison d’Apre-Vent

d’Alexandre Soljénitsyne

L

e choc de cet ouvrage paru ily a près de quarante ans. Jeviens à peine de le lire ; c’est comme DonQuichotte: on passe une partie de sa vie às’imaginer qu’on le connaît comme si on l’avait fait, et onest bouleversé quand un jour on pose enfin la main sur le livre dans lequel ilhabite pour ne plus lelâcher jusqu’audernier mot. L’Archipel, quelques milliers depages arides, atroces, merveilleuses. L’absolue abjection du régime soviétique, sa barbarie dès l’origine avec Lénine qui, le premier, recommande deterroriser le peuple. Staline, lefils maudit, illégitime, toujours sur le qui-vive, et sa paranoïa multipliant lescamps comme uncancer lesmétastases. La complicité des intellectuels français, les Aragon, les Triolet, les Sartre, des gens du PCF, les Thorez, les Duclos, lesVermeersch, les Waldeck Rochet. Gorki visitant les camps, recueillant le témoignage d’un

enfant prisonnier et revenant triomphalement à Moscou vanter à l’opinion internationale la grandeur du communisme, tandis qu’une heure après son départ l’enfant assassiné par les gardiens reposait déjà sous la neige. Un livre que plus personne ne lit. Que peu de gens ont dû vraiment lire en son temps, malgré les dix millions d’exemplaires vendus de par le monde. Je soupçonne même ceux qui en ont parlé de ne l’avoir pas lu en entier. La preuve ? “Dans ma vie passée, j’avais tué etj’avais violé”, un aveu de l’auteur perdu dans le cours de ce livrefleuve. Jamais, à ma connaissance, on n’y a fait la moindre allusion dans aucun article ni aucune de ses interviews. Un livre dont les trois tomes coûtent plus de 130 €. Seuls leslecteurs qui en ont les moyens peuvent à l’heure actuelle avoir lachance de découvrir cechef-d’œuvre. R. J. Seuil 1974, Fayard 1991-2013

de Charles Dickens C’est très important, le choix d’un livre pour l’été. D’habitude, j’emporte du Victor Hugo en vacances, mais son souffle épique a fini par me lasser. C’est en lisant un livre de critiques de Nabokov que j’ai eu envie de m’atteler à Dickens. Nabokov écrit que La Maison d’Apre-Vent est son meilleur livre. C’est l’histoire d’un procès qui n’en finit pas autour d’une succession contestée. On suit les aventures de trois orphelins qui en attendent une éventuelle fortune. Dickens fait une satire du système judiciaire anglais et de tout ce qui gravite autour, uneénorme machine au cœur de Londres. Jusque-là, je n’avais jamais lu Dickens, mais j’en avais envie depuis longtemps. Ilreste finalement assez peu lu en France. D’ailleurs, LaMaison d’Apre-Vent n’est pas disponible en édition de poche. On ne le trouve qu’en Pléiade et c’est finalement très pratique à la plage, si on n’est pas trop fétichiste et qu’on n’a pas peur de l’abîmer. C’est très robuste, ça rentre presque dans la poche et il y a même le marque-page intégré. A. B. Gallimard, 1979

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Catherine Hélie

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Joy Sorman

Œuvres I de Guillaume Dustan

I

l faut profiter de l’été pour lire le premier volume des Œuvres de Guillaume Dustan, paru chez P.O.L ce printemps. Il faut surtout profiter de la plage pour lire en particulier Je sors ce soir, son deuxième texte (1997), récit halluciné et heureux d’une nuit en boîte. Grâce à Dustan, la littérature entre en boîte de nuit (et non l’inverse, ce qui aurait été beaucoup plus banal), dans cette caverne mythique des temps modernes, cet espace-temps dédié à une jeunesse éternelle et lumineuse. Le livre de Dustan est puissant en ce qu’il est –en temps réel, celui d’une nuit de fête– une expérience perceptive et physique rare, expérience de l’épuisem*nt etde l’abandon, distorsion hédoniste de la durée. Alors pourquoi la plage pour lire un récit de boîte ? Parce qu’il s’agit d’expériences jumelles, de deux espaces auxrègles sinon inversées du moins troublées, rejouées, espaces alternatifs qui en plein jour ou en pleine nuit invitent à la joie, à d’autres rapports et d’autres sociabilités, et au désir bien sûr. La boîte, la plage, chaleur et sueur, corps qui exultent sous le stroboscope ou sous le soleil exactement, corps qui s’indifférencient dans la foule, confusion sociale et générationnelle par la grâce de la nudité ou de la danse, foule populaire et métissée où se fondre tout autant qu’exister très fort, soi, son corps, son plaisir: voilà pourquoi Je sors ce soir est le plus urgent et le plus exaltant des livres de plage. J. S.

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spécial

été

le choix de…

Julie Wolkenstein Russell Banks, E.M. Forster, PhilipRoth, Ernest Hemingway… J’ai de bons souvenirs de lectures d’été non préméditées, un peu comme un amour de plage, qui peut être super mais pas du tout programmé. Tomber sur un bouquin dans la bibliothèque d’une maison de vacances… J’ai découvert beaucoup de polars comme ça, et des romans en français dans des librairies à l’étranger. Jeme souviens d’avoir trouvé comme ça un livre de Russell Banks à Brasilia, ou d’avoir acheté Avec vue sur l’Arno de Forster à l’aéroport de Florence. Cet été, jepars quand même avec LeThéâtre de Sabbath, de Philip Roth, que ma mère m’a recommandé et que je n’ai jamais lu. J’aiaussi hérité d’Hemingway en Pléiade, et je connais très mal cet auteur. J’ai lu Pour qui sonne le glas quand j’étais très jeune et j’en ai gardé le souvenir d’un roman de guerre, un truc de garçons. Mais une amie m’a récemment expliqué qu’il était le meilleur dialoguiste de la littérature américaine, donc je vais m’y replonger. J.W.

Alexandre Guirkinger pour Les Inrockuptibles

Arnaud Cathrine

Philippe Djian

Sur la route de Jack Kerouac

P

our moi, Sur la route est un totem, un livre qui m’a conforté dans l’idée que la littérature occuperait une place très importante dans ma vie. C’est un territoire qui ouvre sur une multitude de choses: sur la musique, les philosophies orientales, une certaine idée de la liberté, de l’amitié, mais aussi sur la littérature américaine de Melville à Bukowski ou Brautigan. C’est un grand livre qui transmet un mode de vie, quelque chose de l’ordre de l’universel, l’idée d’aller vers les autres, de se confronter à l’immensité de la nature. Lire Sur la route, c’est aussi se projeter dans une écriture marquée par la spontanéité, le rythme. Aujourd’hui, on ne trouve plus cette énergie. Kerouac appartient à cette génération d’écrivains qui mettaient leur vie sur la table et qui, aujourd’hui, peuvent être de vrais repères. J’aimerais que Sur la route (paru en 1957, en France en 1960) devienne un totem pour des lecteurs d’une vingtaine d’années aujourd’hui, qu’ils puissent refaire tout le circuit que j’ai effectué grâce à ce livre. P.D. Gallimard 1960, Folio 1972

La Vie matérielle de Marguerite Duras C’est une femme qui annonce la couleur: “Dans cette espèce de livre qui n’est pas un livre…” Bien sûr que si, c’est un livre. Un livre de Duras. Composé d’humeurs, d’instantanés. Libre et capricieux. Affranchi de toute contrainte romanesque: Trouville, le corps des écrivains, Bonnard, la télé et la mort, Hanoï… Comme ça lui vient. Et comme l’on discuterait, dans une cuisine, à pas d’heure. La Vie matérielle, c’est donc une femme qui arrive systématiquement sur la plage au moment où les gens en partent. Une femme qui parle de l’alcool comme substitut à la jouissance sexuelle. Quiparle des maisons aussi, et des femmes –seules ou rejointes au soir par des hommes– dans les maisons. C’est une femme qui traverse la France avec son amant pour se rendre à l’enterrement de sa mère ; ilsfont l’amour à chaque étape du trajet ; arrivée à destination, elle embrasse le front glacé de sa mère, elle pleure puis elle repart faire l’amour avec l’amant ; elle écrit: “C’était de la folie” ; elle écrit aussi: “Après c’est devenu moins grave, une histoire d’amour” ; on ne sait pas ce qui est vrai, ce qui est réinventé dans l’écriture ; peu importe, l’histoire vaut pour elle-même. C’est une femme qui ne sait plus vivre à Paris, elle a vécu longtemps seule dans la maison de Neauphle et, à présent, elle ne sait plus vivre

qu’à Trouville, dans une relative solitude, seulement nourrie par la lumière contrastée et imprévisible de ce bord de mer normand. C’est une femme qui reconnaît avoir écrit des lettres et des lettres dans les moments où elle n’avait personne à aimer. Une femme qui ne peut s’empêcher de s’accuser chaque fois qu’elle termine un livre. Cette femme est écrivain et elle reçoit un beau jour un mot de lecteur annonçant le plus simplement du monde: “Je viendrai faire l’amour avec vous lundi 23janvier à 9heures du matin” ; le pire, c’est qu’il vient (on ne sait pas ce qui est vrai, peu importe). C’est une femme d’une redoutable et lumineuse compagnie. Etce livre, c’est finalement une conversation avec elle, la conversation à bâtons rompus que nous n’aurons pas eue, faute de l’avoir rencontrée. Alors oui: elle seule parle ; mais ça nous va. Nous l’écoutons. Elle joue à être Duras. Plus que jamais. Ce rôle qui lui va tellement bien. Continuez, je vous prie. Mais: interruption page159. Là, elle se tait. Cesilence brusquement… Alors je ne peux m’empêcher de relire La Vie matérielle tous les étés: car, oui, il me semble que la conversation a été interrompue, il y a quelque chose à reprendre. Relire La Vie matérielle. Nous n’en avions pas fini. A. C. P.O.L 1987, Folio 1994

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L’amour infini que j’ai pour toi de Paulo Monteiro

Koren Shadmi Abaddon Ici Même, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bérengère Orieux, 128pages, 26€

L’enfer, c’est les autres. Démonstration dans unangoissant huis clos. Ter, un jeune homme amnésique, arrive encolocation dans un appartement déjà occupé par quatre habitants. Il se rend vite compte quetous sont bizarres, agressifs entre eux, et peu préoccupés par lamystérieuse disparition d’un coloc précédent. Décidé à partir, Ter découvre que c’est impossible. Enfermés dans cet étrange lieu –un personnage en soi, avec ses bouches d’aération mystérieuses, ses fissures qui apparaissent, ses fenêtres condamnées–, les protagonistes ne se comprennent pas. Chacunest amoureux de la mauvaise personne, aucune échappatoire n’est possible, tous sauf Ter sont résignés. Abaddon est la deuxième bande dessinée publiée en France par le jeune illustrateur deBrooklyn Koren Shadmi. Il y revisite très librement Huis clos de Sartre, questionnant avec acuité les rapports humains touten apportant au récit, captivant, une bonne dose de fantastique kafkaïen etangoissant. Avec un sens aigu du suspense, il met également en scène d’intrigants flash-backs, réminiscences d’une guerre vécue par Ter. Lejeune homme arriverat-il à sortir de cet enfer ? Laréponse, peut-être, dansle tome2 à paraître cet automne. A.-C. N.

le monde et moi Des souvenirs intimes mêlés à des réflexions abruptes surla condition humaine: deux œuvres passionnantes venues du Portugal et du Liban.

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ans son premier album, L’amourinfini que j’ai pour toi, lePortugais Paulo Monteiro met en scène avec une concision percutante des odes à l’amour –celui des amants, mais aussi celui qu’il éprouve pour son père, pour son grand-père. Les sentiments exprimés sont bruts, violents, magnifiés par un trait noir et blanc adapté à chaque histoire. Paulo Monteiro semble avoir assimilé beaucoup d’influences, de Craig Thompson à Loustal, DavidB ou Stanislas. Ses ellipses et ses sous-entendus n’enlèvent rien à sa force d’évocation, au contraire –rarement une simple montre posée sur une table de nuit aura été aussi bouleversante (“Ta guerre est terminée”). Dans ses histoires si simples et si denses à la fois, la mort rôde, jamais très loin, et rend le moment présent d’autant plus précieux. Avec onirisme, Paulo Monteiro rappelle combien il faut profiter de nos vies éphémères. Lettre à la mère, du Libanais Mazen Kerbaj, regroupe différentes histoires courtes –dont certaines parues dans la revue Lapin– nettement plus expérimentales mais tout aussi poétiques.

Auteur en 2007 de Beyrouth, où il racontait son vécu du conflit israélo-libanais de 2006, Mazen Kerbaj revient ici sur des sujets douloureux, âprement exprimés –dans “Lettre à la mère”, promenade dans un Beyrouth en ruine et totalement vidé de ses habitants, ou “Salut Albert”, au trait enfantin contrastant avec le propos (un garçonnet tué par un franc-tireur). Trompeuse, la forme ludique de certains de ses récits cache toujours des propos tendus de gravité où apparaissent les travers du monde moderne, la méfiance envers les autres, la peur de l’avenir –comme dans “Mon nuage”, où l’interprétation de taches d’encre est prétexte à une réflexion sur l’abandon des rêves d’enfance, ou “Les gens qui parlent”, où des parlotes assourdissantes masquent la tragédie qui arrive… Un discours politique sublimé par l’imagination de son auteur. Anne-Claire Norot L’amour infini que j’ai pour toi de Paulo Monteiro (6 pieds sous terre), traduit du portugais par Matthias Lehmann, 64pages, 12€ Lettre à la mère de Mazen Kerbaj (L’Apocalypse), 144pages, 29€ 17.07.2013 les inrockuptibles 97

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abstraction physique Au fil de leurs projets, les chorégraphes Christian Rizzo et Faustin Linyekula, tous deux présents à Avignon, s’attachent à remettre en jeu leur perception du réel. Brève rencontre.

L réservez apéros-polars avec Didier Ruiz Retrouvez le charme des feuilletons radiophoniques avec l’adaptation par Didier Ruiz de romans policiers. A voir: La petite écuyère a cafté, le tout premier Poulpe, ou Des serpents au paradis, d’après le roman d’Alicia Gimenez Bartlett. jusqu’au 27 juillet à la Maison des Métallos, Paris XIe, tél. 01 48 05 88 27. www.maisondesmetallos.org

Journée internationale Nelson Mandela “Nelson Mandela a combattu pour la justice sociale pendant soixante-sept ans. Nous vous demandons de commencer avec soixante-sept minutes”: c’est le mot d’ordre de cet événement proposé par le KwaZulu-Natal Philharmonic Orchestra, dans le cadre de Paris quartier d’été. Au programme: l’épopée du roi zoulou UShaka KaSenzangakhona, la vie de Mandela sous forme d’opéra et la diva pop Yvonne ChakaChaka. le 18 juillet place de la République, Paris Xe, tél. 01 44 94 98 00, www.quartierdete.com retrouvez notre supplément sur la 67e édition du Festival d’Avignon sur

’un comme l’autre, vous avez travaillé à partir du réel pour ces créations présentées à Avignon. Mais pas tout à fait de la même façon. Christian Rizzo– Ma pièce ne s’appelle pas “Une histoire vraie” mais D’après une histoire vraie. Le réel pour moi est le “starter”, pas la finalité. Mais quel réel observe-t-on ? Je pars du réel et du désir en espérant que les deux vont se croiser, même si je ne sais pas lequel va gagner. Faustin Linyekula– Faire le choix, il y a douzeans, derevenir au Congo allait de pair avec le fait de comprendre ce qui m’intéresse: raconter deshistoires. Je ne voulais pas les inventer, juste prendre ce que la vie offre, sans que cela soit des histoires d’exil pour autant et comment faire un peu de poésie avec l’ensemble. Lorsque j’entends Christian parler du réel des répétitions, c’est une dimension qui me plaît beaucoup, comme si chaque pièce devenait une part documentaire du processus. Après plus de dixans à essayer de raconter les histoires du Congo, qui s’inscrivent dans une certaine urgence, il s’agit aujourd’hui de tenter de trouver un espace de respiration. Du coup, la fiction m’attire de plus en plus. Mais comment aller vers elle ? Christian Rizzo– On a un parcours diamétralement opposé. Il y a dix ans, je détestais le réel. Ma fiction était décousue, trouée. C’est pour cela que les pièces surgissaient –pour que je puisse faire les “ourlets”. Toi, tu es retourné au Congo, moi j’ai quitté Paris. Le réel m’est apparu différemment. Le théâtre est le lieu de tout sauf d’histoires. Je n’arrive pas à comprendre en quoi une histoire est plus importante qu’une autre. Le choix même d’écouter ou d’inventer une histoire révèle l’immensité de celle que l’on ne dit pas. On m’en a trop raconté, de même que beaucoup demensonges sur le pouvoir. Il n’y a plus qu’en l’abstraction que je peux encore croire. Faustin Linyekula– En 2001, au Congo, je suis arrivé avec ce désir de raconter

des histoires. Mais il m’a fallu plusieurs années avant de trouver le courage de prendre un bout d’histoire et de le mettre sur unplateau. Quand tu dis “on nous a raconté des histoires… on essaie de recoller les morceaux”, ça me parle. Et si les histoires étaient un chemin ouvert vers une certaine forme d’abstraction ? A nous alors de trouver les interstices pour se faufiler. Pour toi, Christian, un projet a souvent un paradoxe pour commencement… Christian Rizzo– Faire une pièce, c’est enquêter sur ce paradoxe et donc enquêter sur moi-même. De là, j’en tire des axes de travail. Au départ, ce projet était de s’interroger sur ce qu’est le folklore. J’ai vu une danse folklorique il y a dixans en Turquie. Et la sensation née de cette vision ne m’a jamais quitté. J’ai décidé de refaire le chemin vers cette sensation. Mais est-ce que la fascination tient au vide qu’ont laissé

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ces hommes en partant après avoir dansé ? Un folklore est lié à une culture, à une géographie. Je suis, d’une certaine façon, à peu près de nulle part, donc le seul endroit que je connaisse, c’est le studio, le théâtre. Ce qui m’intéresse, c’est de voir ce qu’il y a en commun sous cette différence culturelle. J’ai accaparé cette question du folklore sans doute pour me recréer un pays, une famille, le temps d’un spectacle. Faustin Linyekula– Ma danse est une tentative pourme souvenir de mon nom. J’ai une histoire avec unpays. Mais quand on y retourne après plusieurs années, on s’aperçoit que l’on vous a raconté des histoires. Mon travail, c’est peut-être de comprendre comment m’inscrire dans cette réalité. Quand on parle de nom, très vite onse rend compte que l’on ne peut pas s’écrouler, il faut enquêter pour essayer de clarifier. Faire une pièce, c’est déterminer

un bout de territoire que l’on peut occuper le temps d’un spectacle. Avec Drums and Digging, on peut parler d’enquête. Je suis retourné dans le village où j’avais vécu à 8ans, où remontent mes plus vieux souvenirs de danse –de danses interdites même. J’ai découvert que le grand maître de tambours avait arrêté et était devenu pasteur. Je me suis alors demandé ce qui se passe quand on se tait. De là, on a inventé ce voyage, et j’ai abandonné en quelque sorte le réel. recueilli par Philippe Noisette photo Nicola Lo Calzo pour Les Inrockuptibles D’après une histoire vraie chorégraphie Christian Rizzo, les 18 et 19 octobre à Berne, le 30 novembre à Valenciennes, le 14 janvier à Mulhouse, les 11 et 12 février à Toulouse, le 14 à Cergy-Pontoise, le 22 mars à Saint-Quentinen-Yvelines, du 9 au 11 avril à Paris (Théâtre de la Ville), les 11 et 12 juin à Lille Drums and Digging chorégraphie Faustin Linyekula 17.07.2013 les inrockuptibles 99

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de Peter Brook Mozart touché par lazénitude. Dans la scénographie minimale d’une forêt de bambous en perpétuel mouvement, Peter Brook revisite La Flûte enchantée de Mozart pour en faire la plus transparente des épures. Avec la double distribution d’une troupe de jeunes chanteurs-acteurs aux pieds nus, l’opéra, dépouillé des fastueux oripeaux du théâtre lyrique, brille de la générosité d’une humanité retrouvée dans l’humilité ardente de sa mise à nu revendiquée. S’articulant sur un équilibre parfait entre les morceaux de bravoure des airs mythiques chantés en allemand et les récitatifs en français, l’aventure proposée par Brook relie La Flûte à la mémoire partagée des récits ancestraux. Mettant en avant le conte populaire où l’aspiration de la jeunesse à rencontrer l’amour s’oppose à la douleur d’une mère, la Reine de la nuit, qui tente d’enfermer son monde dans la peau de chagrin du deuil de son royal époux, Brook questionne via l’intime le combat des lumières et des ténèbres. De retour aux Bouffes du Nord après un triomphe mondial, Une flûte enchantée, qui semble conçue pour se jouer sur n’importe quelle place de village, est d’abord un manifeste politique, celui d’une culture européenne capable d’abandonner son luxe et ses visées impérialistes pour oser l’arte povera et prétendre à l’universalité. Patrick Sourd d’après Mozart, librement adapté par Peter Brook, Franck Krawczyk et Marie-Hélène Estienne, jusqu’au 31juillet au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris Xe, tél. 01 46 07 34 50, www.bouffesdunord.com

See Her Change de Yasmeen Godder

Gadi Dagon

Une flûte enchantée

carré d’as Montpellier Danse, ou l’art de concilier populaire et exigence, avec quatre beautés scintillantes venues d’Israël ou de France.

M

ontpellier Danse s’est ouvert par un attentat poétique: celui de Denis Mariotte. Seul au piano, dos au public, il dompte l’instrument dans un éclat sonore discordant, jusqu’à ce qu’un bruit de mitraillettes prenne le dessus: Mariotte ainsi transpercé de notes finira avalé par le piano. Minute papillon est le solo d’un homme désabusé qui ne se résigne pas tout à fait: petit frère de Salves, que Mariotte avait cosigné avec Maguy Marin, il lui emprunte également les circulations, les éparpillement d’objets, l’absurde. De ce théâtre musical on retient l’engagement total de Denis Mariotte, artiste au-delà des disciplines. L’Israélien Emanuel Gat lui aussi semble vouloir déjouer les pièges: celui du prodige ou celui d’une danse virtuose. The Goldlandbergs regarde du côté des tableaux vivants et des familles que l’on se choisit. Un pater familias qui caresse ou repousse, des danseurs saisis dans une intimité troublante, une gestuelle renouvelée de la part de Gat. Cette pièce, cérébrale et musicale à la fois, ne se laisse pas apprivoiser facilement. On peut même rester au-dehors. Pour celui qui s’y risque franchement, le plaisir n’en est que plus intense. Yasmeen Godder est une autre artiste de la scène israélienne, hélas un peu isolée. Les programmateurs lui préfère la danse à l’arrache –parfois à l’esbroufe–

de ses confrères masculins. See Her Change est un portait éclaté, trois figures (Godder, Shuli Enosh et Dalia Chaimsky) entre clowns et âmes à la dérive. C’est aussi et surtout un manifeste pas tant féministe que féminin. Une danse sur la corde raide traversée de solos d’une beauté renversante. Le travail des bras, la subjectivité assumée, tout fait sens. De petites phrases chorégraphiques répétées en monologues qui partent en vrille, Yasmeen Godder rassure sur son engagement. On espère la revoir ici ou là. Très vite. Dans un festival où on a vu des robots danseurs, des amateurs empruntés, il fallait une vraie étoile. François Chaignaud fut celle-là. Dumy Moyi est une revue de poche aux effets maximaux. Emplumé, le danseur se réincarne en divinité indienne avec une touche excentrique presque burlesque. Il raconte avoir assisté à des cérémonies sacrées de theyyam en Inde et en avoir tiré un fil jusqu’à la danse moderne. Un éblouissem*nt magnifié par le Come away de John Dowland que Chaignaud fredonne avant de disparaître. Philippe Noisette Minute papillon chorégraphie Denis Mariotte The Goldlandbergs chorégraphie Emanuel Gat, en tournée les 23 et 24août à Berlin (Tanz Im August), le 12 octobre à Roubaix, le 19novembre à Alès, le 21 à Narbonne, les 3 et 4décembre à Annecy. En 2014 à Lyon, Paris… See Her Change chorégraphie Yasmeen Godder Dumi Moyi chorégraphie François Chaignaud

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avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir page113 ou surhttp://abonnement.lesinrocks.com) L’Etrangleur de Boston un film de Richard Fleischer (version remasterisée)

DVD Boston, au début des années60. Deux femmes sont retrouvées étranglées à leur domicile à quelques jours d’intervalle. Au cours des deux années suivantes, plus d’une dizaine d’autres femmes sont assassinées dans des circonstances similaires, distillant unsentiment d’insécurité et une paranoïa sans précédent dans toute la ville. John S. Bottomly (Henry Fonda) estdésigné pourprendre l’affaire en main… à gagner: 20 DVD

Piranhas un film de Joe Dante (version remasterisée)

DVD Deux jeunes campeurs ont disparu après avoir plongé dans le bassin d’un site militaire désaffecté. Chargés de les retrouver, Maggie McKeown et Paul Grogan découvrent un laboratoire secret d’expérimentations génétiques où sont nés des piranhas tueurs devenus incontrôlables. Les vannes du bassin expérimental s’ouvrent accidentellement et les piranhas affamés remontent la rivière en direction de la base de loisirs de Lost River… à gagner: 20 DVD

Hamburger Film Sandwich un film de John Landis

DVD A la télé, rien ne va plus ! Un gorille sexuellement frustré pique une colère en direct etsaccage le plateau du JT. Des publicités farfelues vantent les mérites d’objets inutiles et de produits pharmaceutiques douteux. Des programmes racoleurs d’éducation sexuelle sont diffusés ainsi que la nouvelle bandeannonce des Lycéennes catholiques en chaleur. Sans oublier le plat derésistance: un film de kung-fu totalement loufoque avec le sosie non officiel de BruceLee… à gagner: 20 DVD

Les Inconnus dans la ville un film de Richard Fleischer

DVD Trois gangsters arrivent àBradenville, une petite ville de l’Arizona, pour y commettre un hold-up. Tout en semêlant à la population, ils préparent leur coup, découvrant les secrets et les péchés bien gardés de certains habitants au-dessus de tout soupçon… à gagner: 20 DVD

Le Congrès un film d’Ari Folman

cinémas Robin Wright (qui joue Robin Wright), se voit proposer par la Miramount d’être scannée. Son alias pourra ainsi être librement exploité dans tous les films que la major hollywoodienne décidera de tourner, même les plus commerciaux, ceux qu’elle avait jusque-là refusés. Pendant vingtans, elle doit disparaître et reviendra comme invitée d’honneur du congrès Miramount-Nagasaki dans un monde transformé et aux apparences fantastiques… à gagner: 20 x 2 places

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fin des participations le 21 juillet

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spécial

été

nos expos imaginaires ) (3/5 semaine,

Photo Claire Soubrier, courtesy Semiose Galerie, Paris

Chaque une exposition fictive regroupe des œuvres piochées dans l’actualité artistique de l’été

vernissages Europa Tour Cinq expos à ne pas manquer cet été en Europe. Berlin La rétrospective du sulfureux Martin Kippenberger, décédé en 1997. jusqu’au 18 août à la Hamburger Bahnhof, www.hamburgerbahnhof.de Séville La très politique exposition collective Behavioural Art and Social Body Images. jusqu’au 6 octobre au Centro Andaluz de Arte Contemporáneo, www.caac.es Londres Grande exposition d’Ellen Gallagher, dont les peintures minimales flirtent avec l’abstraction. jusqu’au 1er septembre à la Tate Modern, www.tate.org.uk Bâle Rétrospective monstre d’un pionnier du surréalisme, Max Ernst. jusqu’au 8 septembre à la Fondation Beyeler, www.fondationbeyeler.ch Porto Tirées de la collection Serralves, une série d’œuvres conceptuelles et formelles réalisées par des artistes du monde entier (Pedro Cabrita Reis, Guy de Cointet ou Tacita Dean) depuis les années60. jusqu’au 29 septembre à la Fondation Serralves, www.serralves.pt

Le Grand Déballage Une exposition entière contenue dans une valise. Le Grand Déballage réunit ces œuvres qui, de Duchamp à Benjamin Seror, voyagent léger.

C

’est l’histoire d’une valise en transit, confiée en 1939 par Robert Capa à un ami bordelais, échouée en 1942 chez l’ambassadeur du Mexique à Vichy (!), avant d’atterrir entre les mains d’un petit-neveu mexicain érudit qui, soixante-dix ans plus tard, restituera à la postérité le précieux bagage. Ce magot, c’est la fameuse Valise mexicaine, trésor portatif renfermant près de 4 500 clichés, planchescontacts et autres négatifs réalisés par Capa, Chim et Gerda Taro, photoreporters émérites couvrant la guerre d’Espagne. Ce printemps, au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, on pouvait découvrir le précieux contenu conservé pendant plus d’un demi-siècle dans trois petites malles en cuir. Pour ceux qui aurait manqué cette reconstitution, il reste le bel ouvrage publié par Actes Sud, qui prolonge admirablement le voyage en retraçant l’histoire mouvementée de cette valise pas vraiment diplomatique. Ily a quelques mois, lors de l’exposition Nouvelles impressions de Raymond Roussel au Palais de Tokyo, son commissaire François Piron nous raconta à son tour une histoire de valise. Ou plutôt de boîtes, remisées jusqu’en 1989 chez le déménageur Bedel, qui entreprit de faire le ménage

dans ses réserves. C’est ainsi que furent découverts neuf cartons renfermant des centaines de photographies de famille, carnets de notes, agendas, ainsi que des milliers de pages manuscrites signées Raymond Roussel (dont on sait par ailleurs qu’il était un grand amateur de “motsvalises” et autres calembours) sur lesquelles il avait pris soin d’apposer la mention : “A déposer à la Bibliothèque nationale”. “De quoi transformer radicalement le mythe en archive, estime le commissaire, quoique parfois ces documents épaississent le mystère au lieu de le dissiper…” Roussel, au demeurant, fait une brève apparition dans les vapeurs de Port-Hâtif, point de chute imaginaire de la conspiration Shandy imaginée par l’écrivain Enrique Vila-Matas dans son Abrégé d’histoire de la littérature portative. Composée, entre autres, de Marcel Duchamp, premier inventeur de la boîte-en-valise (un petit mausolée portatif qui renfermait les copies de soixante-neuf de ses œuvres), mais aussi de Tzara, Picabia ou Benjamin, cette joyeuse troupe cultive entres autres obsessions le goût de l’“œuvre qui ne pesât pas trop lourd et pût aisément tenir dans une mallette”. C’est cette famille d’œuvres mobiles, comme

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Laurent Le Deunff, Dent, 2011, à la galerie LeMinotaure, Paris

Photo Aurélien Mole

Benjamin Seror, Ecomusée de l’homme moderne –Hotline en panique, 2012-2013, au Cneai= de Chatou

autant de compagnons de voyage, que réunit aujourd’hui une rétrospective miniature, aussi légère qu’un baluchon d’été. Enfant, à l’occasion d’interminables voyages en train, on passait le temps en cherchant des mots partageant la même terminaison : “Dans ma mallette, je mets... une savonnette, une allumette, une alouette, etc.”, le joueur suivant ayant la lourde tâche de poursuivre cet inventaire à la Prévert. Dans notre mallette de commissaire cette fois-ci, hormis la boule à neige de Stéphane Thidet, merveilleux paysage miniature qu’il abandonna récemment dans un recoin de son exposition à la galerie Aline Vidal, et ce fétiche de Laurent LeDeunff, une dent taillée dans un minuscule coquillage exposé avec vingt-deux autres œuvres réduites dans une “exposition qui tient dans les poches” (actuellement à la galerie Le Minotaure), ce sont d’autres trésors, comme autant de poupées russes, qui sont venues se loger. A commencer par ce reliquaire imaginaire d’une exposition justement intitulée Boîtes, que Suzanne Pagé organisa en 1976 à l’Arc, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, et dont il ne reste aujourd’hui quasiment aucune trace. Dans les mêmes salles, ce sont d’autres boîtes et vitrines que consigne

actuellement le Vietnamien Danh Vo. Elles contiennent entre autres les effets personnels de Robert McNamara, ancien secrétaire à la Défense américaine et grand orchestrateur de la guerre au Vietnam, que l’artiste acheta aux enchères. Dans une vitrine, il présente un petit coffret dont il a retiré les vestiges archéologiques qu’il contenait (le fruit d’un pillage d’un autre secrétaire à la Défense, israélien celui-ci, qui en fit cadeau à McNamara). Et pour un peu que notre valise se transforme en conteneur, on embarquera aussi un ou deux fragments de la statue de la Liberté, que Danh Voh dissémine de musée en musée, de ventes privées en salles de marché, dilapidant au passage le mythe américain. Dans notre valise à tiroirs, on rangera enfin les maquettes que Benjamin Seror fabrique pour son Ecomusée de l’homme moderne. Présentées dans une exposition du commissaire François Aubart au Cneai= de Chatou, après un premier épisode à Banff au Canada (d’où la nécessité de montrer des pièces transportables, précise le commissaire de cette“expo-Fedex”), ses fictions miniatures s’alignent sagement sur des tables hautes. Accompagnées de légendes conçues comme des amorces narratives, elles prennent tour

à tour la forme d’un petit personnage cubique, le très attachant Kunsky, qui accompagne Seror dans toutes ses performances, d’une maquette pliable de deux petites maisons jumelles ou de transmetteurs de pensées en carton, avatars sur pattes de nos inséparables smartphones. “Ces maquettes prennent pour point de départ le modulor”, décrypte François Aubart, qui fait référence à la règle architecturale théorisée par Le Corbusier dans les années 50 sur la base d’un motvalise conjuguant “module” et “nombre d’or”. “Pour définir la taille standard d’un être humain, Corbu s’appuya sur celle du héros d’un roman policier, complète Aubart. Une façon de lier à jamais réel et fiction.” Claire Moulène La Valise mexicaine – volume 1, l’histoire (Actes Sud) Abrégé d’histoire de la littérature portative d’Enrique Vila-Matas (Christian Bourgois) Mathieu Mercier jusqu’au 27 juillet à la Galerie Le Minotaure, Paris VIe, dans le cadre de Nouvelles Vagues, www.galerie-leminotaure.com Dahn Vo jusqu’au 18 août au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris XVIe, www.mam.paris.fr L’Echo des précédents par François Aubart, jusqu’au 25 août au Cneai=, Chatou, www.cneai.com 17.07.2013 les inrockuptibles 103

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jcLett

Atelier Van Lieshout, Blast Furnace, 2013

la recréation du monde Hypercritique vis-à-vis du capitalisme mais jamais univoque, l’artiste néerlandais Joep Van Lieshout installe son Atelier à la Friche La Belle de Mai, à Marseille. Impressionnant.

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e veux lancer une nouvelle révolution industrielle !”, déclarait le soir du vernissage le tonitruant Joep Van Lieshout devant sa machine infernale, copie conforme, bien qu’àéchelle réduite, desfours àcombustion deMoselle. Cette annonce, quelques semaines après lafermeture des hautsfourneaux de Florange et la mise à mort des usines Peugeot-Citroën à Aulnay, Goodyear à Amiens ouPetroplus à Rouen, ressemblait fort à une deces provocations dont l’artiste néerlandais a le secret. Reste que ce tout nouveau projet intitulé TheButcher met le doigt, une nouvelle fois, là où çafait mal. Là où l’utopie, enl’occurrence ici celle de l’industrialisation accélérée née à la fin du XIXe siècle, vire au cauchemar. Dans un cycle précédent, Atelier Van Lieshout

(puisque c’est là le nom de l’entreprise collégiale autogérée dont Joep Van Lieshout est, depuis les années90, la tête pensante) s’était intéressé aux dérives du capitalisme. Avec Slave City, projet tentaculaire dont l’association Sextant et plus (l’une des six structures dédiées à l’art contemporain au sein de la Friche) nous livre cet été, en parallèle, une rétrospective très complète, Van Lieshout retournait comme un gant les stratégies productivistes d’une société qui court à sa perte. Dans cette cité imaginaire dont l’infrastructure etle règlement intérieur ont été étudiés (sous forme demaquettes, dessins etautres plannings) avec un souci du détail qui fait froid dans le dos, on est loin des 35heures réglementaires. Doté d’un “Welcoming Center”, d’universités –non mixtes–,

d’un centre médical et d’une zone de loisirs (en forme de spermatozoïde ou d’utérus) dans laquelle les 200 000habitants peuvent s’adonner aux joies du sexe, cette “cité des esclaves” n’a qu’un seul objectif: atteindre le chiffre d’affaires ubuesque de 7,8milliards d’euros par an. Un camp de concentration moderne en somme, où lescandidats déficients sont littéralement recyclés, au sens écologique du terme. A quelques mètres de là, The Butcher (“le Boucher”) décline une nouvelle partition des utopies perverties. Dans l’espace magistral de la tour Panorama que l’architecte Matthieu Poitevin, en ce début d’année “capitale”, a posée en porte-à-faux sur le toit de la Friche, les hauts-fourneaux revisités àla sauce Van Lieshout enimposent et jouent sur toutes les cordes à la fois. Rouillées, leurs carcasses à l’agonie nous renseignent

dans un premier temps sur un monde qui s’éteint lentement sous nos yeux. Mais c’était compter sans la folie de l’artiste, qui réinjecte ici son vocabulaire plastique en y glissant quelques indices (une cuisinière, un lit, une lampe de chevet, tous ultradesignés) permettant d’envisager une autre vie possible, à même les cendres de cette utopie désagrégée. Une mécanique externe, un système de poulies volontairement daté, indique encore la possibilité d’une réactivation par la main de l’homme. Ici encore, comme dans les épisodes précédents, la philosophie Van Lieshout n’est jamais univoque, qui se déplie comme un éventail dont le spectateur dérouté doit appréhender toutes les facettes en même temps. Claire Moulène jusqu’au 31 décembre à la Friche La Belle de Mai, Marseille, www.lafriche.org

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Roger Picard/Radio France

Len eurobiologiste Henri Laborit et le démographe Jean-ClaudeChe snais au cours de l’émission Dialogues, le 30 novembre 1983

la cinquantaine épanouie Lancée en décembre 1963, France Culture revisite son riche demi-siècle d’existence à travers une série d’émissions estivales et un livre qui retracent une expérience radiophonique unique.

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l n’y a pas de meilleure manière d’écouter la radio qu’en s’attachant d’abord aux sons qu’elle émet. C’est la matière sonore qui la caractérise, lui donne sa chair, produit sa tendre attraction. La maison France Culture forme de ce point de vue un repère intangible: la radio expose instantanément son territoire. Une profondeur de champ sonore, des éclats de voix posée, une luminosité du cadre, des conversations d’honnêtes gens grâce auxquelles nossavoirs et nos goûts se forment et se perfectionnent: tout dans l’écoute confortel’impression que son paysage naturel a été pensé pour sculpter notre paysage culturel et mental.

Les ondes de France Culture sont “magnétiques”, comme le furent longtemps ses Nuits du même nom, l’une des plus célèbres émissions de son histoire, créée par Alain Veinstein en1978. Ce mystère del’incarnation de la radio dure depuis cinquante ans. Unique, elle le fut dès son lancement en décembre 1963 ; unique, ellel’est restée, bien que progressivement reconfigurée, à la mesure des nouveaux usages d’écoute et de l’esprit de l’époque. Féminisée, rajeunie, plus “journalistique” et moins “professorale” depuis quelques années, la radio a largement profité de la mutation numérique à la fin des années2000, au point d’être la troisième radio la plus podcastée de France.

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la radio a largement profité de la mutation numérique à la fin des années2000, au point d’être la troisième radio la plus podcastée de France

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Son directeur actuel, Olivier Poivre d’Arvor, se félicite de l’élargissem*nt continu de sespublics, puisque, après avoir longtemps été perçue comme une radio destinée auxvieilles élites culturelles parisiennes, elle est désormais écoutée par 1,5 million d’auditeurs par jour. De sorte que si France Culture appartient au temps de l’histoire dela radio, elle est aussi pleinement de son temps: bien plus qu’une relique dupatrimoine radiophonique, et sans contredire les fondements de son projet initial –une “encyclopédie sonore” voulue par ses anciens directeurs Agathe Mella, Yves Jaigu… –, elle s’est ouverte à de nouveaux publics en portant un regard plus élargi sur le monde, notamment grâce àune excellente rédaction, selon le souhait des directeurs suivants, Jean-Marie Borzeix, Patrice Gélinet, Laure Adler, DavidKessler, Bruno Patino… Au point defaire la nique à un certain populisme anti-intellectuel qui prétend toujours que la culture et le savoir n’intéressent personne en dehors d’un microcosme nombriliste. Il serait d’ailleurs précieux de mesurer combien France Culture a joué un rôle d’éducation populaire auprès de plusieurs générations d’auditeurs curieux, loin d’êtretous issus des circuits de production desélites intellectuelles et sociales. Pourquelques lycéens et étudiants, l’écouterégulière de France Culture est restée uneexpérience d’apprentissage aussi forte, voire plus décisive que le suivi des cours académiques. Outre un lieu d’apprentissage et d’information sur la vie des œuvres et des idées, suivre France Culture pouvait aussi prendre l’allure d’une expérience ludique, étrange et pénétrante. Un plaisir d’écoute àla mesure du rêve de faire de la radio l’undes beaux-arts, comme y ont toujours tenu ses réalisateurs légendaires, AlainTrutat, René Farabet, Yan Paranthoën, JeanCouturier, Mehdi El Hadj… Et lorsqu’à 17ans, en écoutant par exemple le Panorama à la mi-journée dans les années80, on entendait des savants exaltés ou des dialecticiens fervents s’écharper, comme si leur vie en dépendait, autour ducommentaire d’un livre ou d’une idée, une évidence s’imposait: il n’y a pas mieuxque la radio comme théâtre de la controverse et du partage du savoir.

Pasmieux non plus que la radio comme espace d’une parole intime, d’un murmure du monde, d’un récit romanesque. Des voix nues aux disputes, des matins aux nuits magnétiques, du jour au lendemain, des mauvais genres aux bons plaisirs, des carnets nomades aux pieds surterre, des répliques aux suites dans lesidées, des concordances des temps auxplaces de la toile, des grandes tables aux grandes traversées, de l’esprit public au bien commun, des papous dans la tête aux ateliers de création radiophonique, deschemins de la connaissance à la fabrique de l’histoire, du grain à moudre aux bouches pleines, des rendez-vous auxprojections privées, du pays d’ici auxhors-champs, France Culture s’esttoujours définie à travers un large spectred’expériences d’écoute. Un livre, 50ans de France Culture, écrit par le producteur Emmanuel Laurentin (vingt-sept ans de maison) et l’universitaire Anne-Marie Autissier, traduit les cheminements de cette aventure. Laurentin et Philippe Garbit prolongent ce travail patrimonial dans une série d’émissions: France Culture: 50ans de radio. Trente heures d’émissions d’archives pour prendre la mesure de la spécificité de la radio. “On a essayé, explique Laurentin, de ne pas faire un travail chronologique, mais plutôt deréfléchir à des lignes de force qui ont fait l’identité de la chaîne, soit parce qu’elles étaient là dès l’origine –la question du livre, du théâtre, de la fiction et de la musique–, soit parce qu’au fur et à mesure de l’avancée des travaux, certaines ont été des lignes defrottement. Par exemple: la question desavoir si on devait ou non sortir des studios, faire du reportage, et pour dire quoi ?” Ondoyant parmi ces horizons multiples qui déchirent, cette histoire radiophonique revisitée est aussi celle, consubstantielle, rééclairée, de la vie intellectuelle et sociale des cinquante dernières années: un écho, une trace, une signature de cinquante nuances de griseries culturelles. Jean-Marie Durand émission France Culture: 50ans de radio du22juillet au 30août, 15 h-16 h, France Culture livre 50ans de France Culture d’AnneMarieAutissier et Emmanuel Laurentin (Flammarion, France Culture), 254pages, 35€ 17.07.2013 les inrockuptibles 107

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Marlène Tissot pour la revue en ligne 17 secondes

la belle vie des revues En pleine crise de la presse écrite, il est un support qui résiste: lesrevues, en particulier les plus anciennes, qui mènent le bal.

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ernard Tapie, homme de lettres”, “Meurtre dans la cathédrale”, “Debord ou Bowie ?”… Chaque lundi, quelques milliers de privilégiés reçoivent dans leur boîte mail un objet virtuel très identifiable: “l’édito mobile” de MichelCrépu. Al’image du directeur de la Revue des deux mondes –la plus ancienne d’Europe, fondée en 1829– et de ses trouvailles éditoriales, les revues françaises connaissent un dynamisme surprenant en pleine crise de la presse. Quand un journal ferme, dix revues se créent. Le site entrevues.org a recensé vingt-deux naissances début 2013. Dernières en date (en numérique celles-ci): Bullesde savoir, L’Hôte, 17secondes ou Tousurbains, dirigée par Olivier Mongin, qui a quitté la direction d’Esprit en janvier2013, au moment des 80ans de cette dernière. Emmenées par la revue jésuite Etudes (1856), qui caracole à 15 000exemplaires mensuels, elles sont une poignée à dépasser les 5 000exemplaires (chiffres fournis par les éditeurs): Esprit, Commentaire, LeDébat, La Revue des deuxmondes. Si elles ont beaucoup perdu de leur influence intellectuelle depuis quelques décennies, elles ont su trouver un nouveau lectorat. La capacité d’adaptation serait d’ailleurs, à en croire Olivier Mongin, une de leurs qualités premières: “Une revue n’est pas une forme éditoriale figée, c’est un style de pensée indissociable d’un sentiment historique, le style d’une pensée qui se reconnaît bousculée par les aléas des événements.” Bien avant le succès des “mooks”, qui ont redonné de l’ampleur au journalisme, à l’image de XXI ou Feuilleton, les revues ont su répondre au besoin de recul de lecteurs assaillis par les déferlantes de l’information continue. Elles savent “anticiper et tracer des lignes de fuite, comme le firent beaucoup de revues sur la question musulmane ou, avant l’automne 2005, sur la situation des banlieues en France”, écrivait déjà Sophie Barluet dans son rapport “Les Revues

“une revue n’est pas une forme éditoriale figée, c’est un style de pensée indissociable d’un sentiment historique” Olivier Mongin, directeur de Tous urbains

françaises aujourd’hui”, remis en 2006 au Centre national du livre (CNL). Elles ont aussi très bien su s’adapter à internet. “Beaucoup plus vite et de façon plus inventive que le monde des livres”, soulignait encore Sophie Barluet. Confrontées à d’importants frais de distribution, mal exposées en librairie et dans les journaux, elles trouvent aujourd’hui une nouvelle jeunesse sur le web. L’environnement numérique colle parfaitement au lectorat des revues, animé par l’esprit de réseau. Charles Péguy, directeur des Cahiers de la Quinzaine, le définissait ainsi en 1909: “une sorte de famille d’esprits, sans l’avoir fait exprès, justement ; nullement un groupe, comme ils disent ; cette horreur ; mais littéralement ce qu’il y a jamais eu de plus beau dans le monde: une amitié ; et une cité.” Internet permet également un accès, souvent gratuit, à des archives d’une grande valeur, notamment à travers des portails collectifs comme cairn.info et revues.org. Si la plupart des quelque 2 000 à 3 000revues répertoriées en France arrivent à subsister, c’est aussi grâce aux aides de l’Etat. Les principales émanent du CNL. En 2012, ila aidé 273revues, pour un total de 1,1million d’euros et une moyenne de 4 300euros par revue. Cesaides sont réparties selon des dispositifs plutôt labyrinthiques. Les trois principales bénéficiaires l’an dernier ont été Esprit, Le Matricule des anges et Books. La plus petite aide est allée à la revue poétique Ouste (600euros), publiée par les éditions Féroce Marquise. Toute une histoire. MartinBrésis

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du 17 juillet au 13 août Remède à la mélancolie

Felicity Jones dans Northanger Abbey de Jon Jones

Emission animée par EvaBester. Du lundi au vendredi, 21 h, France Inter

La journaliste Eva Bester explore grâce à ses invités les antidotes possibles auspleen de notre siècle. Parce qu’elle s’abat sur l’homme sans cause tangible, la mélancolie est souvent plus forte que la volonté de s’en prémunir. La“bile noire”, telle que la définissait Aristote, mène à l’anéantissem*nt, à la dépossession de soi. Selon László F.Földényi, auteur de l’essai Mélancolie (Actes Sud), sa source reste une “inassouvissable sensation de manque”, un manque “universel, inconcevable et irrémédiable”. S’il reste difficile à combler, ce manque a quelques antidotes, ne serait-ce que, parfois, le plaisir paradoxal de s’y complaire, comme si souffrances et délices pouvaient s’accomoder. L’émission estivale d’Eva Bester fait le pari que les remèdes à la mélancolie logent surtout dans les œuvres d’art. En recevant chaque soir un artiste confiant ses affects et ses emballements pour certains objets culturels ou quelques accessoires du quotidien, la journaliste explore les issues possibles au spleen. Achacun ses remèdes, futiles, décisifs, obligés. Une manière enjouée de parler de la mélancolie.

joyaux d’Angleterre Un digne florilège d’adaptations télé de célèbres romans de la grande Jane Austen. ir groupé autour de Jane Austen, par certains côtés annonce le prince lamaîtresse british du roman du paradoxe, Oscar Wilde), on pourra tout sentimental du début du XIXesiècle, de même déceler à travers ces histoires de avec quatre adaptations anglaises jeunes femmes plus ou moins intrigantes de ses œuvres: Emma, Persuasion, (comme Emma), qui finissent toujours Northanger Abbey et Mansfield Park. Des par épouser le moins évident et le moins films produits pour la télévision anglaise vulgaire de leurs prétendants après une avec un certain luxe de moyens et qui, si série de quiproquos, un regard acéré sur l’on ne se formalise pas de quelques rares la bonne société britannique de l’époque, gimmicks pas forcément indispensables esclave de ses préjugés de classe ou de (flash-backs, effets numériques pour fortune. Ces quatre films, dus à différents Northanger Abbey), constituent une bonne réalisateurs, n’ont rien de renversant initiation à l’œuvre de ce grand écrivain. sur le plan cinématographique, mais Ilsseront diffusés en version originale, ils témoignent tous, soit d’une grande ce qui donnera une assez bonne idée expertise dramaturgique (Emma), soit d’un de l’anglais châtié et courtois d’antan réel talent pictural (Persuasion) –on a ainsi (il a bien changé), et permettra grand plaisir à découvrir le décor (comme de réviser ses connaissances linguistiques la splendide ville de Bath) et les costumes en joignant l’utile à l’agréable. du monde de Jane Austen. VincentOstria Même si les films, inévitablement, simplifient les textes originaux d’Austen, Cycle Jane Austen tous les jeudis jusqu’au 8août, 20 h 50, Arte d’une grande subtilité langagière (qui

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Jean-MarieDurand

Nus et culottés

Folklores alsacien et belge au menu de cette virée grunge. Deuxième saison de cette série documentaire conçue par Bonne Pioche sur le modèle de son inénarrable J’irai dormir chez vous. On a juste ajouté un handicap par rapport à l’émission du globe-trotter Antoine de Maximy: les deux héros de la série, Nans et Mouts, sont nus

Bonne Pioche

série documentaire de Nans Thomassey et Guillaume Mouton, saison2 (6X52min). Tous les jeudis à partir du 25juillet, 20 h 40, France5

au départ –comme le titre l’indique–, avec une feuille de vigne dessinée au bon endroit. Cette vision étant intolérable pour tout citadin civilisé qui se respecte, ils se retrouvent

très vite “habillés pour l’hiver” (car en plus il gèle) par des bons samaritains qu’ils rencontrent ; ils ont vite fait de les squatter et de leur extorquer en riant gîte et couvert. Cet épisode démarre en Alsace où, après s’être bien gobergés, Nans et Mouts gagnent la Belgique en auto, puis en bateaustop, pour rencontrer le roi. Ils font chou blanc mais échangent tout de même quelques mots avec l’actuel Premier ministre belge, Elio Di Rupo, lequel, on l’apprend, crèche dans un appartement anonyme de Bruxelles, sans protection policière visible. V.O. 17.07.2013 les inrockuptibles 109

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Photomontages, vidéos, gags prolifèrent sur jeuxvideo.com. Ici, le lamasticot

l’odyssée jeuxvideo.com L’aventure remonte aux années 90 et a commencé sur le Minitel. SébastienPissavy raconte dans un livre comment il a monté et développé le site vidéoludique devenu en dixans le plus visité d’Europe.

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on nom est moins connu que ceux de Marc Simoncini, d’Orianne Garcia ou encore de Xavier Niel. Il n’en demeure pas moins qu’à 39ans Sébastien Pissavy est l’un des pionniers du web français. Dans un ouvrage qu’il vient de publier, le fondateur de jeuxvideo.com revient sur l’histoire d’un site, devenu en l’espace d’une décennie le premier média vidéoludique d’Europe et le cinquième site le plus visité en France. Tout débute en 1995 au service informatique du 92erégiment d’infanterie de Clermont-Ferrand. Durant son service militaire, Sébastien Pissavy préfère déjà la souris aux armes à feu. Dès qu’il le peut, ce passionné d’informatique joue sur son PC à des jeux comme Doom ou Dune.

“Dans les années 1990, les jeux étaient d’une difficulté relativement élevée. En venir à bout tout seul représentait un défi insurmontable”, explique Pissavy. C’est le déclic. Après avoir terminé son service, il commence à rédiger une Encyclopédie des trucs et astuces de jeux vidéo (ETAJV) sur disquettes. Victime de son succès et des demandes régulières de mises à jour, il lance une version Minitel. “Souvent considéré comme un handicap pour la démocratisation d’internet, ce bon vieux Minitel franco-français a été au contraire pour nous un tremplin”, relate Pissavy. 3615ETAJV va devenir la principale source de financement de son futur site, baptisé jeuxvidéo.com. Lancé au début de l’année 1997, le site peine à trouver son audience. Implantée à Aurillac, en Auvergne, la petite entreprise échappe

à la bulle internet et ne se développe que sur les fonds personnels de ses fondateurs. “Si nous avions été parisiens et non pas auvergnats, nous aurions sans doute levé des fonds et augmenté notre structure de coûts trop tôt”, analyse rétrospectivement Sébastien Pissavy. La chance tourne au début des années2000. Alors que la plupart des magazines de jeux vidéo commencent à lentement péricl*ter, jeuxvideo.com, plus réactif, s’impose comme la référence en ligne de l’actualité vidéo ludique. En 2000, Sébastien Pissavy cède 80 % de ses parts à Gameloft mais continue à gérer l’entreprise comme un indépendant. Il faudra attendre2012 et quinze années au service de son “bébé” pour qu’il jette l’éponge.

Au-delà de la successstory entrepreneuriale, Sébastien Pissavy revient également dans son livre sur les démêlés judiciaires du site. Au fil des années, le forum “Blabla15-18 ans” dejeuxvideo.comest en effet devenu l’équivalent français et prépubère du mythique forum américain 4chan, lieu de toutes les créations et de tous les détournements. Dans son livre, le fondateur de jeuxvideo.com analyse l’émergence de la communauté dite des “noélistes” qui s’est constituée sur ce forum. Vénérant un smiley portant un bonnet de Père Noël, ces jeunes activistes potaches ont mis leur talent à contribution pour poster des photomontages, réaliser des vidéos ou bien encore inventer des blagues dans le seul but de s’amuser. “C’est sans doute le groupe de jeunes gens les plus créatifs qu’il m’ait été donné de voir sur le web francophone”, confie Sébastien Pissavy. Au nom du LOL, les noélistes ont multiplié les coups d’éclat: piratage du site de l’armée américaine, diffusion des sujets du bac avant les épreuves ou bien encore la propagation de la fausse mort de Jean Dujardin. Avec le recul, Sébastien Pissavy estime que “ce fake aura au moins permis de mettre en lumière certaines dérives dans le traitement de l’information sur internet, par des journalistes plus soucieux d’être les premiers à relayer une information que d’en vérifier la véracité.” David Doucet Jeuxvideo.com : Une odyssée interactive –L’incroyable parcours du créateur de jeuxvideo.com de Sébastien Pissavy (Pix’N Love Editions), 237pages, 19€

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film Paris, Texas de Wim Wenders Deux scènes incroyables m’ont marquée: l’intro où l’on découvre le premier personnage, quasiment à l’état animal, perdu dans un désert, et cette scène du miroir où les visages des amoureux se cherchent, se reflètent puis s’imbriquent, séparés par une vitre.

vidéo

Petit Fantôme Stave Une collection de chansons saisissantes de beauté et de sincérité.

Le Village des damnés de John Wyndham Redécouverte d’un classique du roman d’épouvante.

livre Just Kids de Patti Smith Ce livre m’a complètement happée. Je me suis pas mal retrouvée dans certains passages où elle décrit son rapport à la création, comment chercher quelque chose en soi, cette quête perpétuelle. recueilli par Noémie Lecoq

Les 7 Samouraïs d’Akira Kurosawa Copie restaurée d’un classique, possible modèle secret du film moderne de superhéros.

Dans un jardin je suis entré d’Avi Mograbi L’amitié entre le cinéaste israélien et un professeur palestinien, motif d’espoir dans une région déchirée.

Frances Ha de Noah Baumbach Un kaléidoscope jubilatoire d’émois cinéphiles emporté par Greta Gerwig.

Emma Picq

Grigris de Mahamat-Saleh Haroun Une plongée virevoltante dans les bas-fonds de la capitale tchadienne.

I’m Not the Girl Who Misses Much de Pipilotti Rist C’est l’une des artistes qui m’a poussée vers le travail des boucles, de la mise en scène. Ici, elle se réapproprie une chanson des Beatles, en remplaçant “she” par “I”. Mon clip Next Bored Generation est un clin d’œil à l’une de ses vidéos où elle écrase son visage sur une vitre.

Mesparrow Son nouvel album, Keep This Moment Alive, est disponible. Elle sera en concert le 20 juillet à Paris au festival Fnac Live, le 21 aux Vieilles Charrues, le 4août aux Nuits secrètes…

Pet Shop Boys Electric Chef-d’œuvre de pop fantaisiste et outrancière. World War Z de Max Brooks Avec ce roman adapté au cinéma et un guide pratique, l’auteur a offert une nouvelle jeunesse aux morts vivants Sanubar Tursun Arzu Cette chanteuse ouïghoure démontre que le folk d’Asie centrale vaut bien celui des Appalaches.

Kisses Kids in L. A. Snob et élégant, le duo de L. A. délaisse le disco pour rêvasser dans le satin.

Under the Dome CBS, prochainement sur M6 Adaptée de Stephen King, entre science-fiction et fable politique. Fringe TF1 Ultime saison de l’une des séries récentes les plus libres. QI OCS Max, rediffusion La reconversion d’une star du X en étudiante en philo.

La Grande Epopée de Picsou de Don Rosa Ces aventures de Picsou, qui sortent en recueil, s’avèrent palpitantes.

Moi, Fatty de Jerry Stahl Un roman noir sur l’Amérique puritaine qui retrace la déchéance d’une figure des débuts d’Hollywood, “Fatty” Arbuckle.

Le Démon d’Hubert Selby Jr. Une déconstruction minutieuse du rêve américain.

Le Jeune Fantôme de Robert Hunter Un fantôme se retrouve sur terre et ne sait pas quoi faire. Subtil et inventif.

Jack Joseph, soudeur sous-marin de Jeff Lemire Une plongée dans la mémoire d’un jeune orphelin.

Kabaret Warszawski (Cabaret Varsovie) conception et mise en scène Krzysztof Warlikowski Festival d’Avignon Un cabaret dérangeant pour dire la force de résistance des artistes.

Reise Durch die Nacht (Voyage à travers la nuit) mise en scène Katie Mitchell Festival d’Avignon. Hybridation entre une représentation théâtrale et un tournage réalisé en studio.

Au-delà chorégraphie DeLaVallet Bidiefono Festival d’Avignon. Neuf guerriers mettent en scène le compagnonnage funeste qui rythme la vie à Brazzaville.

Xavier Veilhan et Benoît-Marie Moriceau Cité radieuse, Marseille, et Maison radieuse, Rezé Deux artistes s’attaquent à ces symboles de la modernité érigés par LeCorbusier.

Giana Sisters –Twisted Dreams sur PS3, Xbox 360, PC A l’origine clone de Super Mario, ce jeu s’est transformé en une saga singulière.

The Photographic Object 1970 ; L’Image dans la sculpture Consortium, Dijon et Centre Pompidou, Paris Une exposition mythique organisée au MoMA en 1970 revisitée.

Le Tour de France 2013 sur PS3 et Xbox 360. Une simulation qui permet de gérer tous les aspects tactiques de la course.

New Orders/Des images comme des oiseaux Lancement de la deuxième saison de la Friche LaBelle de Mai dans le cadre de MarseilleProvence 2013.

Grid 2 sur PS3, Xbox 360 et PC Le jeu de course se met à l’heure des sites de partage et des réseaux sociaux.

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par Serge Kaganski

février 1997

l’harmonieux mariage des contraires

Danièle Huillet et Jean-Marie Straub

P

ialat, Mocky, Lanzmann, Ophuls: nous aimons les grands grincheux du cinéma, surtout quand ils ont du génie. Parmi ces patriarches peu commodes, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub tiennent une place encore plus àpart. Quand nous les interviewons pour la première fois à l’occasion de la sortie de leur comédie musicale de remariage, Dujour au lendemain, Frédéric Bonnaud, Dominique Marchais et moi n’en menons pas large. Non seulement ils traînent une réputation de caractères de cochon, mais aussi d’intransigeance intellectuelle et cinéphile: comme avec Godard, on a un peu les jetons de ne pas être à la hauteur. Ces préventions tombent dès leur accueil dans un petit appartement du XVIIIearrondissem*nt de Paris: ils se sont mis en quatre pour nous recevoir, nous présentent leur chien, nous mettent à l’aise, ont prévu du temps et des bières. On a l’impression d’être chez une tante et un oncle plutôt que face aux icônes de la radicalité intimidante. Notre conversation sera longue, passionnante, épisodiquement conflictuelle. Du lourd. “Les Straub” se vouvoient, nous captivent et nous émeuvent quand ils racontent leur rencontre en 1954, leurs premiers émois cinéphiles, leurs accords et désaccords. Ilsont de l’humour: “Je voulais faire des documentaires en Afrique. Ce n’est pas lui que j’aurais dû rencontrer mais Jean Rouch !”, balance Danièle Huillet. Lui grogne, rugit, s’emporte, elle amène les contrepoints, l’assurance calme, les précisions placides. Eau chaude, eau froide. Et parfois, ça cogne. “Moderne, ça veut dire privatisation

à outrance, abolition des lois contre les cartels… jusqu’au saccage et à la barbarie absolue ! Laseule solution, c’est la dissidence”, tonne Straub. Il ne craint pas de passer pour réactionnaire ? “Eh bien, très bien ! Soyons réactionnaires !” Straub définit la Sorbonne comme “un nid de racaille intellectuelle à 90 %”, ou soutient que “l’Occident est responsable du stalinisme”. Et puis la tempête straubienne s’apaise, pour laisser place à une étincelante intelligence de cinéma: “Si on traficote tout entre chaque prise, l’espace devient du caoutchouc. Il faut respecter l’intégrité de l’espace qu’on filme.” Ou encore ceci, sur leur économie du cinéma: “Tous nos films ont été couverts, personne n’y a perdu un sou. Les grandes boîtes ne paient pas les labos, elles ruinent tout. Nous, on a toujours payé tout le monde, en liquide et sans délais.” On prend les Straub pour des terreurs, mais la vérité, c’est que ce sont des gens honnêtes, droits, probes. Leur intransigeance n’est que l’arme de ceux qui n’ont pas de pouvoir, ni de perversité, qui mettent leurs actes en conformité avec leurs principes, et au service d’une filmo sans pareille. Danièle Huillet nous a quittés un triste jour de l’automne 2006. Un autre jour, à Saint-Cloud, au bar-tabac en face du labo LTC (lui aussi disparu), là où le couple avait coutume d’inviter ses fidèles à découvrir en avant-première ses nouveaux films (en allemand, en italien, en sicilien… mais toujours sans sous-titres), le fier, l’ombrageux, le colérique Jean-Marie Straub m’avait confié, accoudé au zinc: “Vous savez, je vous aime bien.” J’ai rarement été autant bouleversé que par cette intempestive et pudique déclaration d’affection.

En ce temps-là, les Straub-Huillet vivaient dans le même monde que la britpop

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No.920 du 17 au 23 juillet 2013

House of Cards David Fincher entre en politique Mad Men 6 l’apothéose Breaking Bad cette fois c’est fini The Americans le KGB chez Reagan sur le tournage de Tunnel Platane revient

NUM RO

Roux / Téchiné et l’affaire Le riefjoy Claude Puel / G

www.lesinrocks.com

spécial séries

NICE

6 1 pages

Kevin Spacey dans House of Cards

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Diana Lisarelli

spécial Nice

plein soleil 1946: sur une plage de galets, Yves Klein éprouve soudain de la haine pour les oiseaux qui troublent son ciel sans nuages. Là, le jeune Niçois choisit le bleu et donc l’infini, entendu comme la plus belle et la plus grande de ses œuvres. Loin des clichés paresseux qui inondent la “Côte d’Azur”, voici venu le temps de célébrer Nice la belle, ses couleurs, son air et sa lumière qui font de cette ville une terre de cinéma et de littérature. coordination Diane Lisarelli

II Patrick Mauriès rencontre avec l’écrivain, promeneur infatigable et lumineux

IV Griefjoy chauffé à blanc, le quatuor mêle pop et electro

VI les inRocKs lab la scène locale regorge de talents: quatre sont passés sous notre microscope

VIII le renouveau culturel tour d’horizon des lieux et pratiques qui émergent

X Claude Puel l’entraîneur de foot goûte à la popularité et à la douceur de vivre locale

XII Villa Arson dédiée à l’art contemporain, la Villa a 40ans. Rétrospective

XIV la ciné-ville en quelques films marquants, petite histoire du “Hollywood de la Méditerranée” 17.07.2013 les inrockuptibles I

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Diane Lisarelli

spécial Nice

ville lumières Rafraîchissant notre regard sur Nice, Patrick Mauriès arpente cette ville où le soleil ne laisse “pas de place au camouflage”. Rencontre avec cet écrivain à l’œuvre singulière.

R

appelant que pour les Grecs, “les arbres sont des alphabets”, Roland Barthes écrivaiten 1975: “Parmi tous les arbreslettres, le palmier est le plus beau. De l’écriture, profuse et distincte comme le jet de ses palmes, il possède l’effet majeur: la retombée.” Nice tiendrait-elle son style des nombreuses arécacées qui bordent sa promenade des Anglais ? Possible. Car ici le génie des lieux est inséparable de sa topographie. Végétation presque africaine, montagnes découpées sur le ciel azur et mélancolie éclatante. Autant d’aspects si singuliers qui inspireront nombre de promeneurs.

Parmi eux, Patrick Mauriès, auteur de Nietzsche à Nice (2009, Gallimard) et Dans la baie des Anges (2012, Gallimard), deux des plus beaux textes évoquant cette terre régulièrement sujette aux tremblements où l’air a une forte odeur d’eucalyptus. De l’odor di Nizza, Patrick Mauriès retient un mélange d’allégresse et de lenteur. “Alacrité de la pensée dans cette atmosphère sèche et aérée, dans cette lumière d’aplomb qui détache discrètement le grain des choses ; indolence que nourrissent la douceur du climat, la torpeur des débuts d’après-midi, l’illusion d’y voir les choses, la vie, s’y réduire à l’essentiel”, écrivait-il l’année dernière dans un court récit, Dans la baie des Anges. Là, par des

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“la douceur du climat, la torpeur des débuts d’après-midi, l’illusion d’y voir les choses, la vie, s’y réduire à l’essentiel”

JF Paga

Patrick Mauriès, Dans la baie des Anges

fragments de décor (le boulevard Gorbella, l’église Saint-Barthélemy, le casino aujourd’hui détruit ou la chapelle de la Miséricorde sur le cours Saleya), Mauriès s’engage dans une dérive à travers des souvenirs intimement liés à l’atmosphère du lieu. Del’église russe au temple protestant néogothique, de l’avenue Victor-Hugo en passant par les villas mauresques et autres “folies”, la ville qui “se pare de défroques empruntées, joue de mémoires importées, s’enivre d’allusions et d’architectures entre guillemets” fait alors écho à une certaine idée de la littérature. Et donc de la vie. Patrick Mauriès grandit à Nice. Choisie par ses parents en raison d’un climat proche de celui de Beyrouth, la ville imprime en lui sa couleur et son rythme. Il la quitte en 1973 pour poursuivre ses études à Saint-Cloud et travailler avec Roland Barthes. Puis, fonde la revue Le Promeneur –pensée comme une gazette façon XVIIIesiècle. La “petite feuille”, reflétant une “bibliothèque réelle et imaginaire” devient ensuite maison d’édition, plus tard accueillie comme collection chez Gallimard. Loin des artères principales, LePromeneur arpente avec élégance sentiers abandonnés et terres inexplorées. Il est ici question de mélange des genres, de baroque, de bizarre et de rare. Une démarche singulière qui échappe aux classifications figées et qui marque de son empreinte toute l’œuvre de Patrick Mauriès –comme en témoigne son récent et intrigant Fragments d’une forêt (Grasset). Croisé à Paris entre deux séjours à Nice, Mauriès parle volontiers de la ville, lieu privilégié pour écrire mais aussi pour lire. Eternel retour: c’est Nietzsche qui s’impose ici. De ses derniers écrits émane quelque chose des lieuxoù le philosophe allemand séjourna cinq fois ; la “magnifique plénitude de lumière” exerçant sur sa santé un “effet quasi miraculeux”. Pour Patrick Mauriès, “Nice trouve en Nietzsche son style même”,

“la traduction naturellede cette lumière intense: fraîche et brûlante”. Et sous le ciel parisien que l’on peine à caractériser, Mauriès de distinguer avec subtilité “la lumière de la mer, franche, éblouissante, comme lavée par le vent, la lumière de midi, liée au marché, à la vie ordinaire” et la “lumière de six heures, bouleversante, parce qu’à la fois un peu angoissante, et d’une très grande douceur”. Voilà qui ne laisse “pas de place au camouflage, révèle placages, disjointures, approximations et rapiéçages” et qui célèbre la vie dans ce qu’elle a de plus simple et de plus beau. Nice, ville d’un certain laconisme ? Oui, juxtaposé au grand baroque piémontais aussi caractéristique de l’architecture locale. Le style même de la sublime chapelle de la Miséricorde qui, l’air de rien, sur le cours Saleya, joue de la “délicate intrication des courbes, d’ovoïdes et d’ellipses” dans une “explosion jubilatoire”. Deux aspects d’une ville plurielle donc, d’où Mauriès pourrait bien tenir son amour des “chemins bifurquant au fil d’une lecture, scolie ajoutée à la marge d’un texte antérieur, emprunt et dérive, couture et greffe, découpage et collage”. De livre en livre et d’une vie à l’autre. Dans son Nietzsche à Nice, Mauriès convoque Jean-Marie Guyau, philosophe et poète français oublié partageant avec l’auteur du Gai Savoir “les thèmes et l’écriture”. ANice, qu’ils ont fréquentée au même moment, tous deux se seraient peut être croisés, rue Saint-Françoisde-Paul. Plus exactement dans la librairie Visconti, salon et cercle de lecture que les intellectuels de la fin du XIXesiècle fréquentaient volontiers. Patrick Mauriès note avec regret qu’aujourd’hui plus rien ne subsiste de l’élégant bâtiment de deux étages et de sa longue terrasse. Restent tout de même, découpés sur le ciel dans la lumière éclatante, de nombreux palmiers. Diane Lisarelli 17.07.2013 les inrockuptibles III

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spécial Nice

popup ! Le quatuor Griefjoy agence une pop incandescente et marche dans les pas de Foals et Metronomy. Un premier album est promis pour septembre.

Frédéric Stucin

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égulièrement, quand il s’agit de louer les talents de la délégation musicale française, on vante le dynamisme des scènes de Caen, Bordeaux, ClermontFerrand, Lille, Rennes… Longtemps, Nice a fait pâle figure à côté de ces villes qui dénombrent souvent plusieurs salles de concerts actives et déroulent chaque année de nouveaux représentants sonores. Pourtant, c’est à Nice que s’est forméen 2008 le groupe Quadricolor, lauréat du concours CQFD des Inrocks en 2009 et rebaptisé il y a peu Griefjoy. Né de l’amitié de quatre jeunes garçons du lycée Masséna, Quadricolor fut d’abord pour ses auteurs un laboratoire de songwriting indie-rock. Fans de Radiohead, des Strokes et des Arctic Monkeys, les membres du groupe y virent en effet l’occasion de s’éloigner des contraintes et formats traditionnels imposés par des années d’enseignement classique. “Onavait passé un bac TDM (techniques de la musique et de la danse –ndlr). Avec Quadricolor, on a appris à jouer ensemble et, surtout, on a pu sortir un peu du cadre réglementé: on a joué plus librement.” Dubagage classique, Quadricolor a néanmoins conservé un goût pour la complexité harmonique et la quête de la mélodie juste.

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“on aime faire des morceaux qui donnent envie de danser et de chialer en même temps”

“Aujourd’hui, on veut agencer un mélange hybride entre de la musique électronique et de la pop, sans que l’électronique ne prenne le dessus.” Ces nouveaux morceaux en poche, Griefjoy part “Et puis un jour, on s’est Paul Thomas Anderson, ou à Paris, où il fait appel demandé quel album celle de Thomas Newman au réalisateur Stéphane on aurait envie de jouer si pour Les Evadés de Frank “Alf” Briat, collaborateur on devait le jouer pendant Darabont. Parmi ses de Phoenix, Etienne trente ans. On a réalisé contemporains, le groupe deCrécy, Air… qu’on avait grandi, qu’on cite aussi l’influence de De ces étapes est né avait changé, et on a voulu TheShoes, Woodkid, Touch Ground, un premier que le projet évolue avec Siriusmo et Trentemøller. ep explosif et sensuel nous. C’est ainsi qu’on a paru en début d’année: formé Griefjoy, comme un Après une centaine accompagné de remixes prolongement logique à de concerts, Griefjoy part du titre par The Shoes Quadricolor. Le nom vient s’enfermer dans une cave ou Yuksek, il place les du fait qu’aujourd’hui, on d’un immeuble de Nice, jeunes Niçois en aime faire des morceaux qui qu’il a réaménagée en correspondants français donnent envie de danser et studio. Les quatre de Foals et Metronomy. de chialer en même temps. musiciens y passent trois Prometteur, le maxi sera On est attirés par cette mois, nuit et jour, et en suivi d’une tournée dualité.” Le groupe se ressortent avec une bonne estivale et d’un premier découvre alors de quinzaine de titres, dont album le 23septembre. Johanna Seban nouvelles amours pour les les textes ont été confiés musiques de film: celle à leur complice Sylvain que composa Jonny Autran, homme de l’ombre ep Touch Ground Greenwood de Radiohead et cinquième membre (Arista/Sony Music) facebook.com/griefjoy pour There Will Be Blood de officieux de la formation.

les lieux de Griefjoy le Volume

le BlissBar

C’est la salle qui nous a accueillis pour notre premier concert. C’est l’unique lieu en ville où les jeunes peuvent seproduire. Mais la salle est sous la menace d’une décision de fermeture, il faut donc la soutenir. 6, rue Defly

C’est le bar où on sort le plus dans le Vieux-Nice. De la bonne musique et des bons co*cktails pour sedétendre avant d’aller en after. L’ambiance est cool. 12, rue Abbaye

la rue de France

C’est pas dans Nice même, mais on y passe nos week-ends depuis quelques années, on est des grands amateurs de foot et on y joue régulièrement. La Vanade, 2284, route de Grasse, Villeneuve-Loubet

C’est la rue où on avait notre local. On y a composé tout l’album et vécu pendant troismois. C’est un endroit très important pour nous. On l’appelait la “blue room”.

Urban Football

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Victor Quaranta

spécial Nice

Hyphen Hyphen

le vivier inRocKs lab

Folk, psyché, pop ou rock… ces jeunes pousses locales pourraient bien dessiner le futur de la musique hexagonale.

My Friend The Postman Dorian D’Amore a 22ans et un sens précis de la mélodie. Entouré de David et Florian (respectivement à la batterie et au violon), ils forment My Friend The Postman et oscillent langoureusem*nt entre ballades méditerranéennes et complaintes pop-folk. Dans les pas des Fleet Foxes ou d’Arcade fire, ce copain facteur n’apporte quedesbonnes nouvelles. lesinrockslab.com/myfriendthepostman

Tender Tones Il y a un peu de magie chez Tender Tones qui parvient à faire danser le spleen et invente une mélancolie exaltée. Sur un horizon dégagé, percussions et envolées electro subliment une voix céleste et perchée. De quoi stimuler l’attente et l’impatience concernant ce jeune duo qui porte remarquablement bien son nom. lesinrockslab.com/tendertones

Benjamin Fincher La musique de Benjamin Fincher n’a pas la chaleur de la Côte d’Azur, mais elle en a la couleur et l’horizon dégagé. Sur la vague du rockindé néo-psyché, façon Grandaddy, Benjamin Fincher transforme la mélancolie enpop songs solaires. Multi-instrumentiste composant et écrivant seul chez lui, il vient de sortir un 45t intitulé Long Distance. Poursûr, il tiendra la distance. lesinrockslab.com/benjamin-fincher

Hyphen Hyphen Hyphen veut dire “trait d’union” en anglais. Double liaison, donc, pour les différents ponts que ces Niçois jettent entre electro et rock, disco et pop. Sur le chemin: chant et clavier restent sur le fil, entre fulgurances maîtrisées et vertige des sommets. Réjouissant. lesinrockslab.com/hyphen-hyphen Chloé Dalibon

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Lionel Bouffier

spécial Nice

Le festival Crossover

vive la révolution culturelle Néo-club, petite maison alternative, friche pluridisciplinaire ou festival electro... Tour d’horizon des initiatives qui fleurissent tous azimuts.

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ue de loin, Nice pourrait apparaître comme une vaste baie pour retraités qui ne brillerait pas par la vitalité de sa vie culturelle. Pourtant, malgré les préjugés et un terrain, c’est vrai, quelque peu hostile, des scènes parviennent aujourd’hui à émerger autour de lieux emblématiques. “De la vaste rétrospective Matisse aux actions festives et libres de Panda Events via le festival Crossover par exemple, Nice seredécouvre, grâce à des opérateurs qui parviennent à mailler toute la ville par

la culture”, analyse Michel Sajn (lire ci-contre), rédacteur en chef de LaStrada1, salvateur bimensuel local. Dans cette perspective, beaucoup de regards se tournent vers les anciens abattoirs de la ville. Le mastodonte de béton, encore équipé de ses rails de convoyage, expérimente depuis quelques années une seconde vie avec l’implantation du Chantier Sang Neuf. Une phase préfigurative, qui augure la création d’une friche, à l’image du RadialsystemV à Berlin ou du Tri Postal à Lille.

Ex-comédienne et ex-sympathisante PS, Sophie Duez roule désormais pour le compte de la mairie en place. Elle pilote cette vaste réhabilitation: “L’idée du Chantier et de la plateforme de création à venir est de chaîner en un même lieu toutes les formes du design à la vie du quartier, à la recherche et même aux entreprises.” Volontaire bien qu’un peu brumeux, le projet n’en finit pas de se penser en attendant de basculer dans le réel. LaStation, l’un des principaux moteurs de la vie artistique niçoise,

y dispose de locaux et il est d’ores et déjà question de résidences, de Fab Lab, de coworking spaces nocturnes et même de restauration. “Une nouvelle génération s’est engagée, et elle est en train de redonner à Nice sa vraie identité. Celle d’un port ouvert sur les peuples méditerranéens, d’une culture ouverte, insoumise mais toujours pacifique, loin des crispations sur les phénomènes identitaires”, affirme Michel Sajn. Pour exemple: au cœur du Vieux-Nice, au milieu

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“les conservateurs laissent la place aux bâtisseurs” Figure locale à la tête du bimestriel culturel La Strada, Michel Sajn revient sur le vent de renouveau qui souffle sur la région. des nombreux pubs pour touristes anglais, le tout nouveau Pandabar vient désormais égrener sa proposition electro tous les week-ends. Derrière la programmation pointue: Panda Events, organisateur aux côtés d’Image Publique du festival Crossover, et également fondateur des Plages électroniques à Cannes. Dans un tout autre genre, c’est à MouansSartoux qu’une petite maison ouverte en 2011 est devenue le lieu des rendez-vous exigeants. LaZonmé oscille ainsi entre live intimistes, installations ou création contemporaine. Un espace singulier, dans le sillage duquel on trouve notamment le festival Cinémabrut. Un événement dédié aux ovnis filmiques, aux adeptes de l’auto-édition, du tournage low cost et du cinéma ultracréatif et libre. A Mouans-Sartoux toujours, l’Espace de l’art concret expose jusqu’à fin octobre de superbes résidus collaboratifs, nés de la rencontre entre Yves Kleinet l’architecte Claude Parent.

Dans un édito récent de La Strada, vous parlez d’un “printemps azuréen”… Michel Sajn– A Nice, souvent, les chapelles ont prévalu sur la communauté c’est donc une grande révolution de voir les gens agir ensemble. Depuis trois ou quatre ans, il y a vraiment quelque chose qui se passe. Des réseaux se créent, les structures semutualisent et les conservateurs laissent la place aux bâtisseurs. C’est le cas par exemple du festival Crossover dont vous êtes l’un des chefs de projet. Oui, on peut citer le Crossover (festival multidisciplinaire dédié aux musiques actuelles et aux cultures émergentes –ndlr) qui investit désormais toute la ville, du Château à l’Opéra en passant par les Abattoirs. Mais aussi Unété pour Matisse qui permet de sortir un peu de la sempiternelle Ecole de Nice, de réconcilier les anciens et les modernes et de redécouvrir d’autres racines culturelles. Il y a aussi l’exposition Noël Dolla qui revient sur ses trenteseptans d’enseignement à la Villa Arson, une expo personnelle mais collective et engagée. C’est aussi un mouvement de fond, avec de nouveaux lieux, de nouvelles structures… C’est l’exemple garibaldien d’une révolution pacifique. Les phénomènes identitaires sont loin et on réaffirme le plaisir de vivre ensemble. Peu importe l’étiquette des maires, dans la région, ces derniers mois, on a construit ou inauguré une dizaine de structures culturelles (citons le pôle culturel Auguste-Escoffier de Villeneuve-Loubet, le théâtre Anthéa à Antibes, de nouveaux cinémas à Grasse, à Beaulieu, un Théâtre de verdure à Mandelieu-la-Napoule et une Scène de musique actuelle d’un nouveau genre –ndlr). Ces gens pensent qu’en temps de crise, la culture est une réponse. Ils sont sur la voie de la guérison. recueilli par Diane Lisarelli

Théophile Pillault 1. Gratuite, tirée à 40 000exemplaires, c ette publication est aujourd’hui menacée par une écotaxe réservée aux prospectus et documents publicitaires. Pour la soutenir: www.facebook. com/culturel.lastrada 17.07.2013 les inrockuptibles IX

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Valery Hache/AFP

spécial Nice

“la base, c’est l’humilité” Le club de foot lui doit une fière chandelle et les supporters l’adorent: entretien avec Claude Puel, entraîneur heureux.

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n l’espace d’un an, Claude Puel a mis tout le monde dans sa poche à Nice où il a qualifié le club de football pour la Ligue Europa. Une issue heureuse pour le Gym qui n’avait plus connu les joutes européennes depuis le milieu des années70. Epanoui, le manager niçois témoigne de son rapport à une cité avec laquelle il se familiarise. Comment vivez-vous les nombreuses marques d’affection à votre égard ? Claude Puel – C’est une ville méditerranéenne. Leclub a connu des moments compliqués. Les supporters étaient un peu sevrés. On a obtenu de bons résultats, ce qui leur a procuré beaucoup de fierté. On a des retours positifs, c’est très sympa. Ici, les gens vivent les choses avec beaucoup de passion. La ferveur populaire est-elle différente i ci ? Il y a un réel engouement mais il faut faire attention à ne pas prendre la grosse tête. On est la plus jeune équipe du championnat de France. C’est une chance de travailler dans un environnement comme celui-ci. Pouvez-vous vous balader tranquillement dans les rues niçoises ? (Il sourit) C’est un peu difficile d’y faire mes courses. Les gens sont démonstratifs. De Lyon à Nice, je suis passé d’un extrême à l’autre. J’ai vécu à Lille où les gens

du Nord sont plus mesurés. Dans le Sud, c’est plus exubérant. Ici, la première fois que j’ai rencontré les supporters, j’avais l’impression de déjà les connaître. Quelle image aviez-vous du club auparavant ? Un club où il y avait toujours des histoires… On ne peut pas avancer si tout le monde n’est pas à l’unisson. L’arrivée du président (Jean-Pierre Rivère –ndlr) a permis de pacifier l’environnement, d’aplanir les conflits qui duraient depuis des décennies. LesNiçois en avaient marre. En un an, vous êtes devenu l’un des personnages les plus populaires de Nice… Il y a le maire, Christian Estrosi… (Ilsourit) Je prends ça avec plaisir mais je garde les pieds sur terre. J’ai vécu l’inverse à Lyon. C’est important de prendre du recul dans les bons comme dans les mauvais moments. Je le répète, la base, c’est l’humilité. Vous habitez à Cap-d’Ail, tout près de Monaco. Pour préserver une certaine quiétude et tranquillité au quotidien ? De chez moi, j’ai vu sur le stade de Monaco. C’est tout simplement ma maison, celle que j’ai construite lorsque je jouais à l’ASM. Mais je descends de moins en moins sur Monaco. Je suis devenu un vrai Niçois ! (sourires) recueilli par VincentMenichini

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spécial Nice

les arts sont là

Associant école, expositions et résidences d’artistes, la Villa Arson a su devenir un haut lieu de la création. Retour sur quatre décennies d’une aventure artistique hors du commun. 1972-1984 – un modèle inédit Propriété privée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, rachetée par la ville de Nice et cédée à l’Etat après que son jardin en terrasses a été inscrit au titre des Monuments historiques, la Villa Arson est au départ un mas provençal, enduit d’ocre rouge. C’était avant l’intervention magistrale, souvent qualifiée de “brutaliste”, de l’architecte Michel Marot qui, en 1972, engloutit littéralement le bâtiment d’origine. Un labyrinthe de béton coffré et de murs de galets noyé dans un îlot de verdure qui accueille à ses débuts le Centre artistique de rencontres internationales et l’Ecole nationale des arts décoratifs. Très vite, germe l’idée d’un consortium d’activités inspiré par les Kunsthallen allemandes qui permettrait de réunir une école d’art, un centre d’exposition, une médiathèque d’art contemporain et des résidences d’artistes. Un modèle envié aujourd’hui par la plupart des écoles d’art qui cherchent à développer des lieux d’exposition attenants.

1986-1993– l’âge d’or L’âge d’or de la Villa Arson débute en 1986 avec l’arrivée d’un directeur qui marqua les mémoires: Christian Bernard. Deux ans plus tôt, le Centre

artistique de rencontres internationales avait cédé la place au plus sérieux Centre national d’art contemporain. Pendant près d’une décennie, Christian Bernard alignera expos monographiques (le peintre allemand Martin Kippenberger, la Française Dominique Gonzalez-Foerster y installe provisoirement sa “chambre orange”, un espace mental à fort coefficient littéraire) et projets collectifs, véritables manifestes pour l’art de cette époque. Autant de façons de construire le récit muséal aussi, avec des expositions programmatiques qui s’écrivent en épisodes. Parmi elles, un premier chapitre dédié aux Tableaux abstraits qui réunit John M.Armleder, l’incontournable Ben et dans un grand écart assumé Peter Halley, Olivier Mosset ou Heimo Zobernig. En 1991 s’ouvre une expo générationelle signée par Christian Bernard et Eric Troncy, la mythique No Man’s Time, à pratiquer comme un jeu de rôle. Avec elle, c’est une génération d’artistes (Philippe Parreno, Pierre Joseph,

Liam Gillick, Angela Bulloch, Dominique Gonzalez-Foerster ou Sylvie Fleury) qui fait son entrée par la grande porte.

1993-2006 – les grandes monographies et la renaissance de l’Ecole de Nice Après le départ de Christian Bernard vont se succéder Jean-Philippe Vienne, Michel Bourel et Laurence Gateau en 2000 qui fait parler d’elle en réussissant l’exploit de faire venir la grande exposition de l’artiste californien Paul McCarthy. C’est à elle encore qu’on devra les expositions monographiques de Jeremy Deller, Robert Filliou, Simon Starling ou le tir croisé des Suisses Francis Baudevin et Stéphane Dafflon. Ces années-là correspondent aussi à la reformation d’une certaine “école de Nice” qui n’a plus grand-chose à voir avec son hom*onyme des années50 et sa passion pour le Nouveau Réalisme, Fluxus ou le mouvement Supports/ Surfaces. C’est ce renouveau niçois qui s’affirme alors au sein de l’Ecole

virile, un brin potache, l’équipe pédagogique, composée d’artistes-enseignants, imprime sa marque et fait de la Villa Arson une forteresse

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Vue de l’exposition Ne pas jouer avec des choses mortes, 2008, Brice Dellsperger

Jean Brasille/Villa Arson

Coll. Fonds régional d’art contemporain Bourgogne. Photo Jean Brasille/Villa Arson

Vue de l’exposition de Paul McCarthy en 2001. Tomato Head, 1999

nationale supérieure d’art. Virile, un brin potache, l’équipe pédagogique, composée d’artistes-enseignants (Jean-Luc Verna, Noël Dolla –qui signe cet été une rétrospective collective à la Villa–, Arnaud Labelle-Rojoux, Eric Duyckaerts, Christian Vialard, Joseph Mouton ou Arnaud Maguet), imprime sa marque et fait de la Villa Arson une forteresse.

à la Villa Arson où cohabitent depuis l’origine espaces d’expos et école d’art. Parfois mal perçue, difficile à saisir tant ce mode opératoire s’exerce sur un temps long, la recherche appliquée au champ de l’art s’inscrit sous la direction d’Eric Mangion comme une lame de fond qui bouleverse les codes de l’exposition. Dès 2010, il confie à Julien Bouillon, 2006-2013 – la recherche enseignant à la Villa Arson et membre C’est Eric Mangion, ancienne figure du groupe de recherche Laforme marseillaise, qui prend le relais en 2006. des idées, le soin de retranscrire dans Alignant dans un premier temps les l’espace un état des lieux de leur projets solo (Tatiana Trouvé, Ryan Gander enquête au long cours. Suivront deux ou Gino DeDominicis) et un cycle cycles consacrés à un panorama d’expositions pilotées par des historique des multiples manifestations commissaires extérieurs (Intouchable de la performance sur la Côte d’Azur –L’idéal transparence confiée à Guillaume depuis les années50 jusqu’à nos jours. Désanges, Julie Pagnier et François A l’automne 2013, c’est un nouveau Piron qui prenait appui sur un ouvrage chantier qu’ouvrira la Villa Arson, de 1914 consacré aux architectures consacré à la disparition et à ses avatars de verre ou Ne pas jouer avec des choses (stratégies d’effacement, de mortes qui, sous la tutelle de Marie de recouvrement, de destruction ou de Brugerolle, interroge le renouveau de la vandalisme) comme gestes artistiques. performance), Mangion prend le virage, Par ailleurs, cette plate-forme pilote en 2010, de la “recherche en art”. réfléchit aux moyens d’éclater le format Etroitement lié à un changement de classique du centre d’art, à travers, contexte dans les écoles d’art française notamment, la création d’une revue en priées depuis les accords de Bologne ligne censée donner de l’amplitude de s’aligner sur le modèle universitaire, nécessaire à cette entreprise d’un genre ce tournant s’impose d’autant plus nouveau. Claire Moulène 17.07.2013 les inrockuptibles XIII

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Raymond Cauchetier/Rue des Archives

spécial Nice

A propos de Nice de Jean Vigo (1930)

une histoire du Nicématographe Comme à Hollywood, tout a commencé par la généreuse lumière naturelle. Depuis 1919, les tournages se sont succédé et ont donné lieu à de nombreux chefs-d’œuvre. Parcours.

S

i la France n’était pas un pays si centralisé, Nice aurait sans doute pu devenir un Hollywood sur Méditerranée. Malgré tout, le nombre de films qui ont été tournés dans la région est assez impressionnant. Il faut dire qu’à l’instar de la Californie, la Côte d’Azur proposait aux premiers réalisateurs du cinématographe un climat ensoleillé évidemment propice aux tournages. Mais, bien que né à Lyon, le cinéma devint très vite parisien, et Méliès inventa le studio de cinéma à Montreuil. Pourtant Nice ne va pas rester très longtemps à l’écart. En 1919, deux hommes de cinéma, Serge Sandberg et le producteur Louis Nalpas, achètent dans le quartier deSaint-Augustin, à l’ouest de Nice, une propriété résidentielle de septhectares appartenant

au duc de Rivoli, laVictorine. Ils engloutissent leur fortune dans la construction de studios qui sont vite rachetés par le réalisateur américain Rex Ingram en1924. Al’avènement du parlant, la Gaumont prend la place. Tout au long des années30, G.W.Pabst, Jean Grémillon, Jean Delannoy ou Christian-Jaque tournent à Nice. Et la Victorine devient aussi célèbre que les studios de Joinville ou de Boulogne dans la région parisienne. Mais le premier grand cinéaste qui soit venu profiter de la lumière incroyable de Nice n’a pas eu besoin de studios: Jean Vigo, en 1929, tourne Apropos de Nice avec son chef opérateur russe Boris Kaufman (le frère de Dziga Vertov), un documentaire muet d’une vingtaine de minutes filmé en une seule journée (lire encadré). Le futur auteur de Zéro de conduite (1933) et de

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La Baie des Anges de Jacques Demy (1963)

des aventurières en promenade Si la baie appartient aux anges, la promenade est le chemin privilégié, non pas des Anglais, mais des aventurières. Elles arpentent la longue avenue courbe bordée de palmiers, de casinos, du Negresco... et incendient l’imagination des hommes. Posée sur une des nombreuses chaises bleues où les promeneurs font une halte pour contempler la mer, l’une d’elles fait la belle dans un manteau de fourrure, avant qu’un infernal jump cut la dévoile de façon clignotante vêtue d’une petite robe d’été, puis d’une autre, puis toute

nue (ce qui en 1930 nedevait pas passer inaperçu). Qui la déshabille ? Les regards des riches passants, la caméra de Vigo, et plus généralement un système social où le corps des femmes est une marchandise, ni plus ni moins qu’un jeton posé sur une table à roulette. Jackie Demaistre (Jeanne Moreau dans LaBaie des anges) le sait bien qui trente-trois ans plus tard donnerait tout, à commencer par son corps, pour un dernier jeton, un dernier tour de roulette. Millionnaire un jour, va-nu-pieds le lendemain, c’est toujours

la même promenade qu’elle arpente sans fin. La mystérieuse vamp en noir de La Repentie (Isabelle Adjani), elle, ne va guère au casino. Ses seules roulettes sont celles de la valise Vuitton qu’elle traîne derrière elle. Tout ce qu’elle a amassé de sa vie de grande aventurière y est contenu. A poil (Vigo), sans rien d’autre qu’un sac à main (Demy) ou juste une valise (Masson), les aventurières ne se lestent pas de grandchose dans l’attente que leur vie trouve un rebond sur la promenade.

La Repentie de Laetitia Masson (2002)

Jean-Marc Lalanne

L’Atalante (1934) trouve à Nice tout ce qui lui plaît: la lutte des classes sous le soleil, une culture populaire héritée des origines italiennes de la ville, sensuelle et baignée de paganisme (le carnaval). La débâcle de 1940, la fracture entre une zone occupée et zone libre vont pousser les cinéastes vers le sud. En 1942, Marcel Carné, qui travaille avec des collaborateurs juifs (dont Jean-Paul LeChanois ou Alexandre Trauner, son décorateur fétiche) tourne à la Victorine LesVisiteurs du soir sur un scénario de Prévert. Delannoy y tourne aussi L’Eternel Retour avec Jean Marais d’après Jean Cocteau. En 1943 commence le tournage d’un des films les plus coûteux de l’histoire du cinéma français, Les Enfants du paradis (Carné encore), alors que la zone libre n’existe plus en tant

que telle et que Nice est occupée par les Italiens après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord). Après la guerre, la Victorine sera souvent utilisée par le cinéma français à gros budget, de Christian-Jaque (Fanfan la Tulipe avec Gérard Philipe) à Sacha Guitry (Napoléon), en passant par René Clément (Jeux interdits) et Gérard Oury (Le Corniaud). Les Américains viennent aussi tourner sur la French Riviera, comme Alfred Hitchco*ck pour La Main au collet (1955), avec Cary Grant et Grace Kelly (qui va y faire la rencontre de sa vie)... Hitchco*ck filme le vieux marché, mais aussi la promenade des Anglais, les palmiers et les plages, les palaces, les hauteurs de Cannes, les dangereuses routes de corniche... Un glamour franco-hollywoodien hanté par des anciens résistants français assez inquiétants (Charles Vanel en chef de bande). 17.07.2013 les inrockuptibles XV

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spécial Nice

La Nuit américaine de François Truffaut (1973)

des images et des vagues Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? François Truffaut investit les studios de la Victorine en 1972 mais contrairement à ses prédécesseurs, il les filme pour ce qu’ils sonten vrai: des studios de cinéma. Où se tournerait, en faux (c’est-à-dire dans la fiction-gigogne de La Nuit américaine) un film pas forcément très bien, intitulé Je vous présente Pamela. Un acteur, qui s’appelle pour de faux Alphonse, et pour de vrai Jean-Pierre Léaud, y tombe amoureux d’une

très belle femme (jouée par Jacqueline Bisset). Pour de faux (dans la fiction) puis pour de vrai (de l’actrice). C’est ça le cinéma selon François Truffaut: du faux qui accouche du vrai, de l’illusion qui perce dans le réel. Comme la vague mystique, absolue qu’attend Brice sur sa planche, oubliant qu’il est à Nice et pas à Hawaii. Mais bien sûr, cette vague déferlera pour de vrai et, gros effet spécial aidant, un peu pour de faux. JML

Brice de Niced e James Huth (2005)

Vient la Nouvelle Vague. Jacques Demy, qui aime les villes maritimes (Nantes, Cherbourg, Rochefort) et qui vénère Max Ophuls (qui a souvent tourné à la Victorine) réalise en 1963 LaBaie des anges avec Jeanne Moreau et Claude Mann. Comme Vigo, c’est le décor naturel de Nice qui l’inspire, le contraste entre la blancheur de la lumière, des villas, des cheveux blond platine de Jeanne Moreau et l’obscurité des ruelles et des âmes perdues. Nice, c’est à la fois la France et l’Italie, les palmiers et les taudis, le soleil et la perte, les bijoux et les milieux interlopes. Une ambiance que l’on retrouvera dans l’un des plus beaux romans de Patrick Modiano situé lui aussi à Nice, Dimanches d’août. La même année, Henri Verneuil tourne Mélodie en sous-sol, un bon gros film de casse avec Jean Gabin et Alain Delon. En 1973, Claude Lelouch filme lui aussi Nice, dans LaBonne Année, avec Lino Ventura et Françoise Fabian, dont on dit que le grand Stanley Kubrick était très fan… Alors que les studios de la Victorine seportent assez mal (le sujet est évoqué dans le film), François Truffaut

choisit d’y tourner son hommage au cinéma, LaNuit américaine, où il raconte l’histoire du tournage de Je vous présente Pamela, occasion de dévoiler les secrets de fabrication d’un film à l’ancienne, avec nostalgie et une ironie renoirienne. En 1997, un tout jeune cinéaste originaire de Montpellier, Manuel Pradal, tourne à Nice son premier film, Marie Baie des Anges avec une adolescente inconnue qu’on présente comme “la nouvelle Adjani”, Vahina Giocante. Il y retrouve l’esprit frondeur et onirique de Vigo dans un Nice où la violence couve toujours. Puis vient Laetitia Masson et LaRepentie (lire encadré). Avec toujours ce contraste entre le luxe et la perte, la douceur du climat et la proximité de la mort. Abandonnée, La Victorine est rachetée en 2000 par la société Euro Media Television, l’une des plus grosses entreprises de production européennes, qui lui donne une nouvelle vie et la rebaptise Studios Riviera. L’épopée d’Hollywood sur Méditerranée continue. Jean-Baptiste Morain

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HORS SÉRIE La science-fiction à l’écran

World War Z, Pacific Rim, Elysium… Pour accompagner un été riche en films de sciencefiction, Les Inrockuptibles consacrent un hors-série de 100 pages à la SF au cinéma et à la télévision. Du Voyage dans la Lune à Real Humans, en passant par Star Wars, Blade Runner ou Avatar, un décryptage complet du genre pour plonger dans la quatrième dimension.

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